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Référé suspension et permis de construire : urgence et date du recours en annulation. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : vendredi 15 octobre 2021
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Dès lors que les travaux ne sont pas achevés ou sur le point de l’être, il y a bien urgence à suspendre un permis de construire illégal. Peu importe que le référé suspension ait été formé plusieurs mois après le recours en annulation.

On le sait, les recours administratifs (gracieux ou hiérarchiques) ainsi que les recours contentieux n’ont pas d’effet suspensif sur les autorisations d’occuper et d’utiliser le sol tel un permis de construire.

C’est la raison pour laquelle depuis 2001, avec la création du référé suspension, toute personne qui le juge utile peut parallèlement à un recours en annulation dirigé contre un permis de construire solliciter du juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution dudit permis de construire. Il est ainsi possible de suspendre la réalisation du projet jusqu’à ce que le juge du fond prenne position sur le dossier.

Classiquement, pour faire droit à une telle demande de suspension au titre de l’article L521-1 du Code de justice administrative, deux conditions cumulatives devaient être réunies.

D’une part, le requérant devait démontrer qu’il y avait urgence pour le juge à prononcer une telle suspension. D’autre part, cette suspension devait être motivée par la constatation que le permis était entaché d’un ou plusieurs doutes sérieux sur sa légalité.

S’agissant de la condition d’urgence, en matière d’urbanisme opérationnel et donc de permis de construire, la jurisprudence a rapidement érigé un principe de présomption d’urgence à suspendre les effets du permis dès lors que les travaux de réalisation de ce dernier avaient débuté ou été sur le point de débuter [1].

Cette présomption d’urgence était alors liée au caractère difficilement réversible de la construction d’un bâtiment.

La loi dite Elan du 23 novembre 2018 est venue codifier ce principe au visa de l’article L600-3 du Code de l’urbanisme. Désormais, et depuis le 1er janvier 2019, dès lors qu’un référé suspension est dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, un permis de construire, d’aménager ou de démolir la condition d’urgence liée à la formation d’un tel référé est présumée remplie.

Il s’agit en effet d’une présomption simple qui est réfragable, et donc qui peut être renversée.

En réalité, le juge avait déjà pris position en son temps sur ce point en considérant que l’administration en défense pouvait justifier de circonstances particulières, pouvant notamment résulter de l’urgence à exécuter le projet de construction ou de l’absence de gravité de l’atteinte portée aux intérêts des requérants, pour tenter de renverser cette présomption d’urgence [2].

Dans une récente décision du 6 octobre 2021, le Conseil d’Etat est venu apporter une précision d’importance sur ce point.

L’écoulement du temps est habituellement pris en considération par le juge des référé pour apprécier si la condition d’urgence est remplie. Néanmoins, le seul écoulement du temps ne constitue pas, à lui seul, un élément rédhibitoire à la formation d’un référé suspension comme le confirme le Conseil.

Dans cette espèce des particuliers avaient formé un recours en annulation puis un référé suspension à l’encontre d’un permis de construire. Le juge des référés du Tribunal administratif de Melun avait toutefois rejeté leur demande de suspension en considérant que la condition d’urgence n’était pas remplie.

Le juge avait fondé sa conviction et position sur l’absence de diligence des requérants pour le saisir. Ces derniers avaient en effet attendu plusieurs mois depuis la formation de leur recours en annulation pour engager un référé suspension et alors même que la préparation du chantier contesté avait avancé et que les travaux étaient sur le point de débuter.

Le Conseil d’Etat a censuré pour erreur de droit l’ordonnance du juge des référés. Il a en effet estimé dans le cadre d’un considérant de principe que cette seule circonstance n’était pas de nature à renverser la présomption d’urgence instaurée par l’article L600-3 du Code de l’urbanisme.

La position du 1er juge était en effet relativement surprenante en ce qu’elle se détachait de la position habituelle de la jurisprudence.

En effet, classiquement, en absence de circonstances particulières opposaient en défense, dès lors que les travaux ne sont pas achevés ou que le chantier n’est pas suffisamment avancé [3] l’urgence est habituellement reconnue par le juge.

En somme, en début de chantier, il y a bien urgence à suspendre ce dernier.

Références : CE, 6 octobre 2021, n°445733 ; CE, 27 juillet 2001, n°231991 ; CE, 7 février 2007, n° 287741 ; CE, 21 octobre 2005, n°280188.

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1Voir notamment CE, 27 juillet 2001, n°231991.

[2CE, 7 février 2007, n°287741.

[3Voir sur une absence d’urgence pour une construction quasi achevée CE, 21 octobre 2005, n°280188.