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Paiement des indemnités de congés payés par une caisse : évolution ou continuité ? Par Patrick de Pontonx, Avocat.
Parution : mardi 12 octobre 2021
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La Cour de cassation a récemment rendu sur ce point (Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-17.046) une décision dont elle a entendu marquer l’importance, à la fois en la « publiant au Bulletin » et en indiquant qu’elle sera commentée en son Rapport annuel. Si l’on ne peut anticiper ce qu’elle en dira, il est permis d’avancer quelques observations relativement à la portée de cet arrêt.

I.- La Cour de cassation avait été saisie par un salarié ayant travaillé dans le secteur du bâtiment, et dont le contrat de travail avait été judiciairement résolu aux torts de l’employeur. Pour l’essentiel, une double question lui était soumise : 1° celle de l’absence d’organisation d’une visite médicale ; 2° celle de l’absence de justification, par l’employeur, de ce qu’il ait pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement auprès de la caisse de congés payés à laquelle il était affilié, de son droit à congé payé pendant une période d’arrêt de travail pour maladie professionnelle.

La première de ces questions, classique, a donné lieu à une réponse qui ne l’était pas moins. Au regard de l’article R4624-31 du Code du travail, « l’employeur qui s’abstient de saisir, comme il le doit après le premier examen médical, le médecin du travail pour faire pratiquer le second des examens exigés par [le texte ci-dessus], commet une faute susceptible de causer au salarié un préjudice dont l’existence est appréciée souverainement par les juges du fond ». C’est à la seconde qu’il convient de s’intéresser.

II.- Le salarié avait antérieurement demandé à la Cour d’appel de Paris de condamner l’employeur à lui payer une certaine somme à titre de rappel de congés payés non pris pour la période pendant laquelle il avait été en congé de maladie professionnelle. Le tribunal avait fait droit à cette demande. La Cour, en revanche, l’a rejetée.

Pour justifier ce rejet, elle avait rappelé que le service des indemnités était assuré par une caisse de congés payés. Dans les rapports du salarié et de son employeur, celui-ci doit remettre à celui-là un certificat qui atteste ses droits. Une fois que la période des congés payés est ouverte, c’est de la caisse que le salarié perçoit le montant correspondant à ces congés, non de l’employeur, sous réserve de justifier la prise effective d’un congé. La Cour avait également rappelé que ce paiement direct était suspendu à la satisfaction, par l’employeur, à ses propres obligations à l’égard de la caisse. S’il y a satisfait, alors il est déchargé de toute obligation relative au paiement des congés au salarié. La Cour avait dès lors également rappelé que, dans cette hypothèse, les éventuelles réclamations du salarié ne pouvaient être dirigées que contre la caisse.

Compte tenu à la fois de ce mécanisme et des demandes du salarié, la Cour avait logiquement recherché si l’employeur s’était acquitté de ses obligations à l’égard de la caisse, qui était ici celle de congés intempéries BTP de l’Ile de France : affiliation, paiement des cotisations, déclaration à la caisse des salariés. Elle avait considéré que tel était le cas et que, de fait, le salarié avait reçu de la caisse des indemnités pour l’année 2012 et que s’il se considérait débiteur d’indemnités pour l’année 2013, c’est à la caisse qu’il fallait en adresser réclamation, et non pas à l’employeur, ce pourquoi elle l’avait débouté de ses demandes.

III.- Pour remettre en cause cette décision, le salarié a soutenu devant la Cour de cassation que l’employeur demeurait le débiteur de « l’obligation de régler l’indemnité de congés payés », et que si le recours en certains secteurs d’activité était assurément obligatoire, il ne s’agissait là que d’une modalité particulière d’exécution de cette dette, aucun texte ne dispensant les employeurs de leur obligation correspondante.

Cette analyse reposait sur une ambiguïté relative à la notion de « débiteur » ou, plutôt, à l’objet de la dette qui est la sienne. Dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 septembre 2021, cette dernière indique que « dans le cadre des litiges opposant le salarié à l’employeur ou à la caisse, il est jugé que la caisse, qui se substitue à l’employeur, est la seule débitrice des congés payés » (n° 12). Pour en justifier, elle renvoie à une décision du 6 mai 1997 de sa Chambre sociale [1]. Il suffit cependant de se reporter à cet arrêt pour constater que ce n’est pas exactement ce qu’il dit.

L’arrêt visé indique en effet exclusivement ceci :

- « la Cour d’appel a énoncé exactement que l’adhérent, qui n’est pas apte à se substituer à la Caisse pour le règlement des indemnités de congés payés aux ayants droit, ne peut, en invoquant un paiement direct et irrégulier, s’opposer utilement à la demande de celle-ci à qui seule incombe le paiement des indemnités légales de congé et la perception des cotisations ».

Il s’agissait là d’un litige classique, étranger au cas d’espèce, où un employeur prétendait être exonéré de toute obligation de versement de cotisations à la caisse dont il relevait parce qu’il avait directement versé à ses salarié des indemnités de congés payés.

Ce qui nous intéresse cependant ici, c’est qu’en cet arrêt du 6 mai 1997, la Cour de cassation n’a pas dit que la caisse était « débitrice des congés payés » mais qu’elle était débitrice du « règlement des indemnités ». La nuance peut paraître subtile mais elle est importante. Dans le reste de sa motivation, d’ailleurs, la Cour de cassation - en son arrêt cette fois du 22 septembre 2021 - rappelle que la satisfaction de l’employeur à ses obligations à son égard décharge la caisse de ses obligations « quant au paiement de l’indemnité » (n° 18), que la caisse était « seule débitrice de l’obligation de paiement » (n° 20) et que le mécanisme légal « entraîne la substitution de l’employeur par la caisse pour le paiement de l’indemnité de congés payés » (n° 17).

Il semble donc possible de distinguer l’obligation d’indemnisation du salarié, qui pèse sur l’employeur, et l’obligation de paiement, dont ce dernier se trouve légalement déchargé, et qui ne pèse que sur la caisse si l’employeur a satisfait à ses obligations légales auprès d’elle. La cause de l’obligation d’indemnisation se trouve en effet dans le contrat de travail ; celle de l’exécution du paiement par la caisse, dans la satisfaction des obligations de l’employeur à son égard. Pour être d’ailleurs plus rigoureux, il ne faudrait pas seulement dire que l’employeur est « déchargé » du paiement ; il est plus juste de dire que ce paiement lui est « confisqué » par des modalités légalement organisées, et cela pour des raisons d’ordre public.

En ce sens, il semble inexact d’affirmer, comme l’a fait la Cour de cassation dans son arrêt du 22 septembre 2021, que la caisse est à proprement parler « la seule débitrice des congés payés » ; elle est, sous réserve du respect par l’employeur de ses obligations à son égard, la seule débitrice de l’exécution du paiement de ces congés, ce qui est important à la fois pour les obligations de l’employeur et pour l’exécution du paiement. C’est parce qu’il est débiteur d’une obligation à l’égard du salarié [en cela comme n’importe quel autre employeur], que l’employeur doit mettre en œuvre les moyens légaux imposés par la nature de son activité afin de permettre à la caisse de procéder au paiement, et que sa responsabilité peut être engagée par le salarié s’il ne l’a pas fait (Soc., 24 novembre 1993, pourvoi n° 89-43.437 ; 28 mars 2018, pourvoi n° 16-25.429). A l’inverse, c’est parce que la caisse, une fois ce mécanisme légal enclenché, est le seul débiteur de l’exécution du paiement que le salarié, en cas de contestation relative à ce paiement, n’a pas d’autre interlocuteur possible qu’elle.

Le salarié avait raison de soutenir que l’intervention de la caisse est une modalité d’exécution de l’obligation première de l’employeur. Une modalité « liée », en quelque sorte, par la loi. Cependant, la conséquence qu’il en tirait était erronée. Le fait même qu’il s’agisse d’une modalité d’exécution imposée lui interdisait, tout au contraire de sa thèse, d’affirmer que l’employeur tenu de s’affilier à une caisse, en l’occurrence du BTP, demeurait le débiteur de « l’obligation de régler l’indemnité de congés payés ». Non. Il demeurait, assurément, le débiteur des congés payés, au sens indiqué plus haut, ce pourquoi sa responsabilité pouvait être engagée s’il avait fait échec d’une manière ou d’une autre à leur octroi ; cependant leur règlement lui échappait, parce que la modalité à laquelle il était légalement soumis le lui soustrayait pour le confier exclusivement à la caisse.

Ainsi, si la comparaison faite par le salarié avec tous les autres employeurs, quelle que soit leur activité, était pertinente quant à la dette de congés payés, elle ne l’était certainement pas quant au paiement de cette dette, puisque, précisément, la loi réserve aux employeurs intervenant dans le secteur du bâtiment une modalité spécifique d’exécution de ce paiement que ne connaît pas, par hypothèse, le régime commun des autres employeurs.

Par voie de conséquence, la majeure sur laquelle reposait le premier grief du premier moyen du salarié était privée de fondement, ce qui, en principe, devait conduire au rejet de sa critique, et non pas à une cassation.

IV.- C’est pourtant exclusivement au regard de ce grief que la Cour de cassation a censuré l’arrêt du 5 décembre 2018 : « Sur le premier moyen, pris en sa première branche » (n° 6).

Ce premier grief était ainsi énoncé dans le mémoire ampliatif du salarié :

- 1°) Alors que l’obligation de régler l’indemnité de congés payés pèse sur l’employeur ; que la constitution de caisses de congés auxquelles les employeurs intéressés s’affilient obligatoirement, dans certaines branches, constitue une simple modalité d’application des dispositions de droit commun relatives aux congés payés ; qu’aucun texte ne prévoit, dans cette hypothèse, dans laquelle une caisse se substitue à l’employeur, une disposition dérogatoire selon laquelle l’employeur serait déchargé de son obligation de régler l’indemnité de congés payés à son salarié ; qu’en jugeant au contraire que dans la mesure où l’employeur a satisfait à ses obligations à l’égard de la caisse, il est déchargé de toute obligation quant au paiement de l’indemnité, la Cour d’appel a violé ensemble le principe du droit social de l’Union européenne du droit au congé annuel payé de chaque travailleur et les articles 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et L3141-1, L3141-5 et L3141-32 du Code du travail.

V.- Il est frappant, à la lecture de la motivation de l’arrêt rendu le 22 septembre 2021 par la Cour de cassation, de constater que cette dernière n’a pas tenu compte de l’objection ainsi soulevée par le salarié dans le grief précité.

Celui-ci exprimait une critique de principe sur la faculté d’exiger de l’employeur lui-même le paiement direct des congés payés. La Cour de cassation, si elle devait casser l’arrêt de la Cour de Paris sur le fondement de cette critique-là, exclusive, aurait donc dû, logiquement, censurer ladite Cour en ce qu’elle avait jugé que ce paiement ne pouvait être effectué que par la caisse. Or elle ne l’a pas fait.

Bien plus. Au soutien de sa thèse, le salarié avait affirmé dans son premier grief, que la Cour d’appel de Paris avait violé les textes susvisés « en jugeant (…) que dans la mesure où l’employeur a satisfait à ses obligations à l’égard de la caisse, il est déchargé de toute obligation quant au paiement de l’indemnité ». Non seulement la Cour de cassation n’a pas porté de censure sur ce point, mais la censure qu’elle a effectivement prononcée est fondée sur un défaut de base légale, c’est-à-dire sur une absence de recherche d’éléments essentiels à l’application de la loi, que le salarié n’avait pourtant absolument pas reproché à la Cour de Paris.

La Cour de cassation, qui n’a donc pas répondu à l’objection que soulevait le salarié, a décidé de casser l’arrêt déféré sur un fondement qui ne lui était pas présenté, et ce, de surcroît, sans avoir préalablement soulevé aucun moyen d’office sur lequel elle aurait invité les parties à s’expliquer. Et comme si cela ne suffisait pas, elle a fondé sa décision sur pas moins de six textes que le salarié n’invoquait pas dans sa critique [2], sans appliquer en revanche aucun des trois textes [3] sur lesquels il la fondait.

La Cour de cassation a ainsi opéré ce qu’il faut bien appeler une modification des termes du litige, pour décider que ce qui était à juger, ce n’était pas la question soulevée par le salarié mais la question, non soulevée, de savoir si l’employeur avait apporté la preuve qu’il avait satisfait à ses obligations à l’égard de la caisse.

VI.- L’introduction de cette question, et la cassation qui en est résulté, sont d’autant plus surprenantes que cette question n’avait de sens que si la critique soulevée par le salarié était fausse. En effet, la question de la preuve du respect de ses obligations par l’employeur à l’égard de la caisse suppose que cette preuve est la condition de la charge exclusive du paiement des indemnités par la caisse. Admettre la nécessité de cette preuve, c’est admettre celle de cette charge, qui y est suspendue.

La Cour de cassation, doit-il être observé, n’a d’ailleurs pas modifié la jurisprudence classique qui fait peser sur la caisse l’exclusivité de l’obligation à paiement. Elle a explicitement rappelé dans ses attendus de principe [sous réserve des observations faites plus haut] que « dans le cadre des litiges opposant le salarié à l’employeur ou la caisse, il est jugé que la caisse, qui se substitue à l’employeur, est la seule débitrice des congés payés » (n° 12). De même, elle a rappelé « qu’en cas de manquement par l’employeur aux obligations légales lui incombant, le salarié ne peut prétendre qu’à des dommages et intérêts en raison du préjudice subi » (n° 12).

Ces deux énoncés, qui avaient été opposés au salarié, ne sont contredits par aucun autre dans la motivation de l’arrêt. Ils sont formulés comme des principes fondamentaux, auxquels s’ajoutent ceux ensuite visés de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux (n° 13). La Cour de cassation a d’ailleurs ajouté que l’exécution par l’employeur de ses obligations légales à l’égard de la caisse « entraîne la substitution de l’employeur par la caisse pour le paiement de l’indemnité de congés payés » (n° 17). Elle a en outre fait référence à ce « rappel », opéré par la Cour de Paris, « que lorsque le service des indemnités est assuré par une caisse de congés payés et que l’employeur a satisfait à ses obligations à l’égard de la caisse, ce dernier est déchargé de toute obligation quant au paiement de l’indemnité, les salariés ayant uniquement une possibilité d’action contre la caisse » (n° 18).

« L’arrêt rappelle » : ce n’est pas là un désaveu, tout au contraire ; c’est la prise d’acte, avec la Cour d’appel, de la constance d’une doctrine.

Au regard du rappel de ces règles, l’arrêt de la Cour de cassation est certes critiquable de ne pas avoir rejeté le premier grief du premier moyen du salarié, puisque ce dernier les remettait directement en cause. En revanche, on ne peut pas lui attribuer d’avoir abandonné la jurisprudence sur ces deux points : seule la caisse est débitrice du paiement des indemnités ; le salarié ne peut agir en paiement que contre la caisse.

Il ne semble donc pas possible de soutenir que la Cour de cassation aurait, par cette décision, décidé de mettre à la charge de l’employeur affilié à une caisse de congés payés le paiement lorsqu’il n’a pas pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement de son droit à congé auprès de ladite caisse.

D’autant, comme il a été observé plus haut, que l’arrêt rappelle maintes fois que cette obligation à paiement ne pèse que sur la caisse, que le salarié ne peut agir en paiement que contre elle, et qu’en cas d’absence de paiement à cause d’une faute de l’employeur, le salarié n’a d’autre ressource, contre ce dernier, que la mise en cause de sa responsabilité. A l’inverse, on ne trouve pas, dans cet arrêt, de motifs qui viendraient établir que ces principes n’ont plus lieu d’être.

De surcroît, si la Cour avait entendu rompre avec une jurisprudence passée, sur des principes aussi essentiels, elle ne se serait pas fondée, comme elle l’a fait, sur un simple défaut de base légale, mais sur la violation d’une loi, dont une interprétation nouvelle devrait s’imposer. Enfin, si la Cour de cassation abandonnait ces principes, l’obligation légale d’affiliation n’aurait plus de cause, à tout le moins d’efficacité. Sa jurisprudence viendrait désormais justifier l’argumentaire d’employeurs soutenant leur droit à payer directement des indemnités de congés payés et, partant, à se dispenser de toute obligation, notamment de cotisations légales, à l’égard de la caisse. En effet, si un employeur peut être condamné à payer ces indemnités parce qu’il n’a pas mis en œuvre les moyens légaux, on ne voit pas bien ce qui l’empêcherait, à l’inverse, de les payer de son propre chef pour n’avoir pas à mettre en œuvre ces moyens. Or la Cour de cassation, dans l’arrêt du 22 septembre 2021, a explicitement fait référence à l’arrêt du 6 mai 1997 qui condamne cette possibilité.

Il est patent, cependant, que la Cour de cassation utilise cette expression : « Il y a donc lieu de juger désormais (…) » (n° 17). Ceci marque, avec certitude, l’introduction d’une évolution de sa jurisprudence. La question est de savoir sur quoi elle porte. Pour y répondre, deux points doivent être ici soulignés.

VII.- La Cour de cassation s’est fondée sur un défaut de base légale pour censurer l’arrêt de la Cour de paris.

Elle a jugé :

- « 18. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d’une somme à titre de rappel des congés payés non pris, l’arrêt rappelle d’abord que lorsque le service des indemnités est assuré par une caisse de congés payés et que l’employeur a satisfait à ses obligations à l’égard de la caisse, ce dernier est déchargé de toute obligation quant au paiement de l’indemnité, les salariés ayant uniquement une possibilité d’action contre la caisse. Il constate ensuite que l’employeur, soumis à une obligation d’affiliation, de paiement des cotisations et de déclaration à la caisse des salariés qu’il employait, justifie de son adhésion à la caisse de congés intempéries BTP de l’Ile-de-France ».

- « 19. Concernant la situation du salarié, l’arrêt relève que, dans un courrier du 14 octobre 2015, cette caisse a déclaré que, au titre de l’année 2011, les droits du salarié étaient épuisés, au titre de l’année 2012, il lui restait trente jours ouvrables et que, au titre de l’année 2013, il n’y avait pas de droits à congés en l’absence de temps de travail ou assimilable pour l’ouverture du droit. L’arrêt précise qu’il appartenait à l’employeur de transmettre une demande d’indemnisation des congés si le salarié n’avait pas repris le travail et n’avait pas pu faire valoir ses droits ».

- « 20. Enfin, l’arrêt retient que la caisse de congés intempéries est seule débitrice de l’obligation de paiement de l’indemnité de congés payés et non l’employeur lequel a bien respecté ses propres obligations en sorte que le salarié, qui justifie pour sa part avoir perçu de la caisse la somme de 2 458,82 euros pour l’année 2012, doit, en ce qui concerne l’année 2013, procéder aux démarches nécessaires vis-à-vis de cette caisse ».

- « 21. En se déterminant ainsi, sans constater que l’employeur justifiait avoir pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement auprès de la caisse de congés payés de son droit à congé payé au titre de la période du 1er avril 2012 au 31 mai 2013 pendant laquelle il se trouvait en arrêt maladie pour cause de maladie professionnelle, en accomplissant à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement, en sorte que la caisse pouvait valablement être substituée à l’employeur, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ».

Le « défaut de base légale » est un vice de motivation qui tient au fait qu’il manque quelque chose à cette dernière pour que la décision attaquée soit justifiée. La motivation qui en est entachée ne permet donc pas de vérifier si les éléments nécessaires à l’application de la loi [ici des sept textes visés] étaient bien présents dans la cause. Il n’est donc pas reproché à l’arrêt attaqué d’être erroné - ce que demandait pourtant en l’espèce le salarié - mais de manquer de fondement communicable, observable et, partant vérifiable par la Cour de cassation. Les juges du fond n’ont pas recherché quelque chose qu’ils auraient dû rechercher.

Lorsque la Cour de cassation vise ainsi un défaut de base légale, elle indique toujours, pour le manifester, ce qui manque à la motivation des juges du fond, en orientant ainsi le juge de renvoi sur ce qu’il doit rechercher lui-même pour combler le « défaut » [au sens de « manque »] constaté, afin que la loi soit exactement appliquée. Ici cette indication est claire : la Cour n’a pas :

- «  constaté que l’employeur justifiait avoir pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement auprès de la caisse de congés payés de son droit à congé payé au titre de la période du 1er avril 2012 au 31 mai 2013 pendant laquelle il se trouvait en arrêt maladie pour cause de maladie professionnelle, en accomplissant à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement » (n° 21).

VIII.- C’est de cela dont il s’agit ici. La Cour de Paris, observe la Cour de cassation, a fondé son rejet de la demande du salarié, non seulement sur différents principes, dont nous avons vu qu’ils n’étaient pas remis en cause, mais aussi sur différentes constatations de fait : l’employeur a bien adhéré à la caisse (n° 18), et il a respecté ses obligations à l’égard de la caisse (n° 20), de sorte que la créance invoquée par le salarié ne peut être réclamée qu’auprès de cette dernière, seule débitrice de son règlement (n° 20).

La Cour de cassation considère cependant que la Cour de Paris a privé sa décision de base légale parce que, chemin faisant, dans sa motivation, cette dernière a énoncé « qu’il appartenait à l’employeur de transmettre une demande d’indemnisation des congés si le salarié n’avait pas repris le travail et n’avait pas pu faire valoir ses droits » (n° 19). Or, de fait, si la Cour de Paris a affirmé que l’employeur avait respecté ses obligations à l’égard de la caisse, elle n’a pas constaté qu’il ait satisfait à cette obligation de transmission. Elle a indiqué qu’il devait le faire ; et du seul énoncé de ce principe général elle a conclu qu’il l’avait fait, sans que rien, cependant permette de le vérifier. Voilà ce sur quoi, semble-t-il, porte exclusivement la censure de la Cour de cassation.

Peut-on en conclure que si le juge de renvoi, procédant à la recherche à laquelle il est invité, constate ce défaut de communication, il devra en conclure que l’employeur est débiteur du paiement des indemnités de congés payés ? Rien ne justifie une telle solution dans l’arrêt du 22 septembre 2021, lequel a rappelé que le salarié, en cas d’échec du mécanisme légal de paiement par la caisse, à cause d’un fait fautif de l’employeur, n’avait d’autre ressource, contre ce dernier, que de demander sa condamnation à dommages et intérêts (n° 12).

IX.- La Cour de cassation a fondé sa décision sur une exigence de preuve.

Ce qui le montre d’emblée, c’est son visa des dispositions de « l’article 1315, devenu 1353, du Code civil », qu’elle a décidé « d’interpréter », comme les articles L3141-12, L3141-14 et L3141-30 du Code du travail, « à la lumière de l’article 7 de la directive de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 » (n° 10).

Comme il a été relevé plus haut, le salarié demandeur ne se fondait pas sur ce texte ; c’est la Cour de cassation qui l’a introduit, non pas dans les débats - puisque les parties n’ont apparemment pas été invitées à en discuter - mais dans la solution apportée au litige. Cette circonstance ne peut être ignorée. Elle signifie directement que la Cour de cassation exige des juges du fond qu’ils vérifient soigneusement, lorsque l’affiliation à une caisse est obligatoire, les conditions de mise en œuvre du mécanisme légal qui conduit au versement exclusif des indemnités par ladite caisse.

Ainsi, pour dire ce qu’il « y a donc lieu de juger désormais » (n° 17), la Cour de cassation s’est explicitement fondée sur la nécessité.

- « eu égard aux exigences déduites de l’article 7 de la directive 2003/88 par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 6 novembre 2018, Max Planck précité, de rapprocher les règles de preuve de l’exécution des obligations d’un employeur affilié à une caisse de congés payés de celles applicables dans le cadre du droit commun » (n° 16).

C’est sur ce rapprochement, donc, que porte « ce qu’il y a lieu de juger désormais ».

X.- Sur ce point, la Cour de cassation a jugé :

- « 13. En application de l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne la Cour de justice a considéré que l’employeur est notamment tenu, eu égard au caractère impératif du droit au congé annuel payé et afin d’assurer l’effet utile de l’article 7 de la directive 2003/88, de veiller concrètement et en toute transparence à ce que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre ses congés annuels payés, en l’incitant, au besoin formellement, à le faire, tout en l’informant de manière précise et en temps utile pour garantir que lesdits congés soient encore propres à garantir à l’intéressé le repos et la détente auxquels ils sont censés contribuer, de ce que, s’il ne prend pas ceux-ci, ils seront perdus à la fin de la période de référence ou d’une période de report autorisée. La charge de la preuve à cet égard incombe à l’employeur » [4].

- « 14. La Cour de justice de l’Union européenne a par ailleurs précisé que, pour assurer au salarié le bénéfice d’un repos effectif dans un souci de protection efficace de sécurité et de sa santé, la période minimale de congé annuel payé ne pouvait pas être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail » [5].

- « 15. Dans le cadre du régime de droit commun des congés payés, la Cour de cassation juge qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement » [6].

La Cour de cassation a ainsi rappelé que le droit aux congés payés faisait partie du « noyau dur » des dispositions communautaires en la matière, qui s’impose à tout État membre, et la nécessité de mettre en œuvre les moyens de le rendre effectif, de lui donner un « effet utile » (n° 13), en rappelant que les congés payés en question ne peuvent pas se voir substituer une indemnité financière versée par l’employeur (n° 14).

La Cour de cassation insiste ainsi, dans ces motifs, sur l’importance de l’obligation de moyens qui pèse sur l’employeur afin que le droit du salarié, incontestablement reconnu par le droit européen, puisse être garanti et mis en œuvre.

Sa décision, au regard des textes visés, entend uniformiser le régime de la preuve quel que soit le statut de l’employeur, qu’il soit soumis à une obligation d’affiliation auprès d’une caisse ou non. Cela signifie, si la nécessité légale de cette affiliation existe, comme dans le litige qui a donné lieu à l’arrêt du 22 septembre 2021, que dans tous les litiges où une contestation sera soulevée par un salarié au sujet du « droit à congé », l’employeur sera « désormais » tenu d’apporter la preuve qu’il a exécuté son obligation de moyens.

Nous nous trouvons ainsi dans une problématique analogue à celle de l’obligation d’information en matière de responsabilité, qui fait peser sur son débiteur la charge de prouver qu’il y a satisfait. Le régime particulier des entreprises qui sont soumises à une affiliation auprès d’une caisse particulière, à raison de leur activité, met en œuvre un mécanisme dont l’efficacité repose sur la satisfaction de l’employeur à ses obligations légales à l’égard de la caisse. S’il ne s’y soumet pas, le mécanisme ne peut pas fonctionner.

Nous rencontrons ici, également, la même ambiguïté qu’en matière de responsabilité : il y a obligation de moyens, oui, mais la mise en œuvre de ces moyens est attendue de son débiteur comme un résultat exigible. Le débiteur, en l’occurrence, doit apporter la preuve de la mise en œuvre effective des moyens exigés d’elle, qui consistent ici en la satisfaction de l’ensemble des obligations légales de l’employeur à l’égard de la caisse.

XI.- C’est le seul point, en définitive, sur lequel la réponse de la Cour de cassation corresponde à la critique soulevée par le salarié : l’intervention de la caisse est, en effet, une modalité du versement des indemnités de congés payés, qui en réserve exclusivement le paiement à la caisse. Cependant, cette modalité ne peut pas fonctionner sans que l’employeur satisfasse à ses obligations. Ainsi, compte tenu de l’homogénéité de ce mécanisme et de l’efficacité qui doit lui être assuré, il doit être exigé de l’employeur, en cas de contestation, qu’il prouve qu’il y a intégralement satisfait.

Il convient d’observer que cette exigence est toute entière tournée vers l’efficacité du mécanisme légal, pour la satisfaction du droit du salarié, tel qu’il est consacré par le droit européen. Or ce mécanisme a pour finalité l’indemnisation opérée exclusivement par la caisse. Il semble donc que la décision du 22 septembre 2021, loin d’affaiblir le principe de l’exclusivité du paiement par la caisse, le renforce.

A l’inverse, la circonstance que l’employeur soit « désormais » tenu, avant tout autre débat, de prouver qu’il a satisfait à ses obligations légales à l’égard de la caisse semble mettre l’accent sur sa faute, s’il ne peut pas le prouver et, par voie de conséquence, sur la légitimité pour le salarié de demander sa condamnation à dommages et intérêts de ce seul chef, puisque l’impuissance de l’employeur à apporter ladite preuve établira qu’il est cause que le mécanisme légal de paiement des indemnités par la caisse ait pu ne pas fonctionner.

Il semble donc, en définitive, que l’arrêt du 22 septembre 2021 ne bouleverse pas les principes jusque-là applicables, mais qu’il les renforce plutôt, dans la mesure, d’une part, où il rappelle que la caisse est le débiteur exclusif du paiement des indemnités, et, d’autre part, dans la mesure où, sur le terrain de la preuve, il permet de mettre davantage en évidence l’éventuelle faute de l’employeur et, dès lors, la justification de demander sa condamnation de ce chef.

Reste à attendre les propres éclairages que la Cour de cassation apportera en son Rapport.

Patrick de Pontonx Avocat à la cour de Paris Barreau de Paris

[1Pourvoi n° 95-12.001, Bull. n° 151.

[2Il s’agit des art. L3141-12, L3141-14, L3141-30 du Code du travail, 1315 devenu 1353 du Code civil, 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[3Il s’agit des art. L3141-1, L3141-5 et L3141-32 du Code du travail.

[4CJUE, 6 novembre 2018, C-684/16, Max Planck Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften eV, points 45 et 46.

[5CJUE 26 juin 2001, C-173/00, BECTU, point 44 ; 18 mars 2004, Merino Gómez, C-342/01, Rec. p. I-2605, point 30 ; 16 mars 2006, C- 131/04 et C-257/04, Robinson Steele, point 60.

[6Soc. 13 juin 2012, n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; 21 septembre 2017, n° 16-18.898, Bull. V, n° 159.

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