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[Cameroun] Les mesures probatoires en matière de contrefaçon des droits de propriété industrielle dans le nouvel Accord de Bangui. Par Hugues Bérard Zéna Ngouné, Juriste.
Parution : vendredi 15 octobre 2021
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Dans l’Accord de Bangui (AB) du 24 février 1999, les mesures permettant d’apporter la preuve de la contrefaçon ressortent être des « parents pauvres ». Dans le sillage des réformes imposées par la mondialisation et la nécessité de renforcer les moyens de lutte contre la contrefaçon, l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) n’a pas manqué de réviser son dispositif législatif le 14 décembre 2015. Parmi les nouveautés contenues dans l’Accord de Bangui Révisé (ABR), il y a le renforcement des mesures probatoires. La saisie contrefaçon est maintenue et améliorée, tandis que les mesures aux frontières et des recherches d’informations sont nouvellement consacrées.

Ces mesures telles que aménagées, vont davantage faciliter la preuve et la sanction du délit de contrefaçon. Mais pour une efficacité optimale, certaines clarifications relatives à leur mise en œuvre devraient être apportées.

La contrefaçon paraît comme un fait dont presque tout le monde en parle et en connaît plus ou moins la signification. On peut s’en risque de se tromper affirmer que, presque personne n’ignore que dans les marchés, pratiquement dans tous les domaines, il y’a des produits originaux mais aussi des produits d’imitation. Les seconds seraient de moindre qualité et coûteraient moins chers que les premiers.

C’est là, la conception banale de la contrefaçon qu’a bon nombre de personnes dans la société.

Pourtant, la contrefaçon apparait comme un véritable fléau sur le plan macroéconomique et une atteinte à un droit privatif sur le plan microéconomique.

C’est en vue de promouvoir l’innovation, la création et partant le développement qu’il est accordé aux créateurs et inventeurs, les droits de propriété intellectuelle. Ces droits sont des droits exclusifs dont l’acquisition et la valorisation nécessitent de la part de leurs titulaires divers investissements, notamment intellectuels, matériels que promotionnels bafoués par le contrefacteur qui en fait cependant des économies.

La contrefaçon, loin d’appeler les mêmes investissements, est la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un objet ou d’une œuvre protégée par la propriété industrielle ou la propriété littéraire et artistique sans l’autorisation de son titulaire. C’est un acte accompli frauduleusement en violation des droits de propriété intellectuelle d’une personne. C’est un délit, et à ce titre elle fait l’objet d’une lutte acharnée par diverses législations spécifiques ou qui consacrent les droits de propriété intellectuelle tant au niveau mondial que national.

En effet, sur le plan national, certains États africains réunis au sein de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) ont confié la protection juridique des droits y afférents à cette Organisation. Celle-ci tient lieu de service national de la propriété industrielle pour chacun des dix-sept États membres. Jusqu’au 14 novembre 2020, date de l’entrée en vigueur de l’Accord de Bangui révisé le 14 décembre 2015 et de certaines de ses annexes seulement, l’ensemble de la propriété intellectuelle de l’OAPI était régie par l’Accord de Bangui du 02 mars 1977 révisé le 24 février 1999.

Dans une optique de consolidation et de modernisation des acquis, une nouvelle révision a eu lieu. Les grandes nouveautés du nouvel Accord de Bangui sont : l’ajout des États signataires, l’ajout de nouveaux traités internationaux au préambule, l’élargissement des missions de l’OAPI et la création d’un centre d’arbitrage et de médiation, la prorogation de la période transitoire pour les PMA, l’Annexe VII relatif à la propriété littéraire et artistique obtient une force contraignante pour les Etats membres, l’examen au fond des motifs de délivrance des Titres, l’instauration d’un régime de copropriété détaillé pour tous les Titres, la publication de toutes les demandes de Titres avant l’enregistrement par l’Organisation, l’harmonisation d’un contentieux par devant l’OAPI avant l’enregistrement des Titres, la revendication de propriété devant le tribunal, la division des demandes d’enregistrement de Titres, l’admission de nouveaux signes comme marque et de nouvelles catégories de marques, une demande unique d’enregistrement pour des produits et services, l’admission des indications géographiques transfrontalières, le régime de l’épuisement international à tous les droits de propriété industrielle et le renforcement du dispositif de lutte contre la contrefaçon.

Toutes les innovations sont intéressantes, mais le renforcement du dispositif de lutte contre la contrefaçon mérite une attention particulière. Les aménagements y relatif porte sur l’aggravation des peines, la prise des mesures préventives et surtout le renforcement des moyens spéciaux de preuve de la contrefaçon.

En ce qui concerne l’aggravation des peines, conformément à l’Accord ADPIC, les sanctions pénales de la contrefaçon doivent être constituées de l’emprisonnement et/ou des amendes. Il s’agit là des peines principales en matière pénale. Chaque État membre doit les prévoir tout en se rassurant qu’elles sont dissuasives et en rapport avec le niveau des peines appliquées pour des délits de gravité correspondante.

Ainsi en droit OAPI, suivant l’Accord de Bangui Révisé (ABR) : en matière de brevet, la peine qui était d’une amende de un million à trois millions de francs cfa et en cas de récidive outre l’amende, un emprisonnement de un à six mois est passée à un emprisonnement de un an à trois ans et/ou une amende de 5 millions à 30 millions de francs cfa. En droit des marques, la peine de la contrefaçon constituée d’une amende de un à six millions de francs cfa et d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, doublées en cas de récidive est modifiée à une amende de 5 millions à 30 millions de francs cfa et/ou d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, doublées en cas de récidive. En ce qui concerne les dessins et modèles industriels, il était prévu comme peine de la contrefaçon, une amende de un à six millions de francs cfa et en cas de récidive le juge a le choix entre l’emprisonnement d’un mois à six mois et l’amende.

L’Accord de Bangui Révisé prévoit la peine d’un an à trois ans d’emprisonnement et/ou d’une amende de 5 millions à 30 millions de franc cfa doublée en cas de récidive. La nouvelle disposition sur les sanctions pénales en droit d’auteur prévoit que la contrefaçon et les actes assimilés sont punis d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et/ou d’une amende de un million à dix millions de francs cfa. D’une manière générale, on constate que le législateur OAPI a renforcé les sanctions pénales pour lutter contre la contrefaçon.

Toutefois on peut déplorer l’absence d’une totale uniformisation de ces peines qui varient en fonction des matières et le faite qu’elles ne distinguent pas la contrefaçon perpétrée à grande échelle, présentant des dangers pour les consommateurs et liée à des réseaux criminels. Le législateur pourrait s’inspirer de ce qui est fait ailleurs, notamment en France où il y a eu des innovations qui distinguent et renforcent les peines pour le délit de contrefaçon en bande organisée et portant sur les marchandises dangereuses pour les consommateurs.

La diversité des droits de propriété industrielle ne doit pas nécessairement impliquée la diversité des sanctions en fonction de ces droits. Une uniformisation des peines, variées plutôt en fonction des formes de contrefaçon, à l’instar de ce qui est établie en France est souhaitée. Il existe des contrefaçons qui sont tout aussi dangereuses pour les consommateurs telles celles des médicaments et celles qui ne le sont pas du tout.

S’agissant des mesures préventives, elles n’étaient pas prévues dans l’Accord de Bangui. Sa révision a permis au législateur OAPI de consacrer dans l’ABR les mesures relatives à la « prévention des atteintes ». Il stipule bien que toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé ou sur requête, la juridiction nationale afin de voir ordonner toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite des actes de contrefaçon. Il s’agit d’empêcher la réalisation de l’acte préjudiciable ou de stopper qu’il se poursuit et par conséquent stopper l’aggravation du préjudice de contrefaçon.

La prévention des atteintes ne relève pas d’une action au fond en contrefaçon.

D’ailleurs l’ABR énonce que la mesure peut être ordonnée avant l’introduction d’une action au fond ; et que dans ce cas, le demandeur doit se pourvoir, par la voie civile ou pénale, dans un délai de 20 jours pour le brevet et 10 jours pour les autres droits à compter du lendemain du jour où la mesure est pratiquée. Le délai accordé en matière de brevet est plus long et pourrait se justifier par la technicité de l’objet. Mais on pense que législateur pouvait procéder à l’uniformisation de ces délais pour faciliter sa mise en œuvre.

La mesure préventive constituée de l’interdiction provisoire permet de pallier la longueur des délais de procédure de l’action en contrefaçon. En tant que mesure exceptionnelle, la prévention des atteintes peut être subordonnée à la constitution de garanties permettant de dédommager la partie contre laquelle elle aura été prononcée à tort, si l’action en contrefaçon se révélait ultérieurement jugée non fondée. Elle le serait d’ailleurs difficilement si des moyens de preuves particulières sont accordés aux victimes de contrefaçon.

Le législateur OAPI l’a compris. En effet, la contefaçon ne peut être correctement et facilement poursuivie et sanctionnée que s’il est aménagé, en plus des modes de preuve de droit commun, des procédés qui lui sont spécifiques compte tenu de la difficulté d’en établir parfois l’existence. Avant la révision de l’Accord de Bangui le 14 décembre 2015, seule la saisie contrefaçon, considérée comme « la reine des preuves dans le domaine de la propriété intellectuelle » était aménagée. Sa mise en œuvre présentait cependant certaines limites notamment l’exigence de preuve de non radiation et non déchéance pour certaines matières.

Par ailleurs, elle n’était pas suffisante et nécessitait d’autres moyens pour renforcer la quête des preuves en matière de contrefaçon. La récente révision consacre désormais à côté de la saisie contrefaçon non sans apporter quelques réaménagements, les mesures aux frontières et celle de « Recherches d’informations ». Elle se conforme ainsi à l’article 47 de l’Accord sur Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce (ADPIC) qui stipule que « les membres pourront disposer que les autorités judiciaires seront habilités à ordonner au contrevenant, à moins qu’une telle mesure ne soit disproportionnée à la gravité de l’atteinte, d’informer le détenteur du droit de l’identité des tiers participant à la production et à la distribution des marchandises ou services en cause, ainsi que de leurs circuits de distribution ».

On peut ainsi se réjouir de constater que le dispositif probatoire dans le nouvel Accord de Bangui se trouve amélioré et renforcé. Il va de l’intérêt des titulaires de droit de propriété intellectuelle et de leurs exploitants dans l’espace OAPI de savoir davantage sur les innovations ainsi apportées. S’y appesantir est aussi intéressant pour les praticiens du droit qui auront à manipuler au quotidien les mesures nouvellement adoptées.

Pour la présentation des mesures probatoires en matière de contrefaçon des droits de propriété industrielle dans le nouvel Accord de Bangui on retient que la saisie contrefaçon est maintenue et légèrement améliorée. Elle est renforcée dans son rôle de recherche et de sauvegarde des preuves de la contrefaçon par les mesures aux frontières et de recherches d’informations nouvellement consacrées. On retient ainsi que la révision de l’Accord de Bangui en ce qui concerne la preuve de la contrefaçon se résume l’amélioration insuffisante de la saisie contrefaçon (I) et la consécration de nouveaux moyens de recherche des preuves (II).

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Hugues Bérard ZÉNA NGOUNÉ Juriste d’Entreprise Cameroun Doctorant en Droit de l'UDs Cameroun