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États généraux de la Justice : de leur lancement en 2021 aux projections de recrutement de la rentrée 2023.
Parution : jeudi 5 janvier 2023
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Lancés en octobre 2021, les États généraux de la Justice se sont terminés au début de l’année 2022, mais le rapport final n’a finalement été remis que le 8 juillet.
D’après le ministère, environ 50 000 personnes ont participé, dont notamment 18 545 citoyens, 12 608 magistrats et agents du ministère et 8 725 détenus.
Au total, plus d’un million de contributions individuelles ou collectives ont été déposées.
Le Village de la Justice vous propose de retrouver ici la chronologie du projet, le lien vers le rapport, les réactions qui ont suivi et le plan d’action du Ministère annoncé en janvier 2023.

A l’origine des États généraux, une rencontre entre le Président de la République, le Procureur général près la Cour de cassation François Molins et la première présidente de la Cour de cassation, Chantal Arens.
Selon Hélène Davo, conseillère Justice du Président de la République, lors du débriefe de lancement des EGK (en octobre 2021) : "Le Président leur a demandé comment ils voyaient les choses et qu’est-ce qu’il fallait faire. Ce sont eux qui ont dit “Nous, nous ne voyons qu’une seule solution, c’est de lancer des états généraux trans-partisans.” Et le Président, tout simplement, a relevé le défi. Il a décidé d’annoncer ces états généraux à son niveau."

A écouter en complément...
Discours du Président de la République Emmanuel Macron lors du lancement des États Généraux de la Justice à Poitiers le 18 octobre 2021.

Un des objectifs des EGJ : Se reconnecter aux citoyens.

C’est le constat d’Haffide Boulakras, Délégué ministériel aux États Généraux de la Justice : "Ce que l’on a fait — et c’est important pour pouvoir éclairer la méthode qui est la nôtre — c’est se pencher sur les 4 exercices précédents du ministère sur les 20 dernières années. On s’est aperçu que nous avions très peu touché les citoyens et que nous avions assez peu touché les personnels du ministère qui étaient autres que les magistrats. C’était un élément qui était important pour pouvoir avoir un exercice qui était un exercice nouveau, qui touchait le plus grand nombre et qui permettait justement de mettre à plat les dysfonctionnements que l’on connaissait, à savoir d’un côté, la relation de confiance aux justiciables et d’un autre côté, la relation de confiance aux partenaires et l’amélioration du dispositif judiciaire, c’est-à-dire une institution qui réussit à se moderniser."

Selon les chiffres du ministère [1], 2 000 personnes ont participé à 286 ateliers locaux, et 50 citoyens ont participé à 2 ateliers délibératifs en décembre 2021. Cela semble peu. Mais toujours selon le ministère, plus d’un million de contributions individuelles ou collectives ont été rendues.

Une plateforme numérique ouverte à tous.

L’ensemble des informations et les synthèses des contributions sont à retrouver sur la plateforme dédiée "Parlons Justice.fr".

"Nous avons décidé de mettre en place une plateforme numérique qui permet à n’importe quel citoyen, sur l’ensemble du territoire national, de pouvoir répondre à un questionnaire qui est un questionnaire à questions fermées pour partie, et également à questions ouvertes, demandant aux citoyens de pouvoir faire des propositions en fonction des thématiques qui y sont abordées.
Au-delà des citoyens, il s’agissait également pour nous de nous adresser aux partenaires, aux corps constitués. Nous avons la possibilité, sur cette même plateforme, de procéder à une contribution dite collective, c’est-à-dire de déposer un cahier précis avec des demandes, une analyse, des préconisations qui feront également l’objet d’une remontée via cette plateforme numérique."

La synthèse des contributions est à retrouver ici.

Le calendrier : 5 mois de débat et 3 phases.

Le calendrier annoncé prévoyait 5 mois de débats menés d’octobre 2021 à février 2022, en 3 phases. Découpé ainsi selon Haffide Boulakras :
- "Une phase de consultation d’octobre à fin novembre. L’idée : "avoir l’expression de tous, dans les meilleures conditions possibles en faisant en sorte d’utiliser ce que l’on fait maintenant pour une consultation citoyenne.
(...)"
- Une phase d’expertise : "une fois que les remontées sont effectuées, des groupes d’experts analyseront ces remontées. (...) Sur la phase d’expertise, pour les éléments calendaires, nous la situons du mois de novembre à la mi-janvier." (...)
- Une phase dite "de convergence ou de synthèse, c’est-à-dire la phase à l’occasion de laquelle nous avons un dialogue entre les groupes de travail et le comité indépendant, et puis, ensuite, une synthèse puisqu’il faut pouvoir rédiger très concrètement ou formaliser très concrètement ces propositions (…)"

Cependant, à la demande de Jean-Marc Sauvé, la remise du rapport final a été reportée initialement à fin avril, compte tenu des élections présidentielles [2], pour finalement être remis le 8 juillet 2022 au Président de la République Emmanuel Macron.

Été 2022 : la remise du rapport et les réactions des professionnels.

Le rapport et ses 7 annexes sont désormais à télécharger ici.

Dans un communiqué de presse commun publié dans la foulée, L’AFJE, le Cercle Montesquieu et Paris Place de droit, trois associations représentatives des professionnels du droit de l’entreprise, se sont félicitées que "certaines de leurs recommandations pour améliorer, simplifier et professionnaliser la justice économique aient été reprises dans les conclusions des États Généraux de la Justice" ; ces associations soulignent notamment "l’élargissement envisagé des compétences de la justice commerciale".

A noter également, la réaction du Barreau de Paris par le biais de sa Bâtonnière, Julie Couturier, et de son Vice-Bâtonnier, Vincent Nioré, qui indiquent que "le constat est le même que celui dénoncé par les magistrats lors de la tribune des 3 000 en novembre 2021 : l’institution judiciaire est à bout de souffle. "
Néanmoins, l’Ordre des avocats de Paris "salue : le constat d’une nécessaire approche systémique des politiques judiciaires, la demande de recruter 1 500 magistrats, 2 000 juristes assistants et 500 greffiers supplémentaires, la demande d’augmenter considérablement les moyens consacrés à la Justice" et indique rester "en attente des suites concrètes données à ce rapport".

Du côté du CNB, son Président s’est également rapidement exprimé dans une tribune publiée dans L’Opinion, titrée « Les avocats d’aujourd’hui sont les magistrats de demain » [3]
L’avocat retient en effet "une solution : recourir aux avocats" pour pallier le manque de magistrats, et rappelle que le rapport souligne "l’utilité de l’intégration de magistrats ayant exercé la profession d’avocat, compte tenu de leur formation et de leur connaissance intime du fonctionnement de l’institution judiciaire et des principes fondamentaux du procès civil, comme de l’importance des droits de la défense".
Jérôme Gavaudan conclue "L’avenir de la justice passe aujourd’hui par une mise en commun de toutes les compétences, de toutes les expériences."

Par la suite, le 12 juillet, le bureau du Conseil national des barreaux [4] a fait savoir par un communiqué de presse qu’il restait entre "espoir et vigilance", car si le rapport du comité des états généraux de la justice "répond aux vœux réitérés de la profession d’avocat en ce qui concerne l’augmentation des moyens dévolus à la justice", il note cependant que certaines propositions des groupes de travail, "même si elles n’ont pas été reprises dans le rapport du comité, seront discutées voire contestées par la profession d’avocat".
Enfin, le bureau annonce qu’une rencontre est prévue avec le garde des Sceaux le 22 juillet pour qu’il précise ses intentions en réaction au rapport des états généraux.

La Conférence Nationale des Directeurs Pénitentiaires d’Insertion et de Probation a par la suite réagi dans une tribune parue dans Le Monde le 15 juillet 2022 [5]. Elle y appelle "à en finir avec les discours populistes et démagogiques sur la prévention de la récidive" et revient, s’agissant des EGJ, sur la question de l’intervention du secteur associatif qu’elle juge "indispensable" si elle est "complémentaire et non concurrentielle".
Elle explique ainsi : "Nous voyons depuis plusieurs années des associations ou agences voir le jour, être soutenues par des financements publics, au détriment des moyens qui pourraient être alloués aux SPIP. Ainsi le rapport Sauvé propose, dans le cadre des États Généraux de la Justice, une agence, dont nous ne percevons pas l’intérêt. Son coût serait sans doute très important (...) Elle viendrait dégrader la reconnaissance pleine et entière des SPIP au sein de l’administration."

Les deux principaux syndicats de magistrats - L’Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature - conviés à des rencontres bilatérales avec le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti ne s’y rendront pas. Ils ont en effet « fait savoir qu’ils avaient chacun décliné "par courrier" les invitations du ministre de la Justice, avec lequel le dialogue est rompu depuis deux ans. » [6].

Par un communiqué de presse en date du 22 juillet, la Confédération Nationale des Avocats "ne cache pas sa déception et appelle les avocats à réagir". Le syndicat "regrette qu’au-delà d’un constat particulièrement fin et détaillé d’une justice délabrée, les propositions restent les mêmes et manquent d’audace" et termine par un appel : "Il y avait d’autres pistes. Il y a encore d’autres pistes. S’il ne s’agit que d’une feuille de route pour les réformes à venir... de grâce, consultez en amont les avocats."

Selon le journal Le Monde [7], les juges consulaires des tribunaux de commerce sont également mécontents du rapport des États généraux de la justice : « Une note interne, diffusée début août aux présidents des régions consulaires, déplore la tonalité du rapport du groupe de travail sur les tribunaux de commerce, souvent perçus comme "périphériques" par les milieux judiciaires. »

A l’occasion des universités d’été de la Rochelle, la Conférence des bâtonniers a remis à l’ensemble des bâtonniers présents sa synthèse du rapport du Comité des états généraux de la Justice, "afin que tous puissent travailler facilement sur le sujet et faire remonter leurs réflexions dans les semaines à venir". Elle à lire ici.

Initié à la suite de l’annonce des États généraux de la justice, et de l’appel des 3 000 magistrats en novembre dernier, Anne-Sophie Laguens, avocate au barreau de Paris, a réalisé le documentaire "La Justice a bout de souffle."
L’avocate est allée à la rencontre de magistrats, avocats, greffiers, SPIP, Garde des Sceaux, journalistes judiciaires, universitaires, chroniqueurs, afin qu’ils donnent leur vision de l’état de la Justice au 21ème siècle.
Son travail désormais achevé, le barreau de Paris organise une projection qui sera suivie d’un débat le lundi 5 septembre 2022 à la Maison de l’Avocat.
Retrouvez notre article à ce sujet et le lien vers le documentaire ici.

Janvier 2023 : Présentation du plan d’action issu des États généraux de la Justice.

La voilà enfin, la tant attendue suite des états généraux de la Justice, plus d’un an et demi après leur lancement. Un plan d’action présenté le 5 janvier 2023 par le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti.

Le Ministre a commencé par résumer en quelques mots les conclusions de la consultation citoyenne par laquelle les EGJ avaient débuté : les concitoyens se plaignent (sans surprise) d’une Justice "trop lente et trop complexe".

De leur côté, les professionnels ont souligné comme toujours le manque de moyens, ainsi que l’inflation législative et les procédures devenues trop complexes, et ont dénoncé une organisation de la Justice qui n’est pas "optimale".

C’est par un long discours détaillé en 8 points (page 2 du discours) qu’Eric Dupond-Moretti y a répondu :
1) Les moyens humains et financiers
2) L’organisation nouvelle du ministère
3) Les mesures novatrices en matière civile
4) Les réformes de la justice prud’homale et économique
5) La refonte de la procédure pénale
6) La revalorisation des métiers de justice
7) Des mesures en matière pénitentiaire
8) Des mesures en matière de protection judiciaire de la jeunesse

Parmi les annonces, retenons évidemment les chiffres parlants : "Le budget continuera d’augmenter jusqu’à atteindre près de 11 Md€ en 2027. Ainsi, à l’issue des deux quinquennats, le budget de la justice aura connu une hausse de près de 60 %." Une augmentation du budget alloué en premier lieu au recrutement, avec "10 000 emplois supplémentaires d’ici 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers". (page 3)

Pour répondre à la demande du terrain d’une organisation plus "optimale" de la Justice, le garde des Sceaux annonce une clarification de la répartition des compétences entre le secrétariat général et la direction des services judiciaires et l’augmentation des pouvoirs de gestion des chefs de juridiction par rapport aux administrations centrales.

Cette déconcentration s’accompagnera d’une restructuration des compétences budgétaires et de gestion des principales cours d’appel et ce sans que la carte judiciaire ne soit modifiée (page 4).

Autre point remarqué et tout aussi attendu : une prise en compte de la justice civile, souvent grande oubliée au profit de la justice pénale... pourtant comme le rappelle le Garde des Sceaux : "60% des décisions rendues par nos tribunaux sont des décisions civiles."
Réponse principale du Ministère : développer une "véritable politique de l’amiable", allant jusqu’à créer deux nouveaux modes de règlement amiable : la césure et la procédure de règlement amiable (Voir page 6 du discours).
Autre angle d’attaque : la simplification des procédures. Révision des délais dit Magendie en appel, amélioration de la structuration des écritures par le biais de travaux avec le CNB, mode unique de saisine du juge notamment, avec pour objectif "qu’au terme du quinquennat, les délais de procédures en matière civile soient en moyenne divisés par deux". (Page 8).

La justice dite économique a eu également droit à des égards, avec l’annonce de la transformation à titre expérimental dans un premier temps de certains tribunaux de commerce en "Tribunaux des activités économiques" : "ce TAE sera compétent pour connaître de toutes les procédures amiables et collectives, quels que soient le statut et le domaine d’activité des opérateurs économiques concernés (...) Une contribution financière des entreprises, sera mise en place, à l’instar de ce qui se pratique dans de nombreux autres pays européens. Elle sera proportionnelle à l’enjeu du litige et fonction de la capacité contributive de ces sociétés (...)". (Voir page 9 du discours).

Enfin, côté univers carcéral, parmi des mesures plus "symboliques", notons la création de 10 nouveaux établissements pour 2 000 places durant l’année 2023.

Mai 2023 : le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a été déposé sur le bureau du Sénat le 3 mai 2023.

Le texte a été présenté au Conseil des ministres du 3 mai 2023 par le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti. Le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. Il est actuellement sur le bureau du Sénat. Vous pourrez retrouver le dossier législatif et les étapes de la discussion ici.

Le projet de loi présente le budget de la justice sur la période 2023-2027, détaille les objectifs et les moyens du ministère et simplifie et améliore la procédure et l’organisation de la justice. Il est complété par un projet de loi organique modernisant le statut de la magistrature. Ces deux textes traduisent le "plan d’action pour une justice plus rapide et plus efficace" présenté par le garde des sceaux en janvier 2023, à l’issue des États généraux de la justice. (Source : Vie-publique.fr).

Rentrée 2023 : les premières projections concernant le plan massif de recrutement pour la Justice annoncée par Éric Dupond-Moretti.

En déplacement à Colmar le 31 août [8], le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a dévoilé une première projection de répartition des effectifs pour les juridictions prévus par la loi de programmation du Ministère de la justice, (adoptée en première lecture au Sénat puis à l’Assemblée nationale, et qui devra être définitivement entérinée par le Parlement à l’automne).

Elle se résume en trois chiffres :
- création nette de 1 500 postes de magistrats
- et d’au moins 1 500 greffiers pour la période 2023-2027.
- ainsi que 1 100 attachés de justice (la fonction a été créée dans la loi d’orientation et de programmation ; elle se substituera aux actuels juristes assistants).

Le Ministère a précisé que "ces renforts seront affectés en priorité à la première instance".

A noter aussi : les promotions de l’ENM qui s’étoffent. La promotion 2023 est annoncée comme la plus importante de l’histoire de l’école avec plus de 380 auditeurs de justice.

Rédaction du Village de la Justice.

[1Communiqué de presse en date du 31 janvier 2022

[2Source Le Figaro.

[3A lire ici.

[4Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux ; Julie Couturier, bâtonnière de Paris ; Bruno Blanquer, président de la Conférence des bâtonniers ; Marie-Aimée Peyron, vice-présidente du Conseil national des barreaux ; Laurent Martinet, vice-président du Conseil national des barreaux ; Florian Borg, secrétaire du Conseil national des barreaux ; Olivier Fontibus, trésorier du Conseil national des barreaux ; Nathalie Attias, Rusen Aytac, Alexandra Boisramé, Gilles Boxo, membres du Bureau.

[5A lire ici

[6Source : Le Figaro.

[7A lire ici.

[8Discours à lire ici

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