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Un outil open source facilitant l’opposabilité des CGU des géants du numérique.
Parution : vendredi 24 septembre 2021
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Whatsapp, Google, Facebook et autres sont devenus notre quotidien. Nous y passons notre temps, et pourtant nous ne les connaissons pas. Pas juridiquement parlant en tout cas. Pour ce faire il faudrait prendre le temps de lire leurs Conditions Générales d’Utilisation, mais, encore plus, de les re-lire tant leurs changements sont fréquents et loin d’être anodins pour les utilisateurs, et tant ces CGU en disent long sur le service proposé.
Open Terms Archive [1] a été créé pour remédier à cette méconnaissance qui participe au rapport de force déséquilibré entre géants du numérique et utilisateurs. Henri Verdier, Ambassadeur pour les affaires numériques au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, nous explique le fonctionnement de cette plateforme portée par son ministère.

Village de la Justice : Par qui est porté ce projet ?

Henri Verdier : "Ce projet public est porté par la start-up d’Etat Disinfo [2], créée par mon équipe au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Il vient répondre aux obligations de transparence imposées aux grandes plateformes numériques par deux textes actuellement à l’étude au niveau européen que sont le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA)."

Henri Verdier

V.J : Pouvez-vous nous expliquer le projet d’Open Terms Archive en quelques lignes ? Quelle est sa vocation, notamment à long terme ?

H.V : "Open Terms Archive est un outil libre et ouvert de suivi et d’archivage des évolutions des conditions générales d’utilisation des principaux fournisseurs de services en ligne. Il permet aux régulateurs, juristes, associations de consommateurs mais aussi aux entreprises elles-mêmes et à tout utilisateur de services numériques de suivre l’évolution de ces documents contractuels au plus près – documents dont la lecture peut, en temps normal, s’avérer longue et fastidieuse. 

Concrètement, l’outil vient régulièrement mettre à jour l’ensemble des conditions d’utilisation, politiques de confidentialité ou encore politiques en matière de cookies, les archives, avant de faire automatiquement apparaître, le cas échéant, tout ajout apporté en vert et toute suppression, en rouge. Il permet d’extraire de l’information brute à propos des grands services numériques et de discerner dans quelle mesure ces derniers se conforment à la réglementation en vigueur.

Les conditions d’utilisation ne sont pas seulement des contrats. Elles sont aussi une trace du comportement des plateformes numériques, retranscrivant leurs grandes orientations et régissant les interactions avec leurs utilisateurs. Nous l’avons tout récemment constaté avec Protonmail.

Les conditions d’utilisation sont aussi une trace du comportement des plateformes numériques.

Le service de messagerie chiffrée a apporté des modifications à sa politique de confidentialité, rendus visibles par Open Terms Archive, après avoir été la cible de vives critiques pour avoir livré des informations à la police sur l’un de ses utilisateurs. Une clarification sur le fait que Protonmail peut être amené à coopérer avec les autorités y est désormais inscrite, noir sur blanc."

V.J : Quel manque vient combler ce site ?

H.V : "Un manque de transparence, avant tout. Malgré quelques avancées notables, les grandes plateformes numériques communiquent encore de manière insuffisamment intelligible sur les changements apportés à leurs conditions d’utilisation. Un exemple frappant en la matière : le tollé suscité par WhatsApp, en début d’année, à l’annonce de nouvelles conditions d’utilisation rendues obligatoires pour tous ses utilisateurs. Si cette obligation était très claire, la nature des changements apportés l’était bien moins. WhatsApp a d’ailleurs depuis fait machine arrière et rendu ces changements optionnels, pour ceux qui n’y avaient pas déjà souscrit.

Cette exigence de transparence est un enjeu important. Elle vient infuser deux textes actuellement à l’étude au niveau européen : le Digital Services Act et le Digital Markets Act.

Un manque de connaissance, par ailleurs. Les conditions générales d’utilisation représentent progressivement une sorte de « loi commune », sur toute la planète, sans législateur ni codification. En comprendra la logique, les évolutions, et parfois les subtiles interactions avec le droit nous semble essentiel et intéresse de nombreux chercheurs.

Ce manque de transparence et de connaissance déséquilibre le rapport de force entre grandes plateformes et régulateurs.

Enfin, ce manque de transparence et de connaissance déséquilibre le rapport de force entre les grandes plateformes et les régulateurs. Open Terms Archive vient le rééquilibrer, à son échelle. 250 services numériques sont pour le moment suivis, pour près de 540 documents contractuels."

V.J : Qui alimente les infos du site ?

H.V : "Le cœur de la base de données a été constitué par l’équipe qui travaille actuellement sur le projet, en reprenant, avec leur accord, les archives de tosback.org, un autre service de suivi des conditions d’utilisation des grandes plateformes. Open Terms Archive est ouverte aux contributions, et reçoit régulièrement des demandes d’ajouts de documents.

Le Global Disinformation Index, une ONG américaine spécialisée dans l’étude des sites de désinformation et de leurs modes de financement, compte parmi nos contributeurs. Nous sommes actuellement en relation avec des think tanks, institutions françaises et européennes, associations de consommateurs mais aussi ONG impliquées dans la défense de la vie privée – et des données personnelles – pour renforcer cette contribution et trouver de nouveaux cas d’usage pour Open Terms Archive. Scripta Manent en est un : il se concentre sur les informations recensées par notre plateforme en affinant la recherche, pour se concentrer sur une période dédiée."

A nous de concevoir des outils... Aux utilisateurs de s’en emparer.

V.J : Ces informations sont-elles opposables en justice en cas de contentieux ? 

H.D : "Il s’agit-là de l’une des demandes les plus récurrentes de la part des interlocuteurs impliqués dans notre réseau. Nous y apportons une réponse fidèle à la logique de l’Etat-plateforme : à nous de concevoir des outils, de garantir des ressources brutes dont nous pouvons attester la qualité et d’être transparents dans la manière dont ces données sont collectées et archivées. Aux utilisateurs de s’en emparer pour concevoir leurs propres outils, en fonction de leurs besoins concrets. Et l’opposabilité de ces informations en justice en fait absolument partie."

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice