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La difficile reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Par Soliman Le Bigot et Aymeric de Bézenac, Avocats et Elodie Garoux, Juriste-Stagiaire.
Parution : mardi 28 septembre 2021
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Selon le préambule de la Constitution de 1946, annexée à notre Constitution actuelle, « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » [1]. Il s’agit ici d’une obligation de moyen visant à tout mettre en œuvre pour atteindre cet objectif.

Les travailleurs handicapés sont définis comme des personnes dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont réduites par l’altération d’une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique selon l’article L5213-1 du Code du travail.

Trouver un emploi en situation de handicap nécessite de se faire reconnaître « travailleur handicapé » puisque les entreprises de plus de 20 salariés doivent compter au moins 6% de salariés handicapés au sein de leurs effectifs [2].

Pourtant, elles peinent à remplir cette obligation.

Le travailleur victime d’un accident de travail qui vient consulter un avocat pour lui demander de l’accompagner par rapport aux conséquences de cet accident va devoir effectuer un très grand nombre de démarches. L’avocat sera alors un acteur incontournable pour le soutenir dans l’aboutissement de celles-ci.

Etape 1. Démarches vis à vis de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH).

Dans un premier temps, il suffit au travailleur handicapé de prendre contact avec le service d’accueil de la MDPH du département de son département de résidence. Pour cela, il peut se renseigner auprès de sa mairie ou sur l’annuaire officiel [3] en tapant “MDPH” puis son lieu de résidence. Une fois l’adresse trouvée il suffit de remplir le formulaire RQTH [4]. Il lui sera notamment demandé ses coordonnées, ainsi que des précisions sur sa situation familiale et professionnelle. Un encart appelé « projet de vie » devra expliciter ses attentes et besoins.

Cette partie permet à la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH), chargée de l’attribution de la RQTH, de comprendre sa situation actuelle, elle n’est donc pas à négliger.

Une fois le formulaire RQTH dûment rempli, il devra également fournir un certain nombre de documents supplémentaires :
- Une photocopie recto verso d’un justificatif d’identité,
- Une photocopie d’un justificatif de domicile,
- Un certificat médical officiel de moins de 6 mois rempli par le médecin généraliste [5].

Une fois le dossier complété, la demande devra être envoyée par lettre recommandée avec avis de réception auprès de la MDPH du lieu de résidence du travailleur handicapé.

Il est à savoir que dans certains départements, toutes les démarches sont simplifiées grâce à un site dédié qui permet de faire cette demande directement en ligne [6]. C’est le cas du Calvados, de la Charente-Maritime, du Loiret, de la Meurthe-et-Moselle et du Pas-de-Calais.

A savoir :

Quels sont les délais pour être reconnu travailleur handicapé ?
- Afin d’obtenir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, le dossier doit être examiné et validé par la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées, au sein même des MDPH. Elle est composée de plusieurs personnes (assistantes sociales, syndicats, membres d’associations de personnes handicapées…). Le délai légal de réponse est de 4 mois. Toutefois, ce délai est susceptible de varier suivant les MDPH.
- Après examen du dossier, la CDAPH reconnaîtra ou non le handicap, ainsi que ses conséquences sur les aptitudes au travail.

Quelle est la durée de l’attribution et de renouvellement de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ?
- La RQTH est attribuée pour une durée qui varie entre 1 à 10 ans (Article R241-31 du Code de l’action sociale et des familles) et devra être régulièrement renouvelée par le travailleur handicapé afin de ne pas perdre le bénéfice de celle-ci. La procédure sera identique à celle vue précédemment.
- Depuis le 1er janvier 2020, elle est attribuée de façon définitive lorsque le handicap est irréversible [7].

Etape 2. Démarches vis à vis de l’Assurance Maladie.

Les indemnités du travailleur handicapé sont moins favorables que dans le cadre d’un accident du travail mais celui-ci pourra bénéficier d’une rente. En effet, le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut, sous certaines conditions, bénéficier d’une rente d’incapacité permanente de travail.

Pour ce faire, le travailleur handicapé doit demander et subir une expertise médicale afin de faire reconnaître ses préjudices.

Une fois qu’intervient la consolidation faisant suite à la maladie ou à l’accident, c’est-à-dire, une fois le handicap stabilisé, le médecin conseil de l’Assurance Maladie détermine le taux d’incapacité permanente ou, en cas d’aggravation, le réévalue :
- Si le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) est inférieur à 10%, le travailleur handicapé percevra une indemnité en capital. Son montant dépend du taux d’incapacité et d’un barème est fixé par décret [8]. Elle est versée en une seule fois.
- Si le taux d’incapacité est supérieur ou égal à 10%, le travailleur handicapé percevra une rente d’incapacité permanente. Son montant dépend du taux d’incapacité et des salaires perçus pendant les 12 mois précédant l’arrêt de travail. La rente est versée chaque mois ou chaque trimestre. Elle peut être majorée de 40% sous certaines conditions, si le travailleur handicapé a besoin d’une personne à ses côtés.
- Si le taux d’incapacité est supérieur ou égal à 80% et que le travailleur handicapé ne peut pas effectuer les actes de la vie courante, il pourra bénéficier de la prestation complémentaire pour recours à tierce personne. Cette prestation est modulée sur la base de forfaits fixés en fonction de ses besoins d’assistance.

Les montants et les modalités de versement d’une rente d’accident du travail ou d’une rente de maladie professionnelle dépend du taux d’incapacité permanente dont est victime le salarié. La rente est égale au salaire annuel multiplié par le taux d’incapacité, mais l’un et l’autre vont se voir chacun appliquer des coefficients particuliers :
- Le salaire annuel pris correspond à la rémunération effective totale reçue chez un ou plusieurs employeurs pendant les douze mois civils qui ont précédé l’arrêt de travail. Le salaire pris en compte ne peut pas être inférieur à 18 631,28 euros ni être supérieur à 149 060,24 euros (tranche applicable depuis le 1er avril 2020).
- Seule la partie du salaire inférieure à 37 262,56 euros est intégralement prise en compte dans le calcul. Pour la partie supérieure à ce montant, seul un tiers du surplus est pris en compte. Ce tiers doit ensuite être additionné aux 37 262,56 euros.
- Le taux de l’incapacité permanente n’est compté que pour moitié pour la partie inférieure à 50%. La partie supérieure à 50% est multipliée par 1,5.
- Le montant de la rente est donc égal au montant du salaire retenu multiplié par le taux de la rente.

Lorsque le taux d’incapacité permanente est compris entre 10 et 50%, le versement a lieu tous les trimestres. Lorsqu’il est supérieur ou égal à 50%, le versement a lieu tous les mois. Ces versements ont lieu jusqu’au décès de la victime.

Enfin, le travailleur handicapé pourra demander la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ayant causé son accident. Pour ce faire, il saisira la caisse primaire d’assurance maladie. Celle-ci organisera une réunion de conciliation avec l’employeur.

A défaut de conciliation, le travailleur handicapé pourra saisir le Tribunal judiciaire pris en son pôle social afin que celui-ci se prononce sur l’existence d’une faute inexcusable et dans l’affirmative, sur l’évaluation des préjudices subis.

Une expertise médicale contradictoire permettra d’évaluer l’étendue de ces préjudices.

Si le travailleur handicapé bénéficie d’une rente au titre de son incapacité permanente partielle (IPP), la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur entraînera la majoration de cette rente.

Etape 3. Démarches vis à vis du Cap emploi.

Il existe 98 Cap Emploi en France, répartis sur l’ensemble des départements pour apporter, aux personnes en situation de handicap et aux entreprises qui les emploient, une aide de proximité.

Dans le cadre de leur mission de service public, les Cap Emploi préparent et accompagnent les personnes handicapées pour trouver un emploi, puis les suivent au-delà de leur prise de poste pour les aider à s’intégrer au mieux et adapter leur environnement de travail.

Afin de bénéficier de l’aide gratuite de Cap emploi, le travailleur handicapé devra contacter directement l’organisme de son département. Pour obtenir le numéro de téléphone et l’adresse du Cap Emploi du département de résidence du travailleur handicapé, il faut se rendre sur l’annuaire en ligne disponible sur le site internet de l’Agefiph [9].

Etape 4. Le retour au travail du travailleur handicapé.

Lorsqu’un salarié a été déclaré inapte par un médecin du travail il doit se voir reclasser, et en cas d’impossibilité du reclassement il peut être licencié par l’employeur [10].

Le reclassement obéit à certaines conditions :
- L’employeur est dans l’obligation selon les articles L1226-2 et L1226-10 du Code du travail de rechercher dans le délai d’un mois à compter de l’examen médical, un emploi approprié aux capacités du salarié et similaire à l’emploi précédent ;
- L’employeur doit également proposer un poste qu’il a recherché dans l’entreprise, ou le cas échéant, dans le groupe de sociétés auquel l’employeur appartient. Mais surtout l’employeur doit exécuter son obligation de reclassement de manière sérieuse et loyale.

Actualité : Dans un arrêt du 3 juin 2020 (n°18-21993), la Chambre sociale de la Cour de cassation a consolidé la protection du travailleur handicapé en statuant que le défaut de reclassement d’un salarié handicapé dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude, constitue un licenciement discriminatoire. Le Code du travail prévoit des dispositions spécifiques à l’égard du travailleur handicapé, c’est la raison pour laquelle en cas de manquement par l’employeur à l’une des obligations prévues en cas de licenciement d’une personne souffrant d’un handicap, celui-ci sera réputé nul.

Concernant le licenciement motivé par la perturbation du fonctionnement de l’entreprise, un arrêt de la chambre sociale du 24 mars 2021 (n°19-13188) rappelle qu’un salarié en arrêt de travail pour maladie peut être licencié si son absence prolongée ou ses absences répétées ont un impact sur « la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé ».

Ce motif de licenciement n’est pas contraire à l’article L1132-1 du Code du travail qui interdit le licenciement d’un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap.

Les perturbations causées doivent toutefois résulter de l’absence du salarié et imposer à l’employeur de procéder au remplacement définitif de l’absent « à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci ».

Enfin, en matière de discrimination salariale, la Cour de justice des communautés européennes a précisé dans un arrêt du 26 janvier 2021 [11] l’application de l’article 2 de la Directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

En l’espèce un hôpital a décidé d’octroyer un complément de salaire mensuel aux travailleurs qui communiqueraient après la réunion d’information une attestation de reconnaissance de handicap.

Des salariés victimes de handicap n’ont pas bénéficié du complément de salaire au motif qu’ils avaient transmis leur attestation tardivement alors même qu’ils avaient déjà transmis cette attestation à leur employeur dans un autre cadre.

L’objectif de l’employeur était d’inciter les travailleurs handicapés à communiquer leur attestation à l’hôpital afin de lui permettre de justifier d’un nombre effectif de personnes handicapées employées entraînant la réduction du montant des contributions dues par l’employeur au Fonds national pour la réadaptation des personnes handicapées.

La Cour retient que la discrimination entre personnes handicapées peut être retenue.

Elle relève que la situation des travailleurs handicapés bénéficiant du complément de salaires et leurs collègues malheureux est comparable. Elle estime enfin que la condition temporelle imposée par l’employeur pour bénéficier du complément de salaire « constitue un critère indissociablement lié au handicap des travailleurs auxquels ce complément a été refusé » dans la mesure où :
- L’attestation de reconnaissance de handicap ouvre des droits spécifiques découlant du handicap ;
- L’employeur n’a pas laissé la possibilité aux travailleurs handicapé ayant antérieurement remis leur attestation de lui remettre de nouveau cette attestation ou d’en déposer une nouvelle une fois l’information effectuée : ainsi, des travailleurs handicapés connus de l’employeur, qui disposait déjà de leur attestation ont pu être privé du complément de salaire faute d’avoir à nouveau procédé à la remise de cette attestation dans les délais requis.

La Cour conclut par conséquent à l’existence d’une discrimination indirecte.

Ainsi, comme le rappelle à juste titre, dans un précédent article, notre confrère Maître Romain Omer, « se taire ne veut pas dire renoncer pour autant à ses droits ! » (Voir l’article Droit des travailleurs handicapés : « se taire ne veut pas dire renoncer à ses droits ! ». Par Romain Omer, Avocat.)

Par principe, les salariés handicapés travaillant en milieu ordinaire ont les mêmes droits et obligations que les autres.

De plus, ceux-ci ne sont pas tenus de révéler cette situation à l’employeur [12]. Chacun a le droit à la discrétion sur son état puisque la santé relève de la médecine et donc du secret médical.

Pour autant, il résulte de ce qui précède qu’un avocat compétent et bien formé sur ces questions possède à sa disposition des outils et des leviers juridiques importants pour faire valoir les droits du salarié handicapé, si celui-ci le souhaite. L’actualité en témoigne.

Par Soliman Le Bigot et Aymeric de Bézenac avocats à la Cour et Elodie Garoux, juriste - stagiaire LBM avocats

[7Article L5213-2 du Code du travail, dans sa version issue de la loi Avenir professionnel n° 2018-771 du 5 septembre 2018, applicable au 1er janvier 2020.

[9https://www.agefiph.fr/annuaire et sélectionner le département concerné

[11C-16/19 VL - Szpital Kliniczny.

[12Cass.soc.6 mai 2003, n°01-41.370.