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Règlement EC n°261/2004 : les passagers ont le droit d’obtenir deux indemnisations lors d’un même trajet aller. Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.
Parution : vendredi 24 septembre 2021
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Si l’information a été éclipsée par la rapide progression, à l’échelle mondiale, du SARS-CoV-2 au début de l’année 2020, elle est suffisamment importante pour être abordée de nouveau.

Dans un arrêt de 2020, juste avant le confinement de toute l’Europe, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a une nouvelle fois fait progresser les droits des passagers aériens : le passager qui a été indemnisé à la suite de l’annulation de son vol, peut également être indemnisé suite au retard du vol de réacheminement proposé par la compagnie.

Une distinction faite entre le vol annulé et le vol de réacheminement retardé.

Dans ce litige opposant des passagers à la compagnie Finnair, les voyageurs avaient effectivement obtenu une première indemnisation à la suite de l’annulation de leur vol, en accord avec les articles 5 et 7 du règlement européen n°261/2004. La compagnie avait également rebooké les passagers sur un autre vol qu’elle devait opérer, mais celui-ci a été retardé de plus de 3 heures. Mention importante : la raison de ce retard était le changement d’une pièce mécanique, pourtant en bon état, par prévention à la suite de la découverte d’un vice caché affectant cette même pièce sur d’autres appareils.

Les passagers ont donc réclamé une nouvelle indemnisation, celle-ci concernant le préjudice subi à la suite du retard de leur vol de réacheminement. La compagnie s’y est opposée, estimant que les passagers avaient déjà obtenu une indemnisation sur le trajet aller de leur réservation. En outre, elle arguait que la nature du problème technique du second vol, à savoir provoquée par la découverte d’un vice caché imputable au constructeur de cette pièce, impliquerait qu’elle ne soit pas responsable de ce retard.

Malgré cette argumentation, la CJUE a pour sa part choisi d’interpréter le règlement européen en faveur des passagers : il est tout à fait possible d’être indemnisé une seconde fois à la suite de la perturbation d’un vol de réacheminement, même si l’on a déjà été indemnisé pour l’annulation de son vol initial.

Le changement d’une pièce suite à la découverte d’un vice caché ne constitue pas systématiquement une circonstance extraordinaire.

Le vol de réacheminement avait été retardé suite à la nécessité, selon la compagnie, de changer une pièce dite “on condition” (c’est-à-dire qui n’a pas besoin d’être remplacée tant que les techniciens l’inspectant avant chaque vol, l’estiment toujours en condition suffisante pour opérer dans les marges de sécurité en vigueur). Ce changement brusque avait été décidé en raison de la découverte d’un vice caché affectant des pièces similaires sur d’autres aéronefs.

Pour la Cour, cette seule défaillance d’une pièce précédente n’est pas forcément susceptible de constituer une circonstance extraordinaire. Ainsi, il a été déterminé que cette défaillance, même inopinée et prématurée, constitue toujours un événement intrinsèquement lié au fonctionnement de la pièce en question. La Cour semble ici élargir la notion de “problème technique” à savoir un événement qui ne constitue plus une circonstance extraordinaire depuis la jurisprudence Wallentin-Hermann".

Il apparaît de plus que la compagnie avait à disposition d’autres exemplaires de la pièce mise en cause, nécessaire à l’activation du gouvernail de l’appareil. En effet, c’est une pièce cruciale qui peut faire l’objet, de par son usage répété, d’une défaillance classique. Si la situation n’est pas ici habituelle, elle n’échappait toutefois manifestement pas à la maîtrise de la compagnie Finnair, qui avait apparemment les moyens de résoudre le problème relativement rapidement en remplaçant immédiatement la pièce.

Attention cependant : il existe une limite à cette dernière affirmation. En effet, le litige a été renvoyé devant la cour d’appel d’Helsinki, qui avait initialement posé les questions préjudicielles à la CJUE. Il appartiendra désormais à cette même cour de décider si la défaillance en cause, le vice caché lui-même, constitue bien un événement qui n’est pas inhérent à l’activité de transporteur aérien, et si celui-ci échappe à la maîtrise effective de la compagnie aérienne.

Les conséquences pour les passagers aériens.

Les passagers aériens peuvent être rassurés : même s’ils sont déjà indemnisés pour un vol annulé, ils peuvent également exiger une seconde indemnisation si le vol de réacheminement lui-même est perturbé. Les compagnies ne pourront également plus systématiquement affirmer qu’une indemnisation n’est pas due si le retard est causé par le remplacement d’une pièce par prévention.

Cette importante décision de la CJUE étend donc les droits des passagers aériens, et leur offre de nouvelles opportunités d’être indemnisés en cas de perturbation de vol.

Anaïs Escudié, Juriste et Fondatrice de RetardVol et Guilhem Della Malva, Juriste expert chez RetardVol