Village de la Justice www.village-justice.com

Dualité des contributions sociales et incompétence de la DGFIP. Par Rodolphe Mossé et Laura Jaricot, Avocats.
Parution : vendredi 22 octobre 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/incompetence-dgfip-matiere-recouvrement-des-prelevements-sociaux-sur-les,40542.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

A l’issue de nombreuses années de procédures contentieuses, dans une affaire intéressant un gérant de Selarl, le Conseil d’Etat vient enfin de se prononcer sur l’épineuse question de la compétence de la DGFIP en matière de recouvrement des contributions sociales sur les revenus réputés distribués à des travailleurs non-salariés non agricoles.

L’on entend souvent, généralement de la bouche des non-initiés aux méandres de la fiscalité, que la matière fiscale est éminemment complexe et sinueuse.

Mais si l’on mêle droit fiscal et droit de la sécurité sociale, la complexité atteint alors son paroxysme.

Les contributions sociales se présentent, au moins en partie, comme des sortes de prélèvements additionnels à l’impôt sur le revenu ; mais, comme leur nom l’indique, elles sont destinées (tout du moins pour la plupart d’entre elles) à alimenter des fonds sociaux.

La CSG recouvre en fait deux contributions distinctes ayant toutefois des points communs entre elles et qui, au total, frappent la quasi-totalité des revenus : une contribution sur les revenus d’activité et de remplacement et une contribution sur les revenus du patrimoine [1].

Cette dualité entraîne une certaine difficulté à en définir la nature, et par conséquent, à identifier l’Administration compétente pour en assurer le recouvrement.

Illustration pratique :

Une société, sous forme de SEL, se voit notifier, suite à un contrôle fiscal, des redressements en matière d’IS, après reconstitution de ses recettes.

En application des dispositions de l’article 109-1-1° du CGI [2], sont considérés comme revenus distribués tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital.

Ainsi, en utilisant généralement la théorie du « maître de l’affaire », l’Administration fiscale impose les revenus réputés distribués entre les mains de l’associé gérant de la société.

Ces revenus sont alors soumis par le vérificateur à l’IR, après majoration de 25%, et aux prélèvements sociaux au taux global de 17,2% [3].

Or, depuis le 1er janvier 2009, la fraction des revenus distribués qui excède 10% du capital social, des primes d’émission et des sommes versées en compte courant doit être réintégrée dans l’assiette des cotisations sociales sur les revenus d’activité des travailleurs non-salariés non-agricoles exerçant au sein d’une société d’exercice libéral (SEL) en application de l’article L131-6, al. 3 du Code de la sécurité sociale (CSS) [4].

Cette fraction des revenus distribués est également réintégrée dans l’assiette de la CSG et de la CRDS dues sur les revenus d’activité.

En conséquence, ces revenus [5] sont exclus de l’assiette des contributions sociales dues au titre des revenus du patrimoine.

Pour rappel, les dispositions de l’article L131-6 du Code de la sécurité sociale (dans sa version applicable aux revenus distribués ou payés à compter du 1er janvier 2009) sont les suivantes :
- « Les cotisations d’assurance maladie et maternité et d’allocations familiales des travailleurs non salariés non agricoles et les cotisations d’assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles ou commerciales sont assises sur le revenu professionnel non salarié, ou, le cas échéant, sur des revenus forfaitaires (...) ;
- Pour les sociétés d’exercice libéral visées à l’article 1er de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participation financières de professions libérales, est également pris en compte, dans les conditions prévues au 2e alinéa, la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du Code général des impôts perçus par le travailleur non salarié non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés et des revenus visés au 4° de l’article 124 du même Code qui est supérieure à 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes (…)
 ».

Autrement dit, ce texte prévoit l’intégration dans l’assiette des cotisations sociales sur les revenus d’activité de la fraction des revenus distribués au sens des articles 108 à 115 du CGI [6] qui excèdent un certain seuil.

Dès lors, la DGFIP est certes compétente pour recouvrer les impôts afférents aux revenus du patrimoine, mais au-delà d’un certain seuil, les revenus de capitaux mobiliers en question sont assimilés à des revenus d’activité pour l’application des dispositions de l’article L131-6 du CSS.

Ces revenus, dans les limites et conditions prévues par cet article, ne sont donc pas soumis aux contributions sociales et au prélèvement social de 2% applicables aux revenus du patrimoine, mais sont réintégrés exclusivement dans l’assiette de la CSG et de la CRDS dues sur les revenus d’activité : la DGFIP n’est donc plus compétente au-delà du seuil susmentionné pour procéder au recouvrement des cotisations dues.

Ce moyen était soulevé depuis de nombreuses années tant devant les brigades de vérification que devant les juridictions administratives, sans succès jusqu’à récemment, à l’exception - à notre connaissance - de deux vérifications de comptabilité diligentées, respectivement, par la 16ème et la 10ème Brigade de la Dircofi Centre-Est, qui avaient retenu les arguments développés pour le compte des contribuables redressés s’agissant des prélèvements sociaux et ont partiellement abandonné leur rehaussement.

A l’issue de nombreuses années de procédures contentieuses, dans une affaire intéressant un gérant de Selarl, le Conseil d’Etat vient enfin de se prononcer sur cette épineuse question de la compétence de la DGFIP en matière de recouvrement des contributions sociales sur les revenus réputés distribués à des travailleurs non-salariés non agricoles.

Par un arrêt en date du 20 octobre 2021 [7], rendu sous les conclusions de Monsieur Romain Victor, les juges du Palais-Royal ont jugé que :
- « Il résulte de ces dispositions [8] que, si les revenus distribués ont en principe le caractère de revenus des capitaux mobiliers passibles de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, ceux provenant d’une société d’exercice libéral doivent être regardés, pour leur assujettissement aux prélèvements sociaux, comme des revenus d’activité pour leur fraction excédant 10% du capital social et des primes d’émission ainsi que des sommes versées en compte courant. Cette fraction entrant ainsi dans le champ des contributions portant sur les revenus d’activité, elle ne saurait être soumise à celles assises sur les revenus du patrimoine ;
- Par suite, la Cour administrative d’appel [de Lyon] a entaché son arrêt d’une erreur de droit en jugeant que l’administration fiscale avait pu légalement assujettir M. et Mme A.... aux prélèvements sociaux applicables aux revenus du patrimoine à raison de la fraction excédant le seuil de 10% mentionné ci-dessus des revenus réputés distribués, taxés entre leurs mains à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au motif qu’ils n’établissaient pas que ces revenus auraient été soumis à la contribution sur les revenus d’activité
 ».

Il s’agit ici d’une belle illustration de l’adage « incivile est nisi tota lege perspecta respondere » : certes, le droit fiscal est autonome, mais l’Administration fiscale ne peut appliquer les textes fiscaux sans tenir compte des règles posées par d’autres branches du droit, en l’espèce le Code de la sécurité sociale.

Pour l’anecdote, dans ses écritures en défense devant la 8ème chambre de la section du contentieux du Conseil d’Etat, le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance avait pris « acte de la pertinence du moyen tiré de ce qu’une partie des revenus en cause aurait dû être soumise aux contributions sociales sur les revenus d’activité ».

En conclusion, il n’est donc jamais vain d’être persévérant !

Laura JARICOT & Rodolphe MOSSÉ Avocats associés MOSSÉ & ASSOCIÉS

[1Auxquelles nous pourrions ajouter la CSG sur les revenus de placement.

[2Ou, dans certains dossiers, en application de l’article 111 c du CGI, selon lequel sont considérés comme revenus distribués les rémunérations et avantages occultes.

[3Taux applicable au jour de la rédaction de cet article.

[4Circulaire n°DSS/5D/2010/315.

[5Sont visées les sommes correspondant aux rehaussements apportés aux résultats déclarés par la société, à la suite d’un contrôle fiscal, qui constituent des revenus réputés distribués dans la mesure où elles ne sont pas demeurées investies dans l’entreprise (circulaire précitée, page 4, § 1-3 Revenus concernés 1° c).

[6Donc y compris les revenus réputés distribués en application des articles 109-1-1° et 111-c du CGI.

[7CE, 8e et 3e Ch, 20 octobre 2021, n°440375, D. A.

[8CSS, art. L131-6 et CGI, art. 109, 1°.