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Quand l’âge déstabilise, la médiation équilibre. Par Patricia Aspart, Ingénieur d’Études.
Parution : mardi 12 octobre 2021
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Le vieillissement des populations est un enjeu sociétal mondial qui touche aussi bien les pays développés que les pays émergents. Ce dernier a une incidence sur les familles et pose de nombreuses questions. Et la médiation a un rôle à jouer pour y répondre. On imagine souvent la médiation circonscrite à une résolution de conflit(s) avéré(s). Or, c’est dans la prévention aussi qu’elle pourrait montrer tout son sens.

Introduction de Françoise Housty, Présidente fondatrice de Daccord Médiation :
En Europe il est noté une augmentation de la part de personnes âgées de 65 ans et plus dans la population qui passe de 13,7 % en 1990 à 19,2 % en 2016. Outre les conséquences sur les politiques sociales et familiales en matière de fécondité et d’allongement de vie se pose la question des nouvelles solidarités pour prendre en charge un parent vieillissant notamment en perte d’autonomie. Et c’est certain, le vieillissement impacte les familles posant de nombreuses questions : comment recomposer des équilibres familiaux bouleversés dans ses relations transgénérationnelles ? Quelle place, quel rôle pour ces personnes dites âgées dans l’espace social et familial ? Ces questions existentielles aux effets bien réels résonnent fortement au cœur des structures familiales ; la médiation sera alors une lieu de réponse possible.

Quand l’âge déstabilise, la médiation équilibre.

Il fut un temps où l’on naissait et mourrait à la maison, entouré des siens.
Aujourd’hui, et l’on peut s’en réjouir, les enfants s’émancipent et partent vivre leur vie loin du noyau familial, les familles sont recomposées / éclatées même si nous n’avons jamais été aussi connectés.

En 2019, avant la pandémie de Covid, l’espérance de vie des françaises s’élevait à 85,6 ans et celle des français à 79,7 ans. Si l’on peut se réjouir de ces performances, on peut aussi nuancer le propos en rappelant que seulement un quart des décès ont lieu au domicile.
Le grand âge est malheureusement aussi souvent synonyme de démence sénile, dépendance, placement en établissement spécialisé... Une dissonance de plus dans nos vies aux multiples injonctions contradictoires : on n’a jamais autant parlé de bien-être, bienveillance, care, droits des patients… et l’on meurt la plupart du temps dans un lieu glaçant, entouré de tous les éléments d’une technicité aseptisée.
La charte des droits du patient confirme le droit légitime à ne pas souffrir ; les conditions matérielles à elles-seules sont parfois sources de souffrance. Tant pour les patients que pour les familles.
La période Covid a ajouté l’interdiction faite aux proches d’assister leurs parents mourants et de toucher la réalité d’un deuil inévitable. La mort a atteint ici le degré ultime de son invisibilité.

Que viendrait faire la médiation dans ce contexte ? On l’imagine souvent circonscrite à une résolution de conflit(s) avéré(s). Or, c’est dans la prévention aussi qu’elle pourrait montrer tout son sens.

Elle devrait être une évidence à tous les niveaux :
- En amont d’un placement en EHPAD par exemple : entre tous les membres d’une famille, en particulier lorsque la fratrie est nombreuse. Il y a les « interventionnistes » qui prennent des initiatives (ils se renseignent sur les EHPAD) et sont jugés trop pessimistes par les « attentistes », souvent dans le déni d’une situation trop douloureuse à gérer pour eux, ceux qui subissent la situation et attendent qu’on prenne une décision pour eux, etc. Tous les ingrédients sont réunis pour l’éclatement de la famille.

Et la personne dépendante dans tout cela ? Lui a-t-on demandé son avis même si l’on sait qu’il peut manquer de cohérence ? Quand l’a-t-on brutalement faite passer du statut de personne à celui de sujet ?

- Dans la relation avec l’EHPAD : avec la direction, l’équipe médicale, le personnel de soins. Ces derniers sont aux premières loges et n’ont pas été formés à cet aspect, parfois agressif, de leur métier. Car la culpabilité des parents de la personne placée s’engouffre dans ce qu’ils perçoivent comme les « manques » dont seraient responsables des équipes arc-boutées sur l’acte technique du soin.

Bien entendu, il n’est pas question de faire le procès d’un système en souffrance : manque de personnel, de moyens, de lieux accueillants… donc, de disponibilité et d’écoute des équipes. Les médecins, infirmiers, aides-soignants, ont avant tout été formés à savoir prendre de la distance face aux difficultés, réelles ou ressenties, des patients. La médiation pourrait être ici un relais leur permettant de se protéger face à des situations douloureuses. Car on comprend que l’EHPAD cristallise tous les problèmes et peut parfois se voir dévolu le rôle de bouc émissaire même s’il ne faut pas non plus sous-évaluer le manque de disponibilité de tous, ou certains, membres des familles.

Le Décret n° 2019-897du 28 août 2019 institue un médiateur national et des médiateurs régionaux ou inter-régionaux pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux. Le problème est qu’ils ne sont souvent pas formés. Ce décret est cependant la preuve d’une prise de conscience dont on espère qu’elle dépassera le registre de l’empirisme fondé sur les bonnes pratiques de ceux qui « font » de la médiation comme M. Jourdain de la prose…

La médiation devrait aussi être appelée à la rescousse pour couvrir des champs multiples et complémentaires :
- entre les membres de la famille, par l’aide à la décision qui permettrait en amont de désamorcer les inévitables conflits qui ne manqueraient pas de ressurgir au moment de l’inévitable succession,
- entre les familles et les EHPAD.

La médiation se targue de (re)nouer un dialogue entre des individus qui partagent (de près ou de loin) une histoire commune. Elle n’a rien de lénifiant ni même d’apaisant en ce qu’elle ne peut prétendre résoudre tous les problèmes. En effet, elle ne doit surtout pas se substituer à des disciplines qui lui sont étrangères, telle la psychologie par exemple.

Elle permet avant tout de mettre un nom sur les choses et, par là, de rappeler aux interlocuteurs leurs responsabilités en les poussant à ne pas penser le monde en noir et blanc mais remettant au centre la tolérance. La médiation apporte de la nuance. Et c’est déjà beaucoup.

Patricia Aspart Ingénieur d’Études- Université de Toulouse Capitole (UT1) Médiateur Membre Daccord Médiation