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Harcèlement : recevabilité de l’appel d’un salarié suite à une action de substitution d’un syndicat. Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.
Parution : jeudi 30 septembre 2021
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Par un arrêt du 8 septembre 2021 (n°20-14.011), la Cour de cassation s’est prononcée sur la recevabilité d’une action engagée par une salariée mais ultérieurement à une action de substitution engagée par un syndicat sur le même objet, en matière de harcèlement moral.

Sur le fondement de l’article 1355 du Code civil, la Cour de cassation a jugé que la salariée est recevable à former un appel sur une décision rendue suite à une saisine d’un syndicat, dès lors que les deux actions ont les mêmes motifs et le même objet.

1) Les faits.

Une salariée a été engagée à compter du 1er février 1995 en qualité de vendeuse par un établissement d’une société.

En date du 8 février 2012, le contrat de travail de la salariée a été transféré par convention à une autre société, sur un poste de coordinatrice « global retail ».

Suite à ce transfert, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 22 mars 2012.

En conséquence, le syndicat CFTC-CMTE a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, d’une action de substitution fondée sur l’article L2313-2 du Code du travail, pour demander une enquête sur des faits de harcèlement moral dont la salariée aurait été victime.

Par un jugement du 26 novembre 2013, le conseil des prud’hommes de Paris a rejeté la demande du syndicat.

Dès lors, la salariée a formé un appel à l’encontre de ce jugement.

Or, par un arrêt du 13 février 2018, la cour d’appel de Paris a rejeté la demande de la salariée au motif qu’elle n’était pas partie à l’instance précédente.

De ce fait, la salariée s’est pourvue en cassation sur le fondement de l’article 1355 du Code civil qui dispose que

« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».

2) Les moyens.

La salariée fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Paris d’avoir déclaré irrecevable sa demande.

A cet effet, la salariée souligne que l’action de substitution est une action personnelle au syndicat et non une action par représentation des salariés, mais que à cet égard, le salarié ne peut être considéré comme tiers à l’instance engagée par le syndicat.

Ainsi pour l’application du principe de l’autorité de la chose jugée qui n’a lieu qu’à l’égard des parties qui ont été présentes ou représentées au litige, la salariée soutient qu’une identité de parties doit donc être retenue entre les deux instances.

Aussi, la salariée convient que le principe d’unicité d’instance est applicable seulement en cas d’identité de parties, identité étant constatée en l’espèce car le syndicat n’agissait pas par représentation de la salariée.

3) Une action de substitution intentée par un syndicat en première instance, fait-elle obstacle à ce que le salarié intéressé engage ultérieurement une action au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail ?

Non, répond la Cour de cassation.

La Cour de cassation répond par la négative, et casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, sur le fondement de l’article 1355 du Code civil.

La Cour de cassation rappelle en premier lieu que :

« l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».

Par-là, selon la Cour de cassation :

« ni le principe de l’autorité de la chose jugée, ni celui de l’unicité de l’instance ne font obstacle à ce que, suite à un jugement rendu par la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article L2313-2 du Code du travail, dont l’objet est de faire ordonner les mesures propres à faire cesser une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles, le salarié intéressé engage ultérieurement une action au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail ».

En d’autres termes, la salariée est recevable à interjeter appel d’un premier jugement dont la Cour a été saisie par une organisation syndicale, si l’appel est fondé sur les mêmes moyens et si il a le même objet que l’action précédente, contre tout principe de l’autorité de la chose jugée et de l’unicité de l’instance.

Or en l’espèce, il est révélé que les deux actions intentées par le syndicat et par la salariée, avaient bien le même objet dès lors qu’elles portaient sur le harcèlement moral, quand bien même l’une portait sur la demande d’une enquête, et l’autre sur la demande d’une résiliation judiciaire du contrat de travail.

Il apparait que cette décision est favorable aux salariés, leur permettant un accès plus libre à la justice.

Source : Site de la Cour de cassation : Cass. Soc., 8 septembre 2021, n°20-14.011.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum