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Licenciement sans cause et Long Term Incentive Plan (LTIP) : quelle indemnisation de la perte de chance ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.
Parution : jeudi 21 octobre 2021
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Par un arrêt rendu le 28 mai 2021 (RG n°18/14146), la Cour d’appel d’Aix en Provence a statué sur l’octroi de l’indemnité pour perte de chance, lorsque celle-ci porte sur les sommes résultant de plans incitatifs à long terme (en anglais Long Term Incentive Plan - LTIP) mis en place dans l’intérêt des salariés et dans l’objectif de les fidéliser à l’entreprise.

1) Faits.

Un salarié a été embauché par la société Eurocopter, société de fabrication d’hélicoptères, par un contrat à durée indéterminée et à temps complet, moyennant par-là une rémunération de 12 800 francs, le 1er décembre 1987.

Le 14 décembre 2009, les parties ont signé un nouveau contrat de travail afin d’affecter le salarié au poste de vice-président-directeur du support et de services de formation, avec une rémunération brute annuelle de 96 600 euros, avec en parallèle, une rémunération variable de 31 400 euros correspondant à divers plans incitatifs tels que le LTIP, plan incitatif à long terme (en anglais Long Term Incentive Plan).

Cependant, le 25 juin 2014, le salarié a été licencié en étant dispensé de l’exécution de son préavis d’une durée de 6 mois.

Le salarié a donc saisi le conseil de prud’hommes de Martigues, le 16 février 2015 afin d’obtenir le paiement de diverses sommes relatives à ce qu’il aurait dû percevoir entre le jour de son licenciement abusif et le jour de sa réintégration, et relatives à la réparation du préjudice financier et moral qu’il a subi.

Par un jugement du 29 juin 2018, le conseil des prud’hommes a fait droit aux demandes du salarié, déclarant sans cause réelle et sérieuse le licenciement ayant été prononcé.

Par conséquent, la société a interjeté appel de ce jugement.

2) Moyens.

La société sollicite la réformation du jugement du conseil des prud’hommes de Martigues en ce qu’il l’a condamnée à payer diverses sommes relatives au licenciement sans cause réelle et sérieuse du salarié.

Au contraire, le salarié sollicite le maintien du jugement et à l’égard des conséquences du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié réclame la fixation de son salaire de référence à la somme de 17 856,50 euros bruts par mois.

Or, la société soutient que le Plan incitatif à long terme (LTIP), ne doit pas être pris en compte dans le calcul du salaire de référence, et évalue ainsi ce dernier à la somme de 10 194,14 euros.

De même, l’intimé sollicite l’indemnisation de la perte de chance des Unit plan, dont le LTIP, en indiquant que

« s’il n’avait pas été abusivement licencié, il aurait eu obligatoirement le droit au bénéfice de ses LTIP, bénéfice résultant d’une formule mathématique, que les Unit plan n’ont pas de caractère exceptionnel, dès lors qu’il était cadre exécutif ».

A cela, la société appelante répond que « le droit au bénéfice des LTIP est non seulement exceptionnel et aléatoire, mais implique aussi la présence du salarié au moment du versement et qu’en cas d’interruption du contrat, le salarié perd ses droits », soulignant que le salarié n’était pas présent au moment du versement.

De cette manière, la Cour d’appel était ainsi confrontée à plusieurs interrogations.

3) Les sommes perçues par le salarié au titre d’un Plan incitatif à long terme, doivent-elles être prises en compte dans le calcul du salaire de référence ? Non.

La Cour d’appel répond par la négative sur le fondement de l’article R1234-4 du Code du travail qui dispose que

« Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié : 1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ; 2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion ».

Par conséquent, les LTIP doivent être écartés du calcul du salaire de référence, qui dans les faits correspond à la somme de 11 066,80 euros.

4) Le salarié peut-il solliciter l’indemnisation de la perte de chance des Unit plan quand bien même il n’était pas présent lors des versements ? Oui.

La Cour d’appel répond par la positive et convient que « la société ne saurait opposer au salarié qu’il ne peut former aucune demande car il n’était pas présent dans l’entreprise au moment des versements ».

Pour justifier son propos, la Cour d’appel souligne que la demande du salarié « ne tend pas au paiement des sommes dues mais à l’indemnisation de la perte de chance subie par suite de son éviction injustifiée de l’entreprise ».

En d’autres termes, tant que le salarié parvient à prouver qu’il aurait dû percevoir ces versements, alors il peut en demander le paiement au titre d’une indemnisation pour perte de chance.

Par-là, et au regard des éléments factuels, la Cour d’appel a effectivement considéré que le salarié aurait dû percevoir les versements réclamés s’il n’avait pas été licencié sans cause réelle et sérieuse, et fait donc droit, en partie, à l’indemnisation pour perte de chance.

Le salarié obtient 60 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier du LTIP pour 2012 et 44 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier du LTIP pour 2010.

Pour les autres années, le salarié n’obtient pas d’indemnisation de sa perte de chance de bénéficier de LTIP, notamment car le salarié n’établissait pas que « s’il avait été présent dans l’entreprise il aurait bénéficié de versements dans ce LTIP ».

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum