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Loi Sapin II et mise en conformité des Collectivités territoriales : il y a urgence ! Par Sacha Gaillard, Juriste.
Parution : lundi 27 septembre 2021
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Sans contestation possible, il y a un avant et un après loi « Sapin II ». Néanmoins, son évaluation et son appréciation poussent à dresser un constat plus mitigé quant à sa mise en œuvre opérationnelle surtout pour les acteurs publics et en particulier pour les Collectivités territoriales. 

Par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Loi « Sapin II », le législateur a souhaité porter la législation française au niveau des meilleurs standards européens et internationaux dans la lutte contre la corruption, et contribuer à développer une image positive de la France à l’international.

Son ambition affichée était en outre de répondre aux aspirations des Français quant à la transparence, à l’éthique et à la justice en matière économique. Le rapport d’information proposé par les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix pointe le fait que les collectivités ne sont pas à la hauteur en termes de lutte anticorruption. Si les standards imposés ont reçu un écho satisfaisant auprès des acteurs économiques qui se sont effectivement bien appropriés les obligations issues de la loi « Sapin II », il en va différemment pour les administrations publiques et les collectivités territoriales qui appliquent peu les obligations découlant de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin II »).
En effet, côté acteurs privés les avancées ont été importantes, il y a néanmoins un constat d’échec, pointé par le rapport, pour les acteurs publics. Ces derniers font preuve d’une absence de culture anticorruption alors même que les administrations publiques et collectivités territoriales sont des sources potentielles de corruption extrêmement importantes. Sensibilisation, prévention et sanction sont les trois éléments soulevés pour orienter le secteur public vers une lutte anti-corruption efficace au sens de la loi « Sapin II ».

Parce qu’une grande confiance dans la réforme ne doit pas éviter une petite méfiance vis-à-vis de celle déjà en vigueur, il convient d’améliorer, nous allons le voir, certains dispositifs actuels qui demandent à être peaufinés. La France, en 2015, était classée à la 26ème place dans le classement de l’agence Transparency International ; malgré la loi « Sapin II » et la mise en place de dispositifs de préventions efficaces, la France n’a pas progressé au classement. Il était donc nécessaire d’aller plus loin et d’améliorer les dispositifs existants.

Ces améliorations se déclinent autour de deux blocs de propositions principaux :

1. La problématique d’instruments de lutte contre la corruption dans le secteur public surtout pour les collectivités locales.
En 2018, une enquête sur la prévention de la corruption dans le service public local de l’Agence Française Anticorruption (AFA) avait montré que de nombreuses collectivités, de toutes tailles, n’adoptent pas de dispositions spécifiques pour prévenir les atteintes à la probité et sensibilisent peu leurs agents.

2. L’évolution des missions de l’AFA pour revenir à un système plus classique recentré sur des missions de mise en œuvre des politiques et d’appui des acteurs publics et privés.

Un manque de moyens.

La loi « Sapin II » n’est pas entrée dans les mœurs des acteurs locaux qui en général manquent de moyens pour appliquer efficacement les recommandations émises par l’AFA. Les Régions, les Départements et les grandes Communes, qui ont davantage de moyens et sont donc plus actives et offensives dans la lutte contre la corruption mais la mise en place d’un dispositif anti-corruption efficace reste encore trop timide.

Une nécessité d’adaptation et de publicité.

Bien que l’exposition au risque de corruption des acteurs publics soit importante, la diffusion du référentiel de conformité issu de la loi Sapin II reste très faible, voire inexistante. Pourtant, les administrations et collectivités devraient pouvoir appliquer des mesures et obligations de conformité qui soient adaptées en fonction de leur taille et des risques auxquels elles sont exposées. En effet, imposer une uniformité et homogénéité normative à tous les acteurs quelques soit leur taille n’aurait pas de sens. La loi dite « Sapin II » ne tient cependant pas compte de cette nécessité d’adaptation ce qui a, à n’en pas douter, nuit à la diffusion des mesures de prévention et de détection dans la sphère publique.

Nature des obligations devant s’appliquer.

Pour les acteurs économiques, la loi « Sapin II » impose l’obligation de prévenir et de détecter les faits de corruption à travers la mise en place d’un dispositif comportant huit mesures et procédures. Il s’agit d’une obligation légale dont le non-respect peut donner lieu à des sanctions administratives. Il ne s’agit pas d’une simple procédure formelle mais bien d’assurer une prévention effective des pratiques contraires à l’éthique des affaires et pénalement répréhensibles.

Pour les personnes publiques, si elles ont une obligation générale de prévention et donc de conformité, aucune obligation spécifique n’est prévue par la loi et il n’y a donc pas de sanctions.

La loi ne précise pas la nature des obligations devant s’appliquer aux personnes morales de droit public et ne prévoit pas de sanction en cas d’insuffisance ou de manquement constaté à ces obligations.
Pour pallier ce manque d’adaptation des dispositifs applicables aux acteurs publics :
- Il est urgent de pouvoir créer des obligations de conformité adaptées aux administrations publiques modulées en fonction de la taille et des risques auxquels ces administrations sont exposées.
- Il est également important d’accompagner efficacement les nouvelles obligations de mesures de publicité relative à la mise en œuvre du dispositif de prévention et de détection de la corruption. Instituer l’obligation d’inscrire une fois par an à l’ordre du jour du Conseil délibérant l’examen des initiatives et la systématisation de la publication des rapports pourraient être une solution.

Attention à l’explosion du nombre de déclarations d’intérêts.

Les élus et leurs associations ne sont pas soumis aux obligations de déclaration pour les interventions qu’ils effectuent auprès des décideurs publics. Ils ne sont cependant pas complètement exclus du dispositif puisque les actions de représentation d’intérêts dont ils sont destinataires doivent également être déclarées. L’extension du dispositif aux collectivités territoriales, voulue par le législateur serait donc justifié au regard du fait que ces dernières sont à l’origine de normes et de décisions individuelles dont les enjeux financiers sont parfois élevés.

L’application du registre des représentants d’intérêts dans les collectivités qui était initialement prévue pour 2018, a finalement été repoussée en 2021 puis en 2022 en raison de la crise sanitaire. Ces déclarations pourraient s’élever à 19 000 si les collectivités étaient soumises aux mêmes critères que les autres décideurs publics.
Pour éviter ce phénomène de masse, il conviendrait :
- de limiter l’obligation de déclaration aux représentants d’intérêts qui exercent une influence sur les collectivités les plus importantes ; à savoir : les Régions, les Départements, les Communes et Intercommunalités de plus de 30 000 habitants ;
- dans la même veine, il faudrait également restreindre le champ des décisions publiques concernées à celles dont les enjeux financiers sont les plus élevés : eau, assainissement, déchets, énergie, transports et construction.

En chiffres.

Seules 4.4% des communes avaient mis en place un plan ou des mesures anticorruption (29.7% des communes de plus de 80 000 habitants) contre 39.7% des Départements et près de 85% des Régions.
Ces chiffres montrent bien la disparité des dispositifs mis en place en fonction de la strate sur laquelle on se place. Plus la collectivité est grande, plus les moyens sont importants et plus les dispositifs anti-corruption sont déployés massivement.
En 2018, seulement 7.3% des collectivités avaient un plan ou des mesures ponctuelles pour prévenir les atteintes à la probité. 1.7% avaient élaboré une cartographie des risques. 21.1% avaient désigné un référent déontologue (qui est pourtant une obligation légale).

Evolution de l’Autorité Française Anticorruption et création d’une haute autorité.

Le rapport propose de recentrer l’Autorité Française Anticorruption (AFA) sur son rôle de coordination administrative et d’appui à la programmation stratégique. L’AFA serait recentrée sur la définition et la mise en œuvre de la politique de lutte contre la corruption et l’appui aux acteurs publics et privés. Les fonctions de conseils et de contrôle seraient quant à elles transférées à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière de probité qui pourrait porter le nom de Haute Autorité pour la Probité (HAP). Elle définirait les obligations anticorruption, contrôlerait l’efficacité des dispositifs des acteurs publics et privés, suivrait la peine de mise en conformité et l’application de la loi de blocage. Cette HAP qui engloberait les missions de la HATVP et de l’AFA serait notamment chargée de contrôler les entreprises et les acteurs publics dans la mise en place de leur politique de conformité.

Procédures de recueil et de traitement des alertes.

L’article 3 de la Loi prévoit que les administrations publiques et les collectivités territoriales de plus de 10 000 habitants sont également soumises aux exigences de l’article 17 telles qu’elles sont contrôlées par l’AFA, dont celle de mettre en œuvre « un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ».

Cependant, de nombreux dispositifs d’alerte continuent de cohabiter dans le secteur public ; secteur qui n’a pas bénéficié de la même simplification que le secteur privé. Un agent public souhaitant procéder à un signalement est ainsi confronté à la concurrence des dispositifs existants. Outre le mécanisme prévu par la loi « Sapin II », qui s’applique à l’identique dans la Fonction publique que dans le secteur privé, il peut également procéder à un signalement en application de l’article 40 du Code de procédure pénale (et ainsi contourner l’obligation de saisir le canal interne en alertant directement le procureur de la République). L’article 6 ter A de la loi de 1983 prévoit qu’il peut aussi saisir le référent déontologue « dans le cas d’un conflit d’intérêts ».

Chiffres à l’appui, le constat est inquiétant. Selon le Défenseur des droits, moins de 30% des Collectivités de plus de 30 000 habitants respecteraient l’obligation d’adoption des procédures de recueil adaptés à leurs contraintes. Ces difficultés semblent concerner principalement les Communes. Le rapport d’information préconise qu’en l’absence de mise en œuvre d’un dispositif de recueil, ce doit être aux Préfets de prendre le relais en ouvrant un registre pouvant centraliser l’ensemble des alertes au niveau d’un département. Le rappel régulier aux obligations des Collectivités concernées par le dispositif est également proposé.

Recommandations de l’Autorité Française Anticorruption de décembre 2020.

Les recommandations de l’AFA, si elles font l’objet de publication au Journal Officiel sont à proprement parler dépourvues de force obligatoire et ne créent pas d’obligation juridique. En revanche, elles constituent le support des contrôles opérés par l’AFA, lesquels sont principalement déclenchés à l’initiative et à la discrétion de son Président et peuvent le cas échéant, déboucher sur un signalement au Procureur de faits pouvant relever d’une qualification pénale. Dans ses dernières recommandations du 4 décembre 2020, l’AFA avait déjà décliné et précisé les dispositions issues du 3° de l’article 3 de la Loi dite « Sapin II » applicables au secteur public. Le dispositif anticorruption de l’acteur public concerne : ses agents/ ses collaborateurs/ les membres de l’instance dirigeante/ l’ensemble des élus qui ne font pas partie de l’instance dirigeante/ les membres des cabinets/ les bénévoles contribuant à ses activités.

Le nombre des personnes concernées par le dispositif est donc important et nécessite une prise en considération qui se décline en trois piliers.

Le premier est l’engagement de l’instance dirigeante dans le dispositif anticourruption. L’AFA entend par instance dirigeant, les personnes élu(e)s ou nommé(e)s) disposant de compétences et de pouvoirs propres pour gérer un acteur public, en application de ses statuts et des textes législatifs et réglementaires en vigueur. Cette instance dirigeante s’engage à mettre en œuvre une politique de tolérance zéro envers tout comportement qui pourrait contrevenir au devoir de probité. Il lui revient de définir la stratégie de gestion des risques et s’assure de l’efficacité de la mise en œuvre du dispositif anticorruption. La mise en œuvre du dispositif nécessite des moyens humains et financiers proportionnés au profil de risque de l’acteur public. Enfin, une politique de communication interne et externe adaptée sur sa politique de prévention et de détection des atteintes à la probité doit être mise en place.

Le deuxième pilier repose sur la cartographie des risques d’atteinte à la probité. Il est indispensable que les acteurs publics engagent et formalisent une réflexion en profondeur sur leurs risques. Elle doit permettre à l’instance dirigeante de lui donner la connaissance nécessaire pour la mise en œuvre de mesures de prévention et de détection efficaces, proportionnées aux enjeux et adaptées aux activités de l’acteur public concerné.

Le troisième pilier s’intéresse à la gestion des risques d’atteintes à la probité. Elle se décompose autour de quatre grands axes :
- Prévention (code de conduite, dispositif de sensibilisation et de formation, évaluation de l’intégrité des tiers) ;
- Détection (dispositif d’alerte interne, contrôle interne) ;
- Contrôle & Evaluation interne.
- Remédiation spontanée ou subie.

Pourquoi tant de retard accumulé ?

Cette question, tend à considérer les causes qui ont engendré un tel fossé dans la mise en conformité de deux acteurs différents.

De prime abord, deux réponses se présentent :
- un manque de clarification de personnes responsables au sein de l’organisation visée ;
- un manque d’outils efficace pour répondre efficacement à la mise en œuvre opérationnelle des dispositifs demandés.

Le secteur privé a su se conformer rapidement à ce que la Loi lui imposait à la fois en se dotant à la fois :
- des bons outils de gestion et de suivi de leur politique de conformité favorisant une remontée d’information efficace et centralisée,
- en désignant des personnes responsables à différents niveaux pour s’assurer de la bonne application de la norme en interne.

S’il est de coutume d’affirmer que le temps du privé est plus court que celui du public, l’application des dispositifs issus de la loi « Sapin II » est à n’en pas douter un bon exemple. Ce rapport tend à la globalité en rendant absolu l’ensemble des règles de conformité devant s’imposer comme des standards à la fois dans le privé comme dans le public. Tout l’enjeu, sera d’aider efficacement et rapidement les collectivités à se saisir de ces problématiques et à les traiter de façon opérationnelle.

Comment y répondre efficacement ?

La question qui se pose alors est fondamentalement de savoir comment favoriser, simplifier et permettre aux acteurs publics et en particulier aux collectivités territoriales de se doter des bons outils pour rendre plus efficace et rapide leur processus mise en conformité.

L’approche de plateforme est sans nul doute celle qui répond en tout point l’efficacité recherchée dans les dispositifs de conformité à mettre en place. L’efficacité prouvée par les solutions adoptées par les entreprises privées tendent à penser qu’elles sont transposables au secteur public. La plateformisation des fonctions compliance vient en aval des dispositifs de cartographique des risques qui consiste à identifier des situations risquées selon des matrices prédéfinies et mises à jour régulièrement. L’approche de plateforme va permettre de structurer et d’organiser efficacement les informations pour les rendre consommables et mobilisables à tout moment.
Elle permet de répondre à deux défis nouveaux et majeurs qui sont ceux auxquels les acteurs et pouvoirs publics doivent se soumettre.
- Le premier consiste à déterminer une stratégie simple, robuste et efficace pour mobiliser la donnée et la rendre disponible à tout moment et simplement.
- La seconde vise à permettre la mise en œuvre de campagnes de déclarations.

Ces campagnes passent par un suivi opérationnel et quotidien ainsi que par une gestion efficace des entrées et sorties des collaborateurs dans l’outil de gestion adopté.

En définitif, cette stratégie et cette mise en œuvre ne pourra se faire efficacement que si, au sein d’une organisation donnée, les individus pourront identifier de manière quasi instantanée les bons interlocuteurs. L’enjeu principal au sein de l’organisation, avant de penser à la mise en œuvre opérationnelle des dispositifs et à leur efficacité, est de répondre à la question fondamentale : qui fait quoi au sein de l’organisation ? Cela vaut, peu importe le schéma d’organisation dans lequel on se place. Il est temps, d’adopter de nouvelles solutions pour répondre aux nouveaux défis posés aux pouvoirs publics et à ses émanations.

Sacha Gaillard, Juriste, Chef de projet chez Legalcluster, Maire-adjoint Ville de Saint-Cloud, Président-fondateur d’EspriTerritoires.