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Fonction avocat aux Conseils : témoignage de Stéphane-Laurent Texier.
Parution : vendredi 8 octobre 2021
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L’association Juristes d’avenir [1], créée en 2020, a pour objectif de rendre les études de droit et ses débouchés plus accessibles. A ce titre, elle collabore avec différents professionnels (magistrats, avocats, délégués européens, professeurs des Universités, huissiers, OPJ, collaborateur parlementaire etc.) et propose des "fiches de poste" sous la forme de témoignages.
Son objectif est de délivrer des messages positifs aux étudiants en démontrant qu’aucun parcours n’est rectiligne.
Cette initiative rejoignant la philosophie du Village de la Justice, nous partageons le témoignage de Stéphane-Laurent Texier, avocat aux conseils.

1) Parcours et matières privilégiées.

« Après une licence en droit privé et une maîtrise "Carrières judiciaires" à l’Université d’Orléans, j’ai intégré le Master 2 "Carrières judiciaires et techniques contentieuses dans l’entreprise" au sein de la même université, puis le Master 2 "Droit international privé et droit du commerce international" de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. A la fin de la même année, j’ai passé et réussi l’examen d’entrée au CRFPA, avant de poursuivre mon parcours à l’Ecole de formation du Barreau de Paris (l’EFB). Une fois le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA) en poche, et devenu avocat à la cour d’appel à la fin de l’année 2008, je me suis inscrit à l’Institut de formation et de recherche des avocats aux Conseils (l’Ifrac), avant d’obtenir le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat aux Conseils (CAPAC) en 2013. J’ai finalement prêté serment en tant qu’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation en 2016.

Mon parcours universitaire est, sur le papier, assez classique. Ce qui peut lui donner une coloration particulière, c’est que j’ai découvert la profession d’avocat aux Conseils par hasard, au cours de ma troisième année de droit, dans une revue à la bibliothèque. Et j’ai immédiatement su que c’était ma voie. J’ai alors commencé à lire tout ce que je trouvais sur la cassation : manuels, articles, thèses. Et j’ai orienté mon cursus vers cet objectif en intégrant, dès ma maîtrise, des matières telles que le contentieux administratif, ce que j’ai poursuivi dans mon premier master 2, résolument orienté vers l’étude de la procédure, au sens large du terme (procédure civile, procédure pénale, contentieux administratif, contentieux fiscal, contentieux du travail, etc.).

Cette cohérence, j’ai essayé de la conserver pour mes expériences professionnelles. J’ai effectué mon stage de Master 2 au sein d’un cabinet d’avocat aux Conseils et lorsque je suis entré à l’EFB, j’ai eu la chance de réaliser un long stage, recouvrant le PPI et le stage en alternance, au sein d’une des chambres civiles de la Cour de cassation [2]. Puis j’ai pu scinder mon stage final en deux périodes de trois mois, dont l’une réalisée au sein d’un cabinet d’avocat aux Conseils, où je suis finalement resté en tant que collaborateur. »

2) Les difficultés rencontrées durant le parcours.

« Mes difficultés ont été, au-delà des contingences financières, de deux ordres :
- Il m’a fallu, d’abord, et comme beaucoup d’étudiants, trouver ma méthode de travail.
- Ensuite, j’ai dû vaincre (en tout cas combattre) ma timidité. Apprendre à ne plus regarder ses chaussures dans la rue et à ne plus compter et recompter sa monnaie pour acheter une baguette de pain sans (trop) rougie est un chemin âpre.

Lorsque l’on est collaborateur d’avocat aux Conseils, et qu’on n’a pas l’envie de disposer d’une clientèle personnelle, on a peu l’occasion de plaider, ce qui, pour un timide comme moi, était assez appréciable. Pour autant, ce n’était pas satisfaisant : je me suis donc inscrit à la conférence du stage des avocats aux Conseils (bien avant d’intégrer l’Ifrac) et cela m’a beaucoup apporté. C’était un peu comme se jeter dans le grand bain, mais l’expérience était enrichissante... au point que j’y ai participé quatre fois, certes sans jamais devenir lauréat mais qu’importe, là n’était pas mon but. »

3) La profession actuelle (missions, préférences).

« En tant qu’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ma "spécialité", si on peut vraiment l’exprimer ainsi, est, comme pour chacun de mes confrères, le contentieux devant les juridictions suprêmes. Cela recouvre, bien sûr et avant tout autre chose, la technique de cassation, mais pas seulement, puisque le Conseil d’Etat statue également en premier ressort et même en tant que juge d’appel dans un certain nombre de litiges. Pour le reste, il n’y a aucune spécialisation, chaque avocat aux Conseils (c’est une obligation déontologique) doit assurer son ministère devant la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, ce qui suppose d’intervenir dans l’ensemble des domaines du droit, qu’il soit privé, pénal ou public. On est donc loin de la tendance qui consiste à avoir une ultra-spécialisation dans tel ou tel domaine.
Des préférences ? Aucune. C’est la dimension pluridisciplinaire de notre métier qui en fait précisément la richesse. »

4) Qu’est-ce qui vous distingue d’un avocat à la Cour ?

« L’avocat aux Conseils est, et demeure, avant toute autre chose un avocat. Le serment que nous prêtons successivement devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation est strictement identique à celui de n’importe quel avocat de France. Les principes essentiels de notre profession ne sont donc guère différents de ceux auxquels sont soumis les avocats des divers barreaux, mais notre déontologie se veut plus exigeante. Il y a une raison à cela : l’avocat aux Conseils est un officier ministériel, nommé par le Garde des Sceaux, dont le rôle participe du bon fonctionnement des juridictions suprêmes qu’il faut veiller à ne pas encombrer de recours manifestement voués à l’échec.

Si l’avocat aux Conseils et l’avocat à la cour d’appel font donc (j’insiste) le même métier, ils ne font pas le même travail. la matière première est identique (la règle de droit), mais les outils sont différents pour être spécialement adaptés aux contraintes attachées à la fonction du juge de cassation : celui-ci n’a pas vocation à trancher le litige "au fond" mais seulement à apprécier la conformité des jugements rendus aux règles de Droit. Pour bien le comprendre, il faut garder à l’esprit que l’instance de cassation ne constitue pas un troisième degré de juridiction, ce qui signifie que le litige est (peu ou prou, mais ce n’est pas l’endroit pour faire de la technique) figé dans l’état dans lequel il se trouvait devant la juridiction qui a statué en dernier ressort. Pour le dire autrement, en l’état des prétentions formulées, des moyens soulevés et des preuves apportées, les juges du fond pouvaient-ils, en contemplation des règles de droit applicables, prendre la décision qui fait l’objet du pourvoi ? Telle est la question que l’avocat aux Conseils soumet au juge de cassation. »

5. Comment devient-on avocat aux conseils ? Quel est le niveau de difficultés pour y arriver ?

« La voie principale consiste, une fois devenu avocat à la cour d’appel, à suivre le cursus organisé par l’Ifrac sur trois années au cours desquelles sont dispensés des enseignements sur la technique de cassation et le contentieux administratif, complétés par une collaboration au sein d’un cabinet d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et, en troisième année, par des stages au sein de ces juridictions. Parallèlement, la formation requiert la participation à la Conférence du stage des avocats aux Conseils, qui est un concours de plaidoirie. A la fin de chaque année, le passage dans l’année suivante est subordonné à la réussite à un examen écrit.

Et finalement, au bout des trois ans, vous pouvez vous présenter à l’examen du CAPAC. Les épreuves d’admissibilité sont écrites et consistent en la rédaction de mémoires (ampliatifs ou en défense) devant la Cour de cassation en droit privé et en droit pénal ainsi que devant le Conseil d’Etat. Les épreuves d’admission, orales, se déroulent devant le jury de l’examen, composé de deux conseillers d’État, d’un magistrat du siège de la Cour de cassation, d’un magistrat du parquet de la Cour de cassation, d’un professeur de Droit d’université et de trois avocats aux Conseils. On y retrouve, classiquement, une épreuve de déontologie, une épreuve de plaidoirie, ainsi qu’un grand oral. Compte tenu des exigences que requiert la fonction de l’avocat aux Conseils, l’examen se veut sélectif. Il l’est, de toute façon, par nature, en ce qu’il suppose d’être aussi à l’aise en droit administratif qu’en droit civil et en droit pénal, là où l’Université nous conduit, pour le moins, à une orientation vers l’un seulement de ces trois domaines.

Il reste ensuite à trouver un cabinet (une "charge" comme on dit), dont le nombre est fixé, afin d’y être nommé par le ministre de la Justice.

Cela peut paraître long et, à première vue, décourageant. Mais, contrairement à ce qui est parfois véhiculé, à tort, la profession est très ouverte et accueille régulièrement de nouveaux entrants.

Je vous renvoie au site internet de l’Ordre des avocats aux Conseils qui explique plus en détail la marche à suivre »

6) Des conseils à donner aux étudiants pour réussir ?

« J’en donnerai trois.

1°) Trouvez votre méthode de travail. Ici, il n’y a pas de recette miracle. Chacun doit trouver ce qui lui convient. Pour cela, il faut apprendre à bien se connaître soi-même, observer ses forces et déterminer comment les potentialiser. Pour certains, cela revient à ficher leurs cours quand, pour d’autres (c’était mon cas), cela sera une perte de temps inutile. L’important est de trouver ce qui vous convient.

2°) Trouvez ce qui vous anime et foncez. On m’interroge souvent sur les Master à intégrer pour trouver du travail, sur les spécialités "bouchées" et sur celles qui permettent de réussir. Ma réponse est toujours la même : ce ne sont pas les bonnes questions, même si elles sont légitimes. Faites ce que vous aimez, ce qui vous motive, que ce soit en choix de domaines du droit ou en terme d’exercice d’une profession. On n’est bons que dans ce qu’on aime, parce que c’est là, et seulement là, qu’on fait bien. Quand vous avez trouvé, soyez curieux, lisez tout ce que vous pouvez trouver, renseignez-vous, donnez le meilleur de vous-même pour parfaire votre maîtrise de tel ou tel sujet. C’est cela qui fera ressortir votre candidature, y compris dans une voie embouteillée. Et si un jour, vous avez l’envie de changer de métier ou de spécialité, faites-le !

3°) N’abandonnez jamais. Il est important de douter, cela a du bon et permet d’avancer et de ne pas s’enfermer dans une sorte de routine, sécurisante mais nécrosante. Mais ce doute ne doit jamais conduire à une remise en question de vos capacités. Il faut avoir confiance dans ce que vous êtes capables d’accomplir. J’ai entendu, pendant longtemps, que je ne devais pas m’accrocher à mon envie de devenir avocat aux Conseils, parce qu’il y a peu de cabinets, donc peu d’élus, qu’il faut avoir de l’argent pour acheter la charge, que j’étais trop ceci ou pas assez cela, etc.
Vous entendrez beaucoup de rumeurs sur telle ou telle profession. Il y a de nombreux fantasmes à ce sujet, véhiculés souvent par ceux qui, en vérité, n’en savent rien. Face à un tel questionnement, l’avocat aux Conseils auprès de qui j’ai effectué mon premier stage m’a dit un jour : "peu importe d’où vous venez et qui vous êtes, si vous méritez d’être avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, vous le serez". Je m’y suis accroché, avec la certitude que lorsque l’on se donne les moyens (v. 2°), on peut réussir. Il n’y a, pour cela, besoin ni d’un parent dans le domaine, ni d’appartenir à une certaine classe sociale, seulement de patience, de persévérance et, au bout du chemin, de compétences. »

Crédit photo : Louise Allavoine.

Témoignage proposé par l'Association juristes d'avenir. https://juristesdavenir.fr

[2C’est là que j’ai rencontré Isabelle Zribi, qui est aujourd’hui mon associée.