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Au secours ! L’ambulance fait trop de bruit ! Par Christophe Sanson, Avocat.
Parution : mardi 12 octobre 2021
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Jugement du Tribunal judiciaire de Thionville du 17 mai 2021 (Ch. Civile, n° 21, RG 21/00146).
Bien que leur utilité sociale et sanitaire soit incontestée, les ambulances peuvent parfois être sources de nuisances sonores, notamment lors de leur entretien dans des locaux prévus à cet effet.
Sur quel fondement juridique des riverains peuvent-ils obtenir la cessation des nuisances sonores liées à un local d’exploitation d’ambulances ?

Par un jugement du 17 mai 2021, reproduit en texte intégral ci-dessous, le Tribunal judiciaire de Thionville a considéré que ces nuisances pouvaient être constitutives d’un trouble anormal de voisinage, et condamné la société exploitante à faire réaliser des travaux de mise en conformité des locaux et à indemniser le préjudice de jouissance subi par les riverains.

Présentation de l’affaire.

1°. Faits.

Les époux P. étaient propriétaires et occupants d’une maison située à proximité de locaux exploités par la société T. exerçant une activité d’ambulances.

Ils se plaignaient de nuisances sonores émanant de l’activité de cette société liées, notamment, à l’exploitation des locaux (bruit des rideaux de fer, bruit des moteurs et du fonctionnement des ambulances et bruit d’entretien des véhicules), ainsi qu’à un défaut d’isolement acoustique du garage.

2°. Procédure.

Face à la persistance des nuisances, les époux P. avaient saisi le Tribunal de Grande Instance de Thionville en juin 2019, d’une demande de référé expertise et obtenu la nomination d’un expert judiciaire.

Le rapport d’expertise, rendu en novembre 2020, concluait au fait que :
- « Excepté les activités de la SAS T., le paysage sonore du quartier était particulièrement calme quelle que soit la période considérée ;
- les activités de la SAS T. se déroulaient tous les jours de la semaine y compris le samedi et le dimanche, à partir de 5h30 et jusqu’à environ 19h30 ;
- les activités de la SAS T. étaient à l’origine de nombreuses sources de bruit : lavage carrosserie, aspirateur, compresseur et clefs à chocs, meuleuse, marteau, élévateur, ouverture et fermeture des rideaux de fer, chauffage air pulsé, va-et-vient des véhicules, moteur allumé, claquement portière, musique autoradio sirènes ;
- les bruits incriminés [étaient] réguliers et répétitifs ;
- l’atelier était systématiquement exploité rideaux de fer ouverts, excepté en période hivernale ;
- tous les équipements, sans exception, étaient audibles au domicile des époux P. […] ;
- l’enveloppe constituant l’atelier de la société T. était constituée pour l’essentiel du bardage acier simple peau et panneau en polycarbonate, était acoustiquement médiocre ;
- […] le critère d’émergence admissible tel que défini par l’article R1334-33 était dépassé 80/ des jours surveillés, de sorte que les activités de la société T. ne [respectaient] pas les exigences règlementaires en matière de bruit de voisinage
 ».

L’expert préconisait, notamment, le remplacement des trois rideaux de fer par des portes acoustiquement performantes, la suppression des défauts existants sur l’enveloppe de l’atelier, l’exécution des travaux d’entretien des véhicules portes fermées et la rédaction d’un code de bonne conduite destiné au personnel.

Sur le fondement de ce rapport d’expertise, les époux P. avaient alors assigné la société T. devant le Tribunal judiciaire de Thionville le 22 décembre 2020 et sollicitaient sa condamnation à :
- faire réaliser l’ensemble des travaux préconisés par l’expert judiciaire ;
- faire réaliser ces travaux sous la surveillance d’un acousticien, dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard :
- réaliser une mesure acoustique de réception dans un délai de 15 jours à l’issue des travaux ci-dessus mentionnés ;
- faire exécuter obligatoirement les travaux d’entretien des véhicules portes fermées ;
- rédiger un code de bonne conduite du personnel ;
- payer la somme de 3 000 euros par époux au titre du préjudice de santé ;
- payer la somme de 4 000 euros par époux au titre du préjudice moral ;
- payer la somme de 70 210 euros aux époux au titre du préjudice de jouissance ;
- payer la somme de 11 114,49 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- payer les entiers dépens comprenant 5 998 euros de frais d’expertise.

3°. Décision du juge.

Le Tribunal Judiciaire de Thionville, succédant au TGI, a fait droit aux demandes des époux P. et a enjoint à la société T. de faire procéder au démontage et remplacement des trois rideaux de fer, ainsi qu’à la suppression des interstices et des défauts existants aux jonctions de l’enveloppe de l’atelier, dans le délai de 3 mois à compter de la signification du jugement, et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

La société T. a également été contrainte d’exécuter les travaux d’entretien des véhicules portes fermées, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée.

Les époux P. ont toutefois été déboutés de leurs demandes relatives respectivement à l’exécution de travaux sous l’assistance d’un bureau d’étude en acoustique, à la rédaction d’un code de bonne conduite pour le personnel, ainsi qu’à la condamnation de la société T. à la réparation de leurs préjudices moraux et de santé.

Le Tribunal a cependant condamné la société T. à payer aux époux P. la somme de 15 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance, ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Il est à noter que la société défenderesse ne s’est pas défendue dans cette affaire en première instance, et qu’elle n’a même pas interjeté appel.

I. Observations.

A. La prise en compte du calme environnant le domicile des demandeurs dans l’appréciation de l’existence d’un bruit anormal de voisinage.

Dans leur décision du 17 mai 2021, les juges ont rappelé le principe jurisprudentiel selon lequel « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage ».

Ils ont ensuite précisé que « le caractère anormal des troubles de voisinage [s’appréciait] en fonction notamment de l’environnement, rural ou urbain, résidentiel, commercial ou industriel ».

La juridiction a rappelé, à cette occasion, que l’appréciation du trouble de voisinage devait tenir compte non seulement de la nature et de la durée des troubles allégués, mais aussi d’éléments liés à la situation des demandeurs, circonstances par nature extérieures au responsable des nuisances sonores.

Cette solution est avantageuse pour les victimes de nuisances sonores qui, par souci de tranquillité, auraient choisi de s’installer dans un environnement particulièrement calme et paisible, et seraient donc d’autant plus troublées par la survenance de nuisances sonores à leurs portes.

En l’espèce, les juges du fond ont relevé que la maison des époux P. était située dans un quartier résidentiel particulièrement calme, de jour comme de nuit, et que le trafic routier y était quasiment inexistant.

Le jugement a tenu également compte de la circonstance que, selon le rapport d’expertise, tous les équipements de la société T. étaient audibles depuis le domicile des époux P.

Après avoir pris en compte l’environnement des demandeurs, les juges ont alors fait une juste appréciation de l’ensemble des nuisances relevées par l’expert judiciaire, et considéré que « l’activité de la SAS T. générait des troubles anormaux de voisinage au préjudice des époux P ».

En effet, les bruits causés par l’activité de la société S., par leur intensité, leur amplitude horaire et leur répétition, excédaient manifestement les inconvénients normaux du voisinage.

B. La condamnation à la réalisation de travaux de mise en conformité et à la réparation du préjudice de jouissance.

Lorsque les juges admettent l’existence de troubles anormaux de voisinage, il leur appartient d’enjoindre au responsable de ces nuisances de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les troubles, et à le condamner à l’indemnisation intégrale des préjudices en découlant pour les demandeurs.

Concernant la réparation des préjudices subis, les requérants soutenaient, en l’espèce, avoir subi un trouble anormal de voisinage pendant 70 mois, de 2015 à octobre 2020, période qui n’était pas contestée par la société T. puisque celle-ci n’avait pas pris la peine de se défendre.

En retenant une valeur locative de 1 056 euros, les juges ont condamné la société T. à payer aux époux P. la somme de 15 000 euros au titre du préjudice de jouissance.

Pour les époux P., cela représentait une indemnisation d’un peu plus de 20% de la locative durant les 70 mois au cours desquels ils avaient subi les nuisances sonores.

Cette somme a été définie par les juges, en considération de « l’intensité et de la fréquence » des nuisances sonores subies.

Par ailleurs, la société T. a été condamnée au versement de la somme de 5 998 euros, correspondant aux frais d’expertise, ainsi qu’à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Afin de garantir aux époux P. une jouissance paisible de leur bien, les juges ont également obligé la société T. à faire réaliser les travaux prescrits par le rapport d’expertise, relatifs au remplacement des rideaux de fer, ainsi qu’à la mise en conformité de l’enveloppe de l’atelier.

La société T. a également été contrainte de modifier son fonctionnement, et réaliser dorénavant ses travaux d’entretien des véhicules en prenant soin de maintenir fermées les portes de ses locaux, restant jusque-là ouvertes.

Par ces mesures d’isolement acoustique et de modification des comportements, les juges se sont assurés du plein effet de leur jugement, garantissant aux époux P., non seulement l’indemnisation de leur préjudice de jouissance, mais également la jouissance paisible de leur bien immobilier.

II. Conclusion.

Dans son jugement du 17 mai 2021, la chambre civile du Tribunal judiciaire de Thionville a fait application de la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux de voisinage, pour condamner une société d’ambulances responsable de nuisances sonores à cesser les troubles et indemniser le préjudice de jouissance.

Dans l’appréciation de l’existence d’un tel trouble, les juges ont tenu compte du caractère particulièrement calme et paisible de l’environnement dans lequel vivaient les demandeurs.

Les juges ont ensuite, au vu de l’intensité et de la fréquence des nuisances sonores subies par les demandeurs sur une période de 70 mois, condamné la société à verser la somme de 15 000 euros, correspondant à un peu plus de 20% de la valeur locative du bien.

Christophe Sanson, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine