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Avancée jurisprudentielle en matière de harcèlement moral en milieu scolaire. Par Catherine Taurand, Avocat.
Parution : mardi 12 octobre 2021
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Le juge administratif a franchi un nouveau cap dans la reconnaissance du harcèlement moral subi par un élève dans le cadre scolaire (TA Melun ref 7 mai 2021, n°2104189).

Dans cette affaire, un élève de 8 ans souffrant de troubles autistiques subissait le harcèlement moral de la part d’un camarade de classe de son âge (violences physiques et verbales récurrentes depuis deux ans), qui causait, chez lui, une dégradation de ses conditions d’apprentissage et une altération de sa santé physique et psychique.

Les professionnels de l’enfance alertés par les parents avaient unanimement relevé l’installation avérée d’un rapport de force et de domination durable entre ce dernier et son camarade ainsi que la volonté délibérée de nuire de l’élève harceleur.

I. Le droit de ne pas être harcelé reconnu comme liberté fondamentale.

Ce qui est intéressant dans ce dossier est le fondement sur lequel le juge des référés a été saisi, celui du référé liberté, qui implique qu’une atteinte grave et manifestement illégale soit portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale.

Et précisément, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a reconnu que « le droit pour un élève de ne pas être soumis à un harcèlement moral de la part d’autres élèves constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de justice administrative ».

Cette liberté fondamentale avait déjà été reconnue à l’égard des agents publics et des fonctionnaires harcelés au travail dès 2014 [1].

Elle est désormais étendue aux élèves dans le cadre scolaire.

La loi n°2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance avait préparé cette avancée en introduisant l’article L511-3-1 du Code de l’éducation selon lequel : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale », qui consacrait le non-harcèlement comme un droit, celui de suivre une scolarité sans harcèlement.

II. La charge de la preuve.

L’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Melun présente également l’avantage de préciser le mécanisme de la charge de la preuve en matière de harcèlement en milieu scolaire.

On sait que, s’agissant du harcèlement subi par des agents publics et des fonctionnaires, il existe un régime de présomption qui fonctionne de la manière suivante :

- Etape 1 : il appartient à l’agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d’en faire présumer l’existence ;

- Etape 2 : il incombe ensuite à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ;

- Etape 3 : le juge apprécie si les agissements de harcèlement sont ou non établis et tient compte des comportements respectifs de l’administration et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral.

Dans notre affaire, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a procédé de manière un peu différente.

En effet, il a bien relevé l’existence d’une présomption d’existence de harcèlement dans le passé (année de CP) dans les termes suivants :

« L’installation avérée d’un rapport de force et de domination durable (…) ainsi que la volonté délibérée de nuire, relevées unanimement par les professionnels de l’enfance, ont ainsi légitimement pu être appréhendées par M. B et Mme G.. malgré les troubles autistiques dont souffre l’élève A , comme manifestant l’existence d’une situation de harcèlement à l’endroit de leur fils au cours de son année de scolarisation en CP, ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage et une altération de sa santé physique et psychique ».

Mais il a ensuite relevé tout le dispositif de mesures que l’administration avait mis en place à partir de la rentrée de CE1 pour conclure à l’absence de présomption d’existence d’une situation de harcèlement toujours en cours au jour de sa décision.

A cet égard, il mentionne en effet

« (…) qu’à compter de la mise en place de ces mesures d’éloignement, au titre de la rentrée scolaire 2020/2021, les agissements dénoncés par les parents de E ne sauraient, pris ensemble ou isolément, être regardés comme faisant présumer l’existence d’une situation de harcèlement toujours en cours ».

En d’autres termes, pour caractériser l’existence ou non de la présomption de l’existence d’un harcèlement (en cours au jour de sa décision), il a tenu compte des mesures prises par l’administration visant à mettre fin au harcèlement scolaire. Il a, en quelque sorte, fondu en une seule étape les deux premières étapes sus mentionnées.

C’est le fondement de sa saisine qui l’y invitait.

En effet, il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’ urgence caractérisée.

Dans ce contexte, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun, après avoir consacré le droit, pour un élève, de ne pas être soumis à un harcèlement moral de la part d’autres élèves comme une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L521-2 du Code de justice administrative, énonce que « le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises ».

En l’espèce, l’administration de l’école avait bien traité ou en tout cas pris un certain nombre de mesures efficientes : visant à mettre fin au harcèlement : dispositif d’éloignement total entre les deux enfants lors des temps scolaires et des activités périscolaires et extrascolaires, une inscription dans deux classes différentes, des entrées et des temps de récréation distinct… dont l’effet bénéfique sur l’élève harcelé avait été constaté.

Le juge des référés liberté en conclut qu’

« Ainsi, à la date de la présente ordonnance, les requérants ne justifient de l’existence ni de circonstances caractérisant une situation d’urgence impliquant des mesures tendant à sauvegarder le droit de leur enfant à ne pas être soumis à une situation de harcèlement, au sens des dispositions de l’article L521-2 du Code de justice administrative, ni d’une atteinte manifestement illégale à ce droit ».

Catherine Taurand Avocat à la Cour [->cabinet@taurand-avocats.fr] https://taurand-avocats.fr/

[1CE ord., 19 juin 2014, n° 381061, Cne Castellet aux Tables.