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[Point de vue] Indemnisation du préjudice corporel : le mirage des barèmes. Par Hadrien Muller, Avocat.
Parution : mercredi 29 septembre 2021
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Le processus pour obtenir réparation après un préjudice corporel n’est pas des plus courts. Et pour les victimes qui peuvent commencer à trouver le temps long, toute information supplémentaire s’avère réconfortante face à l’incertitude. C’est pourquoi elles sont nombreuses à se rapporter aux différents barèmes promettant des éléments de réponse. Mais ils donnent le plus souvent une image faussée de l’indemnisation car ils ne peuvent apporter une évaluation ad hoc.

I. L’attractivité des barèmes auprès des victimes de préjudices corporels.

Les barèmes d’indemnisation des préjudices corporels proposent des éléments de réponse aux nombreuses questions que peuvent se poser les victimes. Mais leur fonctionnement comporte une grande marge d’imprécision.

Un rempart contre l’attente et l’incertitude.

Les victimes de préjudices corporels souhaitant obtenir une indemnisation adéquate sont souvent soucieuses d’acquérir une documentation des plus complètes en la matière. Et dans ce cas, les barèmes (par exemple AIPP 2019) peuvent se révéler très attractifs car ils permettent d’avoir une vision plus claire de ce qu’elles peuvent espérer [1]. Il peut également arriver qu’elles ne soient pas satisfaites par la proposition d’indemnisation. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’elles soient de plus en plus nombreuses à se rapporter aux différents barèmes.
Une simple recherche sur Internet permet de trouver facilement différents barèmes en matière d’indemnisation des préjudices corporels. Ils se présentent sous forme de grilles et de simulateurs permettant d’apporter une estimation chiffrée de l’indemnisation à laquelle on peut avoir droit en fonction du préjudice subi. Et le barème AIPP ou DFP. Une fois la date de la consolidation établie le médecin attribuera lors de son examen un certain nombre de points AIPP ou IPP. Celui-ci désigne le degré d’atteinte qu’a subi la victime. Il est calculé en pourcentage, (30% étant équivalent à 30 points). Et ces points servent d’éléments de jauge des barèmes proposant d’évaluer le montant de l’indemnisation adéquate.

Une marge d’erreur lors de l’expertise.

Ainsi, ces simulations reposent sur la qualification du préjudice établi après consolidation. Et cette notion est définie comme le moment où l’état de la victime est considéré s’être stabilisé. C’est uniquement à ce stade que le médecin est capable d’évaluer les atteintes permanentes à l’intégrité physique et psychique. Ainsi, c’est la base de calcul de l’indemnisation à laquelle la victime aura droit.
Mais pour une adéquate évaluation des séquelles un grand nombre de variables et de standards doivent être pris en compte. Par exemple, il peut arriver que le médecin soit dans l’obligation de faire appel à un sapiteur, expert en un domaine spécifique (ophtalmologue, neurologue, etc.) Malheureusement, même lorsqu’il a satisfait à ses obligations, il peut arriver que le préjudice soit sous-évalué. En effet, la date de consolidation, les séquelles permanentes, les préjudices extrapatrimoniaux (tels que DFP, souffrance endurées, préjudice d’agrément) et autres éléments clés sont très difficiles à établir avec certitude.

Cette marge d’erreur à elle seule empêche les victimes d’obtenir une réponse rassurante en se rapportant aux barèmes. Mais ceux-ci présentent bien d’autres limites.

II. Le caractère unique de chaque cas, clef de voûte du calcul de la réparation

Certains barèmes proposés par les assurances font miroiter des sommes qui peuvent paraître importantes pour les victimes. Mais ceux-ci omettent souvent dans leur calcul d’importants postes de préjudice. Par conséquent, il arrive souvent que les victimes aient une idée moindre de ce qu’ils pourraient réellement percevoir.

Pourquoi les barèmes sont imprécis ?

Tout d’abord, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des barèmes ne sont pas destinés aux victimes. Il en existe une multitude, et on ne sait pas souvent vers lesquels se diriger. Par exemple, pour qualifier la gravité du préjudice, le médecin s’appuie sur le barème de la profession médicale (en fait le barème du concours médical). Ensuite, en fonction de son rapport, l’assureur s’appuiera sur le barème de l’AIPP ou DFP pour évaluer le montant de l’indemnisation. Par ailleurs, en présence de plusieurs taux d’incapacité, c’est le médecin qui détermine lui-même les calculs pour les combiner.
De plus, se fier aux barèmes c’est supposer que le calcul de l’indemnisation se fait de manière automatisée. Or, celui-ci se fait au cas par cas, en prenant en compte les spécificités de chaque victime. Par exemple, un doigt cassé aura d’autant plus d’impact si la victime est couturière.

Une évaluation du préjudice subjective.

L’évaluation du préjudice et de l’indemnisation adéquate est un processus long et subjectif. Le taux d’incapacité est évalué du médecin expert au payeur, et sert ensuite d’indicateur pour chiffrer l’indemnisation à l’aide des barèmes. Alors que les victimes attendent souvent de ces derniers un calcul automatisé de l’indemnisation, en réalité cela est impossible. En effet, ils ne sont destinés qu’à être utilisés par les acteurs du processus d’indemnisation.
Ces barèmes n’ont pas de pouvoir contraignant et sont là uniquement pour apporter des éléments indicatifs. Donc, les experts ne sont pas tenus de les appliquer à la lettre. Ainsi, comme pour toutes les étapes d’une procédure de demande d’indemnisation, il est nécessaire d’être bien entouré. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, les barèmes peuvent en réalité donner une évaluation de l’indemnisation inférieure à celle à laquelle les victimes ont réellement droit.

N’oublions pas qu’il existe différents barèmes qui donnent des résultats différents. Par exemple, pour un DFP (déficit fonctionnel permanent) de 20% à l’âge de 30 ans, un barème peut donner une indemnisation de 40 000€ quand un autre pourra indiquer 60 000 €.

Alors, bien qu’il soit tentant de calculer soi-même son indemnisation, cette approche présente de nombreuses limites. Et elle peut facilement induire en erreur la victime en quête de réponses. Malgré l’insoutenable l’attente, elle ne pourra les obtenir entièrement qu’au moment du dénouement de la procédure.

Hadrien Muller, Avocat au Barreau de Paris, Spécialisé en droit du dommage corporel.