Village de la Justice www.village-justice.com

Résiliation judiciaire du contrat de travail : les manquements graves retenus par les juges en 2021 (2ème partie). Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : mercredi 29 septembre 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/resiliation-judiciaire-quels-manquements-graves-sont-retenus-par-les-juges-2021,40280.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Nous avons vu précédemment quels manquements graves permettaient d’obtenir la résiliation judiciaire en matière de rémunération (en savoir plus Résiliation judiciaire du contrat de travail : les manquements graves retenus par les juges en 2021 (1ère partie)). Analysons quels sont les manquements graves retenus par les Juges en 2021 en matière d’inaptitude, d’obligation de sécurité, de surcharge de travail et de harcèlement.

- I. Lorsque l’inaptitude et la maladie du salarié sont considérés comme manquements graves.

- 1er arrêt [1] :

S’agissant d’une Secrétaire comptable en arrêt maladie déclaré inapte qui sollicite la résiliation judiciaire de son contrat puis prend acte de la rupture de son contrat de travail (en savoir plus sur la prise d’acte : La prise d’acte du salarié en 2019).

La salariée soulevait 4 manquements dont 2 sont retenus par la Cour : l’absence de reprise du paiement de salaire 1 mois après l’avis d’inaptitude et le manquement à l’obligation de sécurité. La Cour précise que ces 2 manquements ont eu des « conséquences sur les moyens de subsistance et la santé de la salariée ».

Comme en matière de rémunération, (en savoir plus : Résiliation judiciaire du contrat de travail : les manquements graves retenus par les juges en 2021 (1ère partie)), la précarité financière du salarié entre en ligne de compte pour apprécier la gravité du manquement.

- Dans le même sens 2ème arrêt [2] :

L’absence de visite de reprise est un grave manquement retenu par les juges, l’employeur a l’obligation essentielle d’organiser la visite de reprise du salarié en invalidité 2ème catégorie dès qu’il en fait la demande.

- 3ème arrêt [3] :

L’absence de visite d’embauche et de reprise :

L’employeur d’une Ouvrière en maroquinerie en arrêt maladie n’a pas organisé la visite d’embauche et de reprise dans les délais légaux, manquements auxquels s’ajoutent le défaut de paiement de sa rémunération contractuelle et le maintien de son salaire durant ses arrêts de travail, graves manquements justifiant pour la Cour la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée.

- 4ème décision [4] :

Une Serveuse en arrêt maladie ne parvient pas à obtenir de son employeur la remise de ses attestations de salaire, malgré ses relances, ainsi n’obtempèrera qu’après saisine par la salariée de l’inspection de travail.

La Cour prononce la résiliation judiciaire en constatant que la salariée prouve les démarches qu’elle a dû effectuer auprès des différents organismes ou institution pour obtenir des subsides ou des aides, confirmant ainsi la situation de grande précarité dans laquelle l’a placé l’employeur.

Retenez donc la nécessité de justifier non seulement des manquements graves de votre l’employeur mais également des conséquences de ces manquements sur votre situation financière et sur votre état de santé (justifiez de vos prêts bancaires, et par attestations des aides familiales/amicales reçues, de vos ordonnances, certificats médicaux, arrêts maladies etc.).

- II. Lorsque le non-respect de l’obligation de sécurité de l’employeur justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail [5].

Un Vendeur est en arrêt maladie après une grave altercation avec un salarié.

Il demande aux Juges de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude.

Il invoque devant la Cour les manquements de son employeur à son obligation de sécurité compte tenu de l’agression subie sur son lieu de travail et de l’absence de mesures prises pour lui garantir la reprise de son travail dans des conditions sereines.

Il produit sa main courante où il explique qu’il a été attrapé par la gorge et giflé par son collègue et indique que son employeur a tardé à effectuer la déclaration d’accident de travail obtenue après des demandes répétées de sa part.

Il justifie que l’agressivité de son collègue était connue de la direction qui n’ignorait pas la « multiplication des altercations et des violations ».

La Cour relève que la société n’a ni convoqué ni sanctionné le salarié violent « aucune mesure n’a été prise… ni préalablement ni postérieurement à l’agression de nature à éviter le renouvellement de tels agissements, l’agresseur du salarié travaillant toujours dans le même magasin ».

On relèvera ici que la résiliation judiciaire a été prononcée en l’absence de sanction par l’employeur de l’auteur de l’agression et sa connaissance du comportement antérieur violent du salarié auteur des faits, comme autant de facteurs confortant la gravité des manquements reprochés.

- III. Lorsque la surcharge de travail justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail.

1. Les heures supplémentaires.

- Et la charge de la preuve incombant au salarié et à l’employeur.

Le contentieux des heures supplémentaires tient une place prépondérante dans les ruptures de contrat prononcées aux torts des employeurs (en savoir plus : Salariés, sachez obtenir le paiement de vos heures supplémentaires) [6].

Un Technico-commercial sollicite le règlement de ses heures supplémentaires à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il en est débouté aux motifs que les pièces qu’il produit « ne permettaient pas de déterminer les horaires réellement accomplis par le salarié au cours de ses tournées » et que son décompte « est insuffisamment précis en ce qu’il ne précise pas la prise éventuelle d’une pause méridienne ».

Mais en matière d’heures supplémentaires, la preuve n’est pas uniquement à la charge du salarié qui doit présenter des éléments suffisamment précis l’employeur devant alors répondre aux éléments qu’il communique.

C’est exactement ce que rappelle la Cour de Cassation en accueillant le pourvoi du salarié aux motifs que « le salaire présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre… ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la Cour d’Appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé concernant la charge de la preuve des heures supplémentaires » (art. L3171-4 du Code du travail).

- Le délai d’un an pour dénoncer les faits n’est pas trop ancien [7].

Une Assistante administrative demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour non paiement d’heures supplémentaires.

La Cour d’Appel y fait droit en constatant que « le non paiement d’heures supplémentaires pendant une durée d’un an et l’existence d’un travail dissimulé constituant des manquements suffisamment graves pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur dans la mesure où rien ne permet d’affirmer que (la salariée) se soit accommodée de la situation qu’elle a dénoncée, sa dénonciation est en effet intervenue au bout d’un an ce qui ne peut être considéré comme trop tardif ».

2. L’épuisement professionnel conséquence du dépassement de l’amplitude maximale de travail [8].

Une Aide médico-psychologique demande au Juge de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis elle fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude.

La Cour constate que « le manquement de l’employeur est caractérisé par une violation d’une durée maximale de travail quotidienne et hebdomadaire… l’importance des dépassements de la durée maximale de travail et (son) caractère réitéré… et que la dégradation de l’état de santé (de la salariée) en épuisement professionnel » justifié par l’attestation d’une psychologue clinicienne établit « un lien de causalité entre le dépassement des horaires maximaux de travail de la salariée et la dégradation de son état de santé en raison d’un épuisement professionnel ».

Soyez donc vigilant avant d’engager une procédure en résiliation judiciaire et vérifiez si le manquement que vous soulevez est réitéré et suffisamment important pour répondre à la définition du manquement grave rendant impossible le maintien du contrat de travail.

Dans le même sens pour une absence de versement de salaire au taux horaire applicable doublé d’une absence de paiement de l’indemnité de trajet de de transport [9].

3. Le temps de pause [10].

La pause du salarié est une obligation légale que l’employeur doit respecter (article L3121-16 du Code du travail).

Dans cette décision la Cour d’Appel considère que le salarié n’établissait pas avoir été privé de ses pauses, mettant ainsi irrégulièrement la charge de la preuve uniquement sur le salarié.

Arrêt cassé au motif que « la preuve du respect du temps de pause incombe à l’employeur et casse l’arrêt d’appel qui déboutait une employée commerciale de sa demande de résiliation judiciaire indiquant que la salariée allègue qu’elle « ne pouvait pas toujours prendre sa pause… mais qu’elle n’en rapporte pas la démonstration par la production, par exemple, d’attestations le confirmant », inversant la charge de la preuve et violant l’article L3121-16 du Code du travail ».

IV. Le harcèlement manquement grave retenu par les Juges [11].

Une Attachée commerciale saisit la juridiction prud’homale en résiliation de son contrat de travail puis est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle invoque le harcèlement sexuel de son N+1.

L’employeur se défendait en arguant avoir proposé à la salariée « de (la) changer de service afin de ne plus avoir à côtoyer (le harceleur), mesure de nature à préserver sa santé et sa sécurité ».

Mais la Cour de Cassation n’est pas plus sensible à cette argumentation que la Cour d’Appel, la victime de faits de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique sanctionné pénalement pour ces faits

« avait développé un syndrome dépressif réactionnel pris en charge au titre des accidents du travail, … l’employeur n’avait pris aucune mesure pour éloigner l’auteur du harcèlement du poste occupé par la salariée, et s’est contenté de le sanctionner d’un avertissement ».

On retiendra l’intransigeance des Juges en matière de harcèlement sexuel et la nécessité pour l’employeur dès qu’il a connaissance des actes de harcèlement de prendre une mesure immédiate d’éloignement et de sanction du harceleur, ainsi que la nécessité de justifier aussi des conséquences du harcèlement sur votre état de santé (voir plus haut pour les pièces conseillées).

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[1Cour d’Appel de Reims 1er septembre 2021 (RG n°20/00101).

[2Cass. Soc. 6 janvier 2021 RG n°19-19277.

[3Cour d’Appel de Bourges 18 juin 2021 (RG n°19/01498).

[4Cour d’Appel d’Amiens 18 février 2021 (RG n°19/08194).

[5Cour d’Appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 8, 2 septembre 2021 RG n°18/05508.

[6Cass. Soc. 27 janvier 2021 n°17-31046.

[7Cour d’Appel d’Angers 14 janvier 2021 RG n°18/00326.

[8Cour d’Appel de Toulouse 21 mai 2021 RG n°19/00954.

[9Cour d’Appel d’Aix en Provence 14 janvier 2021 RG n°20/05139.

[10Cass. Soc. 19 mai 2021 n°19-14510.

[11Cass. Soc 17 février 2021 RG n°19-18149.

Comentaires: