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Eruption d’un volcan aux îles Canaries : quelles conséquences pour les passagers ? Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.
Parution : mercredi 29 septembre 2021
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Le volcan Cumbre Vieja, qui est entré en éruption le 19 septembre 2021, a provoqué d’importantes disruptions. Les passagers qui souhaitent se rendre sur La Palma ou quitter l’île en avion sont susceptibles de voir leur vol perturbé par l’éruption du volcan : annulation, retard…Il en va de même pour ceux qui devaient décoller ou atterrir aux aéroports de Tenerife-Sud et Tenerife-Nord, dont le fonctionnement a été également impacté. Quels sont les droits des passagers aériens dans cette situation ?

Pas d’indemnisation pour les passagers concernés.

Tous ces voyageurs ont un point commun : leurs droits sont protégés par le règlement (CE) n°261/2004 du 11 février 2004. Ce règlement a vu l’Union Européenne édicter un certain nombre de règles communes qui gouvernent la responsabilité des compagnies aériennes vis-à-vis de leurs passagers en cas de perturbations de leurs vols.

Des droits importants pour les passagers émanent de cette responsabilité des compagnies aériennes. Ainsi, une compensation financière dont le montant est indexé principalement sur la distance du voyage est prévue à l’article 7. Le règlement prévoit effectivement que si la compagnie est responsable de l’annulation du vol (et également si elle est responsable d’un retard important depuis le fameux arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne “Sturgeon contre Condor Flugdienst GmbH” (C-402/07) du 19 novembre 2009) elle doit indemniser le passager d’un montant de 250€, 400€ ou 600€. Cependant, les compagnies peuvent être exemptées de cette obligation d’indemnisation si elles prouvent que la perturbation du vol concerné est plutôt imputable à une circonstance extraordinaire. La CJUE, selon une jurisprudence constante et encore récemment rappelée dans un arrêt “LE c. Transportes Aéreos Portugueses SA” (C‑74/19) du 11 juin 2020 qu’une circonstance extraordinaire correspond à un évènement qui :
- Non seulement, par sa nature ou son origine, n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné,
- Mais qui doit également échapper à la maîtrise effective de ce transporteur.

En l’espèce, la situation actuelle est similaire à celle qu’ont connu les voyageurs qui devaient prendre l’avion lorsque le volcan islandais Eyjafjallajökull est entré en éruption en mars 2010. La CJUE a eu l’occasion de traiter un litige aérien dans ce contexte, et a déterminé dans l’arrêt “McDonagh contre Ryanair Ltd” (C‑12/11) du 31 janvier 2013, que la fermeture de l’espace aérien à la suite d’une éruption volcanique était bien une circonstance extraordinaire.

Il peut donc sans trop de risques être affirmé que les passagers affectés par l’éruption du Cumbre Vieja ne pourront donc pas exiger d’indemnisation forfaitaire pour compenser le préjudice subi.

Les compagnies doivent prendre en charge les besoins des passagers.

Les droits des passagers ne s’arrêtent cependant pas avec l’indemnisation. Le règlement prévoit surtout à son article 8 la prise en charge des besoins des voyageurs. Dans le cas d’un retard, les compagnies doivent notamment permettre à leurs passagers de se rafraîchir et de se restaurer gratuitement. Plus important encore : à la suite d’une annulation, et si le prochain vol ne décolle que le lendemain ou plusieurs jours après la date de décollage prévue initialement, la compagnie doit prendre en charge les nuits à l’hôtel en attendant ce vol, ainsi que le transport entre cet hôtel et l’aéroport.

Est-ce qu’une circonstance telle que l’éruption d’un volcan est susceptible de réduire cette obligation de prise en charge des passagers ?

Dans l’arrêt “McDonagh contre Ryanair Ltd” précédemment cité, la compagnie Ryanair refusait de prendre en charge la nuitée de passagers qui ont dû attendre plusieurs jours à l’hôtel avant de pouvoir repartir. L’éruption du volcan islandais était en effet telle que le transport aérien dans cette zone a été longuement paralysé. La CJUE a pourtant déterminé que, quelle que soit la nature ou la durée de la circonstance extraordinaire en cause, celle-ci ne libère pas le transporteur aérien de son obligation de prise en charge des besoins du passager, y compris des frais d’hébergement à l’hôtel supportés à la suite de l’annulation d’un vol. La CJUE précise évidemment que, dans le cas où les passagers auraient dû avancer les frais de leur propre prise en charge, la compagnie ne devrait rembourser que “des sommes qui, au vu des circonstances propres à chaque espèce, s’avéraient nécessaires, appropriées et raisonnables afin de suppléer la défaillance du transporteur aérien”

Attention : ceci ne vaut que si la compagnie annule elle-même un vol. Les passagers qui souhaitent eux-mêmes annuler un vol en raison des circonstances ne pourront exiger une prise en charge de leurs besoins par leur compagnie aérienne.
Si elles annulent un vol, les compagnies doivent rembourser les passagers.

Autre droit très important garanti par le règlement : celui d’être remboursé en cas d’annulation de son vol. L’article 8 du règlement précise que ce remboursement doit intervenir dans un délai de 7 jours. Il est à son tour cité par les articles 5 et 6 précisant les évènements déclenchant ce remboursement :

- À l’occasion d’un retard d’au moins cinq heures ;
- À l’occasion d’une annulation, auquel cas la compagnie peut proposer au passager le choix entre un remboursement et un vol de réacheminement.

Si celui-ci peut paraître évident, l’effondrement du transport aérien en 2020 avec la pandémie de Covid-19 a démontré que les compagnies aériennes peuvent chercher à tout faire pour éviter ou retarder le remboursement des passagers. Le plus souvent, elles ont proposé, voire imposé des avoirs valables sur un prochain vol.

Pourtant, la règle imposée par le règlement européen est très simple : si la compagnie aérienne doit annuler un vol, et quelle que soit la raison de cette décision, elle doit rembourser le passager, et ce, dans un délai de 7 jours. Cette règle élémentaire a d’ailleurs été rappelé par la commissaire européenne aux Transports Adina VALEAN, au plus fort de la pandémie : “Vous pouvez proposer de préférence un bon aux passagers, mais vous ne pouvez pas les forcer à l’accepter”. Si une compagnie peut proposer un avoir aux passagers, elle ne peut en aucun cas leur imposer un avoir sans leur consentement. Bien entendu, si la compagnie propose un vol de réacheminement aux passagers vers la destination prévue, et que ceux-ci l’acceptent, elle n’est alors plus tenue de les rembourser.

En résumé, les passagers concernés par l’annulation et le retard de leur vol du fait de l’éruption du volcan Cumbre Vieja pourront donc exiger de leur compagnie qu’elle prenne en charge ou rembourse les rafraîchissements, leur restauration et éventuellement leurs nuits à l’hôtel en attendant un nouveau vol. En cas d’annulation d’un vol, les passagers ont également le droit d’être remboursés, à moins qu’ils n’acceptent un vol de réacheminement vers leur destination finale. Ils ne pourront cependant pas exiger d’indemnisation auprès de la compagnie aérienne.

Si l’aéroport de La Palma est aujourd’hui rouvert, après avoir été fermé environ 24 heures à partir du samedi 25 septembre, il est tout de même conseillé aux passagers de consulter leur compagnie pour être informés du statut de leur vol à venir.

Anaïs Escudié, Fondatrice de RetardVol et Guilhem Della Malva, Juriste expert chez RetardVol