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Licenciement sans faute : la voie étroite de rupture pour insuffisance de compétence ou de résultats. Par M. Kebir, Avocat et Timothée Delobel, Juriste stagiaire.
Parution : mercredi 6 octobre 2021
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Le licenciement sans faute, un licenciement à part, à fort enjeux pour l’employeur.
Suivant une jurisprudence constante, le salarié qui ne remplit pas ses missions contractuelles soit par manque, ou défaut de compétences, soit pour avoir manqué à des objectifs - préalablement fixés - le licenciement peut être valablement prononcé à son égard.
Il reste que, en tout état de cause, les griefs à l’appui de la rupture unilatérale à l’initiative de l’employeur impliquent la démonstration d’une cause réelle et sérieuse. Dont les faits litigieux doivent, au surplus, être vérifiables.

La relation de travail, liant salarié et employeur, peut être rompue par l’employeur pour motif personnel ou économique.

Le premier cas doit être justifié par un motif lié à la personne du salarié ; la seconde se rapporte à des motifs non inhérents au salarié : suppression d’un emploi, difficultés économiques etc…

Substantiellement, l’insuffisance professionnelle constitue un des cas, recevables, de rupture pour motif personnel, au titre de l’article L1232-1 du Code du travail.
A l’instar des licenciements y afférents, une cause réelle et sérieuse doit être rapportée. Pour qu’elle soit réelle, il est de droit constant qu’elle doit être “exacte”, “existante” et “objective” ; se traduisant, en outre, par des faits extérieurs vérifiables.
Son caractère objectif, lui, est le reflet de manifestations extérieures, susceptibles de vérification. En cela, a été écartée la perte de confiance [1]. Du même, l’objectivité de la cause doit reposer sur des faits imputables au salarié [2]. C’est pourquoi, à cet égard, il est admis par la jurisprudence qu’un licenciement pour soupçons ou risque de conflit d’intérêt ne peut être valide.

Exclusif de toute faute du salarié, ce motif de licenciement est lié à l’existence avérée d’incompétence. Outre la situation de la non-conformité, justifiée, aux tâches stipulées dans le contrat de travail.

Sur le terrain procédural, la procédure de licenciement relève du droit commun. En d’autres termes, la procédure inscrite aux articles L1232-2 à L1232-6 du Code du travail.
Prescriptions tenant aussi bien à la forme qu’au fond, applicables à tous les licenciements au motif personnel.

La difficile qualification de l’insuffisance professionnelle.

Pour qu’elle constitue une cause réelle et sérieuse, l’insuffisance professionnelle doit être prouvée par des éléments concrets, objectifs, vérifiables. Qui plus est imputables au salarié [3].

Il résulte de la jurisprudence établie que la preuve, à la charge de l’employeur, doit présenter des faits précis et vérifiables, prouvant l’existence de cette insuffisance (Horaires, échanges écrits, rapports etc…).
Ainsi a été jugé que que, est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement d’un responsable de succursale, dès lors qu’aucun fait précis n’est rapporté à l’appui du grief de « manque d’imagination, d’initiative et de dynamisme commercial » [4]. Il s’agit, en l’espèce, d’établir l’incompétence du salarié par rapport aux exigences du poste. En clair, à chaque fois que l’insuffisance professionnelle n’est pas établie, le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse [5].

S’agissant des cas d’ouverture, le motif de l’insuffisance professionnelle est fonction du poste et des activités du salarié.
- D’abord, l’incompétence [6].
- Ensuite, l’inadaptation professionnelle [7].
- Mais aussi, la désorganisation et le travail insuffisant [8].
- Enfin, le manque de qualification nonobstant l’effort fourni par l’employeur, en termes de formation, au bénéfice du salarié [9].

Par ailleurs, en la matière, la qualification de cause réelle et sérieuse s’apprécie au cas par cas, par le Juge du travail, au regard des éléments matériels rapportés.

De plus, cette insuffisance doit être constatée dans une période suffisante pour que le salarié ait pû s’adapter à son poste. De ce point de vue, l’insuffisance ne doit pas être passagère (sans reproche ou avertissement) pour un seul mois [10]. De telle sorte que l’employeur ne peut licencier un salarié de façon soudaine et précipitée.
Au préalable, il lui incombe de prévenir le salarié de la situation et faits allégués ; et, à l’évidence, lui accorder un temps d’adaptation raisonnable.

En outre, une inaptitude médicale n’est pas recevable aux fins de justification d’un licenciement pour insuffisance professionnelle [11].
Tout licenciement prononcé en raison de l’état de santé du salarié est nul - sauf s’il résulte d’un avis du médecin.

Cas non constitutifs d’insuffisance professionnelle.

De principe constant, l’insuffisance professionnelle ne peut être une faute [12].
Le licenciement pour faute est adossé à un régime qualification distinct. De sorte que l’insuffisance professionnelle ne peut justifier, à titre d’exemple, un licenciement consécutif à l’abstention volontaire du salarié, constitutive d’une contravention à la discipline. Sous peine de voir le licenciement invalidé par le Juge du travail.

Dit autrement, l’insuffisance professionnelle résulterait, dès lors, d’un comportement involontaire du salarié et qui, a contrario, ne peut justifier un licenciement disciplinaire.

A cet égard, la Cour de cassation rappelle l’appréciation souveraine du Juge du fond relativement à l’exacte qualification, attachée au licenciement pour motif personnel [13].
Il est parfois, de surcroît, difficile de déterminer ce qui relève d’une faute disciplinaire ou d’une insuffisance professionnelle. La frontière peut parfois être ténue. Néanmoins, il est nécessaire que la qualification des faits ne soit pas entachée d’inexactitudes. Les règles de procédure liées à des faits fautifs ne pouvant, du reste, appuyer la motivation de l’insuffisance professionnelle.

Dans le même ordre d’idées, l’insuffisance professionnelle doit être distinguée de l’insuffisance de résultat. Laquelle ne peut être invoquée que lorsque le salarié s’est vu fixer des objectifs réalisables.

En outre, il s’infère de la jurisprudence constante que l’insuffisance de résultat ne peut constituer, à elle seule, une cause de licenciement.
Laquelle doit résulter d’une insuffisance professionnelle ou d’une faute du salarié :

« l’insuffisance des résultats au regard des objectifs fixés ne constitue pas une cause de rupture privant le juge de son pouvoir d’appréciation de l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement » [14].

Responsabilité de l’employeur et incompétence du salarié.

Aux fins de la démonstration factuelle du licenciement, l’insuffisance ne pourrait pas être imputable à l’employeur. En ce sens que si sa responsabilité est engagée, elle entacherait la validité du licenciement. Dès lors, l’insuffisance professionnelle n’est pas retenue s’il est démontré que la charge de travail était excessive. A ce titre, il faut souligner que la bonne foi préside à la relation contractuelle, en ce que la qualification d’insuffisance professionnelle ne s’applique pas à l’embauche [15] : un employeur ne peut licencier un salarié s’il l’avait recruté, en amont, à un poste qui ne correspondait pas, au fond, à sa qualification.

Toujours est-il que, sur le fondement de l’obligation générale de moyens, l’employeur doit mettre à disposition du salarié tous les outils nécessaires à la bonne exécution de sa mission.

Sur ce point, en application de l’article L6321-1 du Code du travail, l’employeur doit s’assurer de l’adaptation des conditions de travail salarié aux exigences du poste de travail : veiller, sans discontinuer, au maintien de sa capacité à occuper son poste, conformément aux évolutions technologiques. C’est pour ainsi dire que s’impose à lui une obligation de formation sur un temps raisonnable, de sorte que le salarié ait le temps suffisant pour s’adapter au nouveau matériel ou à de nouvelles fonctions. Il va de soi que toute contravention à l’obligation de formation professionnelle rendrait, de facto, le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse [16]11.

Indépendamment de ces rappels, il reste que l’employeur est soumis, à la fois, à une obligation de moyens dans le cadre de l’obligation générale de sécurité de résultat (article L. 4121-1 du Code du travail).Partant, le juge apprécie les éléments concrets de la relation de travail- entourant le licenciement pour insuffisance professionnelle.

Au chapitre de l’indemnisation, le salarié licencié pour insuffisance professionnelle aura droit aux indemnités prévues en cas de licenciement non disciplinaire pour motif personnel, au titre des articles L1234-9 et R1234-4 du Code du travail.

En définitive, eu égard aux exigences établies le licenciement pour insuffisance professionnelle présente, en tous points, un caractère protecteur du salarié. Lequel, n’ayant pas commis de faute disciplinaire se voit reprocher des manquements liés à ses compétences et résultats.

Qui plus est, incombant à l’employeur, l’administration de la preuve de l’insuffisance professionnelle apparaît périlleuse à bien des égards.

En dernière analyse, dans bien des cas, les MARD, la médiation notamment, procèdent d’outils, aussi efficaces qu’accessibles aux parties.
De nature à élaborer, au travers le dialogue contributif [17]12, une solution amiable, moins coûteuse, rapide, évitant à plus forte raison l’aléa judiciaire.

Maître Kebir, Avocat à la Cour, Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Timothée Delobel, juriste stagiaire Cabinet Kebir Avocat E-mail: [->contact@kebir-avocat-paris.fr] Site internet: www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Cass, Soc, 29 novembre 1990

[2Cass, soc, 25 mars 1990 Saute c/ Bernard, Bull V n°188.

[3Cass. Soc, 20 septembre 2006, n°04-48.381.

[4Cass. Soc, 2 juin 1988, n°2069 D.

[5Cass. Soc, 6 février 1981.

[6Cass. Soc. 20 février 1990 n° 87-43.411 : Un cadre qui ne peut pas assumer les responsabilités qui lui incombent.

[7Cass. Soc. 6 décembre 2000, n° 98-45.929.

[8Cass. Soc, 4 janvier 2000 n°97-45.292.

[9Cass. Soc, 6 décembre 2000, n° 98-45.929 : plusieurs erreurs comptables de la part d’un salarié qui entraînaient en permanence des opérations de redressement.

[10Cass. Soc, 21 mai 1989, n°83-41.230.

[11Cass. Soc, 19 décembre 2007, n°06-43.918.

[12Cass. Soc. 9 mai 2000 n° 97-45.163.

[13Cass. Soc, 15 décembre 2011, n°10-23.483.

[14Cass. Soc, 11 juillet 2001, n°99-42.927.

[15Cass doc 2.99 Bull V n°51 p 38.

[16Cass. Soc, 20 mai 2009, n°07-42.945.