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Décrocher un portrait présidentiel relève-t-il de la liberté d’expression ? Par Etienne Deshoulières, Avocat et Yasaman Asghar, Juriste.
Parution : samedi 13 novembre 2021
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Par une décision du 22 septembre 2021 (n° 20-85.434), la Cour de cassation a confirmé que l’état de nécessité ne peut justifier le décrochage du portrait du Président Emmanuel Macron poursuivi sous la qualification de vol. Alors que la Cour d’appel a fait la sourde oreille à l’urgence climatique dénoncée par les prévenus (I), la Cour de cassation ouvre la porte à une justification des faits sur le fondement de la liberté d’expression (II).

I. La Cour d’appel fait la sourde oreille à l’urgence climatique dénoncée par les prévenus.

En 2019, plusieurs militants avaient décroché des portraits du Président Emmanuel Macron dans les mairies de Lyon, l’Ain, et dans la région Bordelaise. Leur objectif était de dénoncer l’inaction de la France en matière de changement climatique. Les militants avaient remplacé la photo du Président par une pancarte où était inscrit « Urgence sociale et climatique, où est Macron ? ».

L’objectif de cette mobilisation était de réaliser une action non violente, mais suffisamment symbolique, pour attirer l’attention sur l’urgence climatique et faire pression sur le gouvernement afin qu’il prenne conscience de son manque d’implication dans la lutte contre le dérèglement climatique. Après cette mobilisation et le décrochage des portraits du président de la République, les activistes ont été condamnés pour vol en réunion par les juridictions bordelaises. Les militants ont décidé de saisir la cour d’appel pour plaider la liberté d’expression afin d’expliquer leur geste écologique.

L’avocat des militants avait soutenu devant la Justice que « l’infraction peut être le message, lorsque l’infraction fait sens avec le message qu’elle met en scène ». Pour la Cour d’appel, le raisonnement est tout autre. En effet, elle a jugé que la liberté d’expression ne peut jamais justifier le fait de commettre de telles infractions. Les militants ont décidé de saisir la Cour de cassation.

Le 22 septembre dernier, la Cour de cassation a estimé que décrocher un portrait du président de la République pour dénoncer l’inaction de la France en matière de changement climatique peut relever de la liberté d’expression. Cette décision est surprenante en ce qu’elle concerne à la fois le délit de vol et le délit d’opposition au relevé d’empreintes génétiques ou relevé signalétique.

II. La Cour de cassation ouvre la porte à une justification des faits délictueux sur le fondement de la liberté d’expression.

A. Justification du délit de vol aggravé.

Il parait évident que la soustraction de plusieurs tableaux du président de la République équivaut à des vols.
Toutefois, l’article 122-7 du Code pénal dispose que :

« n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Cette irresponsabilité pénale renvoie au traditionnel principe de l’état de nécessité qui permet à une personne de ne pas être condamnée à partir du moment où ses actes se révèlent nécessaires sans être excessifs au regard du danger qui s’impose à elle.

Dans l’arrêt commenté du 22 septembre 2021 (n° 20-85.434), les juges de la Cour de cassation ont procédé à un raisonnement en deux temps. D’abord, ils ont admis que l’urgence climatique constitue bien un état de nécessité qui peut justifier des faits constitutifs d’infractions uniquement si ces agissements permettent de retarder le dérèglement climatique.

Ensuite, ils ont cherché à savoir si ces agissements étaient à la fois nécessaires et non disproportionnés en vertu de l’article 122-7 du Code pénal. Ils ont retenu qu’il n’était pas démontré que la commission d’une telle infraction était le seul moyen d’éviter un péril actuel ou imminent, puisqu’il n’existe aucun élément qui permette de considérer que le vol des portraits du président de la République dans des mairies soit de nature à prévenir, au sens de l’article 122-7 du code pénal, le danger climatique qu’ils dénoncent. Ils rejettent ainsi l’application de l’état de nécessité en l’espèce.

Puis, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le deuxième moyen. A cette occasion, il a été rappelé par la Cour que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme adopte une vision large du droit à la liberté d’expression.
Elle relève que :

« toute personne a droit à la liberté d’expression, et que l’exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale ».

De ce fait, elle reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’incrimination pénale des comportements poursuivis ne constituait pas, en l’espèce, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression des prévenus. La Cour de cassation ne répond pas elle-même à cette question. En effet, elle casse l’arrêt du 16 septembre 2020, mais ne vient pas prendre position sur le fond. Elle renvoie simplement l’affaire à la Cour d’appel de Toulouse.

B. Absence de justification aux délits de refus de relevés d’empreintes génétiques et relevé signalétique.

Durant l’enquête de police, les militants avaient refusé de se soumettre à des opérations de relevés signalétiques et prélèvements biologiques prévues aux articles 55-1, alinéa 3 et 706-56, II du Code de procédure pénale. La Cour d’appel avait reconnu coupables plusieurs des militants du chef de refus de se soumettre à un prélèvement biologique et du chef de refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques au motif que le jugement déféré sera confirmé sur la culpabilité des prévenus.

Toutefois, la Cour de cassation souligne que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence. Elle décide de casser l’arrêt sur ce point au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale, car elle estime que la Cour d’appel n’a pas justifié sa décision. La Cour de cassation relève que la constance des faits ne pouvait dispenser les juges du fond de s’expliquer.

Sources :
- Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 septembre 2021, 20-85.434.
- Cour d’appel, Bordeaux, Chambre correctionnelle, 16 septembre 2020 - n° 20/00288.

Article initial : https://www.deshoulieres-avocats.com/decrocher-un-portrait-presidentiel-releve-t-il-de-la-liberte-dexpression/

Etienne Deshoulières Avocat au barreau de Paris Président de l'Institut digital d'arbitrage et de médiation Enseignant en propriété intellectuelle pour l'Université Paris2 Yasaman Asghar Juriste en droit de la communication Deshoulières Avocats www.deshoulieres-avocats.com