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Procédures judiciaires de l’impayé II ; Premières vues sur l’ordonnance portant modification du livre VI du code de commerce.
Parution : lundi 11 octobre 2021
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A compter du 1er octobre 2021, en sauvegarde et redressement, « les classes de parties affectées » seront organisées et le privilège d’argent frais consolidé. En liquidation judiciaire, les règles de classement des créances seront clarifiées.

Cet article est issu de la documentation Recouvrement de créances et procédures d’exécution des Editions Législatives.

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Annoncée par la loi « Pacte » du 22 mai 2019, mais différée en raison de la crise sanitaire qui a bouleversé l’agenda législatif, l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce est enfin publiée, accompagnée de son rapport de présentation au Président de la République.

La réforme, d’ampleur, retouche avec une inégale intensité tous les pans de ce livre VI. Le cœur de l’ordonnance réside naturellement dans l’introduction en droit interne des apports qu’imposait la transposition de la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 dite « restructuration et insolvabilité », largement inspirée par l’analyse économique du droit. L’ordonnance va cependant plus loin. Étroitement liée à celle n° 2021-1192 du même jour portant réforme du droit des sûretés (v. Veille permanente « Réforme du droit des sûretés : l’ordonnance est enfin parue ! »), elle comprend tout d’abord de nombreuses dispositions modifiant le régime des sûretés dans le cadre dudit livre VI selon une logique chronologique distinguant leur statut avant et après l’ouverture d’une procédure collective (Rapp. au Président de la République, p. 2). Tenant par ailleurs compte des enseignements de la crise sanitaire, l’ordonnance n° 2021-1193 pérennise certains dispositifs « expérimentaux » mais ayant fait la preuve de leur efficacité (voir notamment la pérennisation de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 ayant institué un nouveau privilège pour apport d’argent frais en procédure collective : v. bull. 238, « Covid-19 : nouvelle adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises », p. 1 et bull. 244, « Loi Asap et procédures collectives : prolongation de mesures « Covid-19 » de mai 2020 », p. 6). Saisissant enfin l’opportunité de la réforme, l’ordonnance procède à un « toilettage » du livre VI du code de commerce, gommant ici des références obsolètes (comme le montre la substitution de l’article 2350 du code civil à l’ancien article 2075-1 au sein de l’article L. 632-1 du code de commerce), consolidant là des solutions jurisprudentielles en les intégrant dans la loi (toujours en matière de « nullités de la période suspecte : C. com., art. L. 632-1, I, 6°). Concluons cette rapide présentation générale en précisant que les dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur le 1er octobre 2021, mais ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur (Ord., art. 73, I). La richesse du texte (qui touche les modalités de la déclaration de créance, la situation des garants…) en empêche une étude exhaustive dans le cadre étroit de cette chronique. Seuls quelques points saillants seront ici abordés en attendant d’autres analyses complémentaires.

■ Attractivité renforcée de la conciliation

La procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-4 et s.) se présente résolument comme le dispositif privilégié de traitement anticipé des difficultés des entreprises. Parmi de nombreuses retouches, l’ordonnance n° 2021-1193 lui consacre notamment deux mesures destinées à conforter son attractivité et son efficacité. La première précise les conditions d’octroi par le juge d’un délai de paiement (C. civ., art. 1343-5) à la demande du débiteur (C. com., art. L. 611-7, al. 5, mod. par Ord., art. 5) mis en demeure ou poursuivi par un créancier. Ainsi, le débiteur peut désormais demander au juge de suspendre l’exigibilité de la créance. Celui-ci peut reporter ou échelonner le règlement des créances non échues, dans la limite de la durée de la mission du conciliateur. La seconde mesure contractualise encore davantage l’accord de conciliation. Un nouvel article (C. com., art. L. 611-10-4, créé par Ord., art. 8) dispose en effet que « La caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences ». Ce texte entend manifestement corriger les effets d’une décision remarquée en son temps de la Cour de cassation (Cass. com., 25 sept. 2019, n° 18-15.655). Les parties à l’accord de conciliation sont donc invitées à négocier et à déterminer les conséquences d’une issue malheureuse dudit accord.

■ Organisation des « classes de parties affectées »

Le remplacement des « comités de créanciers » dans les procédures de sauvegarde et de redressement par « les classes de parties affectées » est indubitablement la mesure emblématique de l’article 37 de l’ordonnance n° 2021-1193. Sans entrer dans le détail de la notion, laquelle mériterait une étude dédiée, retenons que les nouveaux articles L. 626-29 et suivants du code de commerce lui sont consacrés. Une attention particulière (C. com., art. L. 626-30, nouv.) est accordée à l’identification (sont des parties affectées les créanciers dont les droits sont directement affectés par le projet de plan et les associés et actionnaires, si leur participation au capital du débiteur, les statuts ou leurs droits sont modifiés par le projet de plan) et à la composition (l’administrateur répartit, sur la base de critères objectifs vérifiables, les parties affectées en classes représentatives d’une communauté d’intérêt économique suffisante de ces classes) ainsi qu’à leurs attributions dont la plus importante est naturellement le vote sur les propositions de plan (C. com., art. L. 626-30-2, nouv). La loi organise ainsi minutieusement les modalités de consultation de ces classes de créanciers affectés, l’exercice de leur droit de vote et les conditions d’adoption d’un plan. Il est remarquable de souligner que le tribunal conserve le cas échéant un large pouvoir d’appréciation puisqu’il peut arrêter le plan nonobstant son rejet par les classes de créanciers affectés (C. com., art. L. 626-32, nouv.). Manifestation d’une véritable « magistrature économique », la loi balise cependant l’étendue du pouvoir d’appréciation du tribunal en recourant notamment au critère du best interest (ou « meilleur intérêt des créanciers » selon la terminologie employée par les auteurs du rapport de présentation de l’ordonnance).

■ Consolidation du nouveau privilège « d’argent frais »

Le présent texte consolide l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 ayant institué un nouveau privilège pour apport d’argent frais en procédure collective (v. bull. 238, « Covid-19 : nouvelle adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises », p. 3). Il s’agit ici de faciliter le financement de l’entreprise en difficulté à deux étapes clés de sa restructuration, soit lors de la période d’observation et au moment du plan. L’institution de ce nouveau privilège épouse cette chronologie. Dans un premier temps, les créances résultant d’un nouvel apport de trésorerie consenti en vue d’assurer la poursuite de l’activité pour la durée de la procédure intègrent la liste de l’article L. 622-17 du code de commerce, lequel énumère les créances qui, nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. Une précision cependant : ces apports de trésorerie sont autorisés par le juge-commissaire dans la limite nécessaire à la poursuite de l’activité pendant la période d’observation et font l’objet d’une publicité. Un même privilège est institué dans le cadre du plan de restructuration. Ainsi, le projet de plan mentionne les engagements d’effectuer des apports de trésorerie pris pour l’exécution du plan (C. com., art. L. 626-2, al. 2, créé par Ord., art. 28). Le plan arrêté par le tribunal mentionne de manière distincte les apports de trésorerie des personnes qui se sont engagées à les effectuer (C. com., art. L. 626-10, mod. par Ord., art. 31). Les créances résultant de ces apports de trésorerie bénéficient du privilège de l’article L. 622-17, III, 2° du code de commerce.

■ Clarification des règles de classement des créances en liquidation judiciaire

Il s’agit d’un apport notable de l’ordonnance n° 2021-1193. Certes, celle-ci ni ne remet en cause l’ordre ancien des créanciers ni ne crée de nouveaux droits. Le nouvel article L. 643-8 du code de commerce expose en revanche de manière plus claire l’ordre des paiements des créanciers en cas de liquidation judiciaire du débiteur. Cette refonte dudit article était rendue doublement nécessaire : il s’agit d’une part d’intégrer le nouveau privilège « d’argent frais », inscrit au 8° du I de l’article L. 643-8, et d’autre part pour cet article, comme le souligne le rapport de présentation de l’ordonnance, de contribuer « à la définition du critère du meilleur intérêt des créanciers qui conditionne pour partie l’application du dispositif de classes de parties affectées ». Le 4° de l’article L. 626-31 énonce en effet parmi les conditions d’adoption d’un plan de sauvegarde par le tribunal celle selon laquelle « Lorsque des parties affectées ont voté contre le projet de plan, aucune de ces parties affectées ne se trouve dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qu’elle connaîtrait s’il était fait application soit de l’ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l’entreprise en application de l’article L. 642-1, soit d’une meilleure solution alternative si le plan n’était pas validé ». Une règle applicable à la liquidation judiciaire éclairera donc le tribunal saisi d’un plan de restructuration du passif du débiteur. Autrement écrit, c’est à l’aune de l’efficacité des sûretés des créanciers que sera appréciée l’opportunité de l’adoption d’un plan de restructuration du passif le cas échéant. Comme l’expose le rapport de présentation de l’ordonnance, cette règle « contribue à renforcer la prévisibilité du risque accepté par les partenaires financiers de l’entreprise ainsi qu’à réduire l’incertitude générée par les difficultés d’une entreprise ».

Thierry Favario
Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3
Dictionnaire permanent Recouvrement de créances et procédures d’exécution

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