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[Point de vue] Les risques psychosociaux n’existent pas dans le Code du travail. Par Rémy Poulain, Juriste.
Parution : lundi 4 octobre 2021
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La loi du 17 janvier 2002 a élargi la définition du harcèlement sexuel et introduit la notion de harcèlement moral dans le Code du travail. C’est l’apparition des risques psychosociaux, même si le terme n’est pas employé. Ainsi, la locution « risques psychosociaux » n’existe pas dans les articles du Code du travail [1].

Les risques psychosociaux sont seulement cités dans une des sections de jurisprudences de l’article L4121-1, et n’apparaissant pas dans l’index non plus. Et dans la jurisprudence, ce n’est pas mieux…

La jurisprudence.

La jurisprudence des hautes juridictions est peu abondante lorsque la recherche est circonscrite à la locution « risques psychosociaux » [2] dans le domaine du droit du travail [3].

Sur 63 arrêts [4], 24 proviennent de l’ordre administratif (21 issus des cours d’appels administratives et 3 du conseil d’État [5], 39 de la Cour de cassation. Si l’on affine les données, il faut tenir compte de la localisation de la locution « risques psychosociaux » dans les arrêts. Si l’on ne compte que les fois où la locution est présente dans la motivation [6], il ne reste que 9 arrêts [7] de la justice administrative et 27 de la Cour de cassation [8]. Dans les autres cas, elle n’est présente que dans les moyens, sans avoir été retenue par les magistrats. Le fait que la locution ne soit pas présente n’est pas en soi un
signe d’échec du dossier ou de non reconnaissance des risques psychosociaux.

De même, un cas comportant plusieurs dossiers identiques d’un même employeur n’est compté que comme une seule décision.

Le premier arrêt date de 2010. Depuis, le nombre d’arrêts va croissant : 2010 : 1, 2011 : 1, 2012 : 3, 2013 : 1, 2014 : 5, 2015 : 9, 2016 : 14, 2017 : 7, 2018 : 13, 2019 : 9, Total 63.

Comme on peut le constater, tant les arrêts que les moyens comportant la locution « risques psychosociaux » sont en augmentation. La cohorte n’est toutefois pas suffisante pour en tirer des pourcentages, mais juste une information indicative.

En jurisprudence administrative, 10 motifs apparaissent sur 24 arrêts :
- 7 fois : contestation d’autorisation de licenciement ou de révocation,
- 4 fois : injonction de l’Administration (IT ou DIRECCTE) sur la santé-sécurité au travail,
- 3 fois : réorganisation sans PSE,
- 3 fois : homologation de PSE,
- 2 fois : litige portant sur la protection fonctionnelle,
- 1 fois : contestation de décision du CHSCT,
- 1 fois : indemnisation suite à harcèlement,
- 1 fois : procès verbal pour non respect du DUERP,
- 1 fois : demande de document administratif du CHSCT à l’IT,
- 1 fois : droit d’alerte.

Soit environ 20 cas sur 24 qui seraient des cas à caractère collectif plus qu’individuel.

Pour les arrêts dont la motivation reprend la locution « risques psychosociaux », les juridictions ne s’étendent pas sur la description des visas employés, citant le plus souvent les deux lois portant sur le statut des fonctionnaires [9], ou le Code de justice administrative et le Code du travail sans autre précision.

En jurisprudence judiciaire, les arrêts étant plus nombreux, seuls ceux issus de la Cour de cassation sont retenus. Sur 39 arrêts, 34 sont issus de la chambre sociale, 3 de la chambre criminelle, et deux de la chambre civile. 7 motifs apparaissent sur 39 arrêts :
- 24 fois : un litige d’un CHSCT sur une expertise [10],
- 8 fois : un conflit individuel (licenciement),
- 3 fois : sur la santé-sécurité,
- 2 fois : sur le fonctionnement des IRP,
- 1 fois : sur le droit de retrait,
- 1 fois : un litige issu du TASS.

Soit environ 29 cas sur 39 qui seraient des cas à caractère collectif plus qu’individuel.
Pour les arrêts dont la motivation reprend la locution « risques psychosociaux », la Cour de cassation emploie les visas suivants :

- Obligations d’employeur en matière de santé sécurité :
L4111-5, R4511-5, R4511-1, L4121-1, L4121-2, L4121-3, L4121-5 du Code du travail, le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste.

- Droit d’alerte :
L4131-1, article L4132-2 du Code du travail.

- Harcèlement moral :
L1152-1, 1152-4 du Code du travail.

- Lié au CHSCT :
Article L4612-1, L4612-2, L4612-8, L4613-13, L4614-1, L4614-12, R4614-3, L4614-13, R4614-19, R4614-20, L4616-1 du Code du travail. La directive 89/391/CEE de l’Union européenne.

- Rupture du contrat de travail, licenciement et démission :
Articles L1231-1, L1235-1 et L1237-2 du Code du travail.

- Licenciement économique :
L1233-24-1, L1233-24-3, L1233-61, L1233-63 et L1235-7-1, L1233-57-2, L1233-57-4, L1233-57-5 du Code du travail.

- Mises en demeure du directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle :
Article L4721-1, L4723-1, 4723-3 et R4723-4 du Code du travail.

Une présentation trompeuse.

Une recherche de jurisprudences judiciaires avec le mot clé « harcèlement » donne 5813 résultats, tous degrés de juridictions confondus. Rien que pour la chambre sociale de la Cour de cassation, il y a plus de 2900 réponses, avec des arrêts datant de 1993. Une recherche avec le mot stress dans la même chambre fournit 538 résultats, avec un premier arrêt datant de 1990.

11 arrêts seulement ont la locution « risques psychosociaux » dans leur solution. La Cour d’appel administrative de Paris se permet de lister certains éléments caractérisant les risques psychosociaux. Il n’existe d’ailleurs aucun arrêt de principe avec la locution « risques psychosociaux ». Les arrêts faisant littéralement état de risques psychosociaux sont donc rares [11]. Tout étudiant, tout salarié, tout représentant du personnel effectuant une recherche sur la jurisprudence des risques psychosociaux risque d’être déçu devant d’aussi maigres résultats. C’est trompeur.

Les risques psychosociaux existent pourtant, mais la loi ne les définit pas directement.

Ils se présentent de différentes façons que le Code du travail désigne précisément et objectivement, avec des éléments comme le harcèlement moral, le harcèlement sexuel, l’agissement sexiste. D’autres façons de les désigner sont d’origine prétorienne : les violences verbales, la placardisation, la suppression d’autonomie décisionnelle, l’augmentation des cadences, la situation de travail délétère, l’épuisement professionnel, l’absence de prise de congés, le surcroît de travail, les objectifs inaccessibles par exemple.

Les risques psychosociaux font donc l’objet de nombreuses condamnations, sans que cela soit indiqué dans le jugement [12]. Juridiquement, les condamnations de RPS sont à l’image des icebergs : la très grande majorité des jugements est cachée sous des motivations de harcèlement, de non respect du principe de santé-sécurité, de déloyauté dans l’exécution du contrat, discrimination.

Ainsi, l’emblématique procès du harcèlement institutionnel à France Telecom a donné lieu à des condamnations pour harcèlement. Toutefois, le CSE n’ayant plus légalement dans ses attributions la prévention de la santé mentale, le nombre d’affaires judiciaires à traiter s’en ressentira dans les années à venir.

Risques ou conséquences ?

La Justice méconnaît les RPS mais crée une abondante production de décisions sur des points précis de droit lorsqu’il y a déficience de mesures de protection de la santé-sécurité ou préjudice. Ce sont les conséquences [13] qui sont jugées et non la cause, l’organisation. Sur le fond des décisions, une question peut être posée, à la lecture des visas et des affaires traités. Certaines affaires portent sur des risques, comme par exemple les demandes d’expertises des CHSCT sur un projet de réorganisation, sur la non-mise en place du DUERP, sur un droit d’alerte, réorganisation avec ou sans PSE, refus d’effectuer une action de prévention.

Aucune conséquence sur les salariés n’a été observée, on reste dans l’éventualité. Ce sont donc bien des risques psychosociaux que le juge a traités.

D’autres affaires ne portent plus sur des risques, mais sur la réalisation de ces risques : harcèlement moral, harcèlement sexuel, agissement sexiste, épuisement professionnel, autre problème de santé. Des conséquences sur les salariés ont été observées, qui donneront lieu à indemnisation. Le risque s’est déclaré et un acte juridique a vu le jour. C’est un évènement psychosocial que le juge a traité.

Le problème ne venant pas des individus mais de l’organisation, on peut suggérer de renommer ces éléments, par exemple, « l’organisation psychosociale » de l’entreprise, qui se subdivise en risque psychosocial (lorsque le risque ne n’est pas matérialisé) et en incident psychosocial, ou manifestation psychosociale, lorsque le risque s’est matérialisé.

En attendant, rien n’empêche les éditeurs d’ajouter « risques psychosociaux » à l’index des codes annotés.

Rémy Poulain, Juriste. Intervenant en risques psychosociaux, Master 2 DSRT, & DU prévention et responsabilité risques psychosociaux, Paris II

[1Les risques psychosociaux n’apparaissent pas dans l’index du Code ni dans le dictionnaire social de chez RFSocial, chez LexisNexis, leur code indique, à l’index, les risques particuliers, les risques professionnels, les risques psychotechniques.

[2Avec ses variantes au singulier et au pluriel.

[3Il existe quelques rares arrêts traitant du droit des étrangers et du droit de la presse, en chambre criminelle.

[4Jusqu’au 18 décembre 2019.

[5Et dont 8 concernent à la base le droit privé (3 contestation d’autorisation de licenciement CAA Bordeaux n°16 BX 03200, CAA Marseille n°15 MA 00624, CAA Paris n°15 PA 01217, 3 litiges sur des PSE : CAA Douai n°14 DA 0635, CAA Paris n°15 PA 02792, Versailles n°14 VE 03183 et deux mises en demeure de la DIRECCTE : CE n°386649, CA Douai n°13 DA 02206).

[6Et pas seulement dans les moyens.

[7Sur 21.

[8Sur 39.

[9La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984.

[10Ce litige peut être d’ordre conjoncturel, portant sur une réorganisation à venir, ou peut être d’ordre structurel, portant sur un problème existant (mauvaise ambiance).

[1163 seulement, en cumulant Cours d’appels administratives, Conseil d’État, et Cour de cassation.

[12Jean-Claude Delgènes, fondateur du cabinet Technologie, estime que les juges ne prennent pas en compte l’aspect holistique des RPS et ne jugent que telle ou telle conséquence : « Eux ils jugent ponctuellement les choses, alors qu’en fait il faudrait pouvoir vraiment analyser les politiques de prévention mises sur les trois-quatre dernières années en place par l’entreprise ». Ils constatent un dommage, désignent le responsable, mais ne remontent jamais l’arbre des causes en questionnant l’organisation qui a permis au dommage d’apparaître.

[13Possibles ou réalisées.

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