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Droit d’auteur et droit des dessins et modèles : des droits distincts mais complémentaires. Par Pierre Vivant, Avocat.
Parution : lundi 18 octobre 2021
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Il est d’usage pour les titulaires de droits sur une création d’agir à la fois sur le terrain du droit d’auteur et sur le terrain du droit des dessins et modèles (si l’œuvre a été déposée) ou du droit des dessins et modèles communautaires non enregistré (si ce dernier a été divulgué depuis moins de trois ans).

Si pendant longtemps, le cumul de ces droits n’avait que peu d’intérêt (sauf pour solliciter des dommages-intérêts plus importants) car on obtenait satisfaction soit sur l’ensemble des demandes soit sur aucune, les tribunaux font désormais une réelle distinction entre ces deux droits.

Droit d’auteur et droit des dessins et modèles sont des droits différents qui viennent protéger une même création. Un sac à main peut donc à la fois être protégé par un droit d’auteur tout comme par le droit des dessins et modèles. Néanmoins les Tribunaux distinguent ces deux droits à la fois sur l’accès à la protection (1) et sur l’appréciation d’une éventuelle contrefaçon (2).

1/ L’accès à la protection.

En droit d’auteur, l’œuvre doit être original ; en droit des dessins et modèles (outre la question du dépôt ou de la divulgation depuis moins de trois ans pour un dessin et modèle communautaire non enregistré), il est nécessaire que la création soit nouvelle et qu’elle possède un caractère propre.

Il peut être facile de considérer que l’originalité et le caractère propre sont deux notions semblables, voire identiques. Cela étant, il n’en est rien. Les Tribunaux font d’ailleurs la part des choses et peuvent accorder à une création un droit de dessin et modèle tout en le refusant pour le droit d’auteur.

En effet, si les conditions de l’accès à la protection sont contestées par le défendeur à une action en contrefaçon et qu’il produit des antériorités, le juge devra statuer sur le caractère original (pour le droit d’auteur) et sur le caractère propre (pour le droit des dessins et modèles) en tenant compte de ces antériorités.

En droit d’auteur, il peut légitimement juger que « le modèle […], qui reprend des éléments connus dans une combinaison dont l’originalité n’est pas établie, ne peut bénéficier de la protection instaurée par le livre I du Code de la propriété intellectuelle » [1]. Ainsi, face à plusieurs antériorités, le tribunal va comparer l’œuvre revendiquée avec l’ensemble des antériorités.

Or, en droit des dessins et modèles, le raisonnement est différent. L’article L511-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’« un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée ». Il a donc déjà pu être jugé : « Considérant qu’il s’ensuit que l’appréciation du caractère propre implique de comparer le modèle en cause avec tout dessin ou modèle antérieurement divulgué, pris individuellement, afin de déterminer si l’impression visuelle d’ensemble qui se dégage du modèle diffère de celle produite par ces antériorités » [2]. Ainsi, face à plusieurs antériorités, le tribunal va comparer l’œuvre revendiquée avec chacune des antériorités, prise séparément.

Il peut donc s’avérer plus aisé (sous réserve des autres conditions : dépôts ou exploitation depuis moins de trois ans) d’obtenir une protection au titre du droit des dessins et modèles plutôt qu’en droit d’auteur.

2/ L’appréciation d’une éventuelle contrefaçon.

Là aussi, une distinction est à opérer entre les deux droits.

En ce qui concerne le droit d’auteur, le principe est que la contrefaçon s’apprécie en fonction des ressemblances et non des différences. C’est-à-dire que si les éléments constituant l’originalité sont repris dans l’œuvre seconde alors il s’agira d’une contrefaçon.

L’article L513-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose que

« la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente ».

Le Tribunal va donc comparer le dessin et modèle protégé ainsi que le second afin de comparer l’impression visuelle d’ensemble qu’ils dégagent, de sorte que les différences qui existent peuvent avoir leur importance.

Il s’avère donc plus difficile d’obtenir une condamnation sur ce fondement plutôt que sur le droit d’auteur.

Rappelons d’ailleurs que pour le dessin et modèle communautaire non enregistré, cela est d’autant plus difficile que les textes mentionnent expressément l’existence d’une copie et qu’il est précisé que « l’utilisation contestée n’est pas considérée comme résultant d’une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d’un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu’il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire » [3].

Conclusions.

Lorsque cela s’avère possible, il peut être intéressant de fonder une action sur ces deux fondements, mais cela sous-entend une argumentation différente. Attention néanmoins : se voir reconnaitre uniquement des droits de dessins et modèles pour en conclure que la contrefaçon n’est pas constituée n’a que peu d’intérêts. Le cumul des actions doit donc être réfléchi et non un simple automatisme.

Pierre Vivant Avocat au Barreau de Paris Cabinet Bettati & Vivant Avocats www.bettati-vivant.com

[1CA Paris 8 septembre 2015, RG n° 14/08531, jurisdata.

[2CA Paris 7 avril 2015, jurisdata n° 2015-008797.

[3Article 19 du règlement (CE) 6/2002).