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La question complexe de l’empreinte de la personnalité de l’auteur : comment échapper à l’arbitraire ? Par Philippe Bessis, Avocat.
Parution : lundi 25 octobre 2021
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L’empreinte de la personnalité de l’auteur est un critère jurisprudentiel en matière de droits d’auteur pour apprécier l’originalité d’une œuvre, les textes de loi applicables étant taisant à ce sujet.

En effet, l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle rappelle que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

La protection du droit d’auteur est conférée, selon l’article L112-1 du même Code, à l’auteur de toute œuvre de l’esprit quels qu’en soient le genre et le mérite.

Le critère de l’empreinte de la personnalité de l’auteur est toutefois difficile à cerner dans la mesure où il laisse aux juridictions du fond une totale liberté d’appréciation teintée parfois d’arbitraire.

Ainsi, on pourra citer un jugement du Tribunal Judiciaire de Paris en date du 29 mai 2020 ayant statué ainsi :

« Ce faisant, la société M. ne fait que décrire les caractéristiques techniques objectives du sac M ou l’objectif poursuivi par la styliste de créer "un sac à la fois élégant et pratique, offrant plusieurs possibilités de portés pour suivre la femme qui le porte dans ses différentes activités tout au long de la journée", "liant un aspect bohème-chic à un esprit résolument moderne", sans jamais exposer son processus intellectuel de création, ni les choix arbitraires auxquels elle a procédé pour lui conférer une esthétique particulière et qui refléterait la personnalité de son auteur. Par ailleurs, si la demanderesse conteste l’existence d’antériorités et affirme que la combinaison revendiquée des éléments du fond commun demeure inédite, elle ne démontre pas que celle-ci porte la marque de l’apport intellectuel de l’auteur, l’absence d’antériorités étant au demeurant indifférente en matière de droit d’auteur » [1].

Ainsi, le Tribunal, estimant être en présence d’une description des éléments composant le sac, a rejeté dans cette espèce toute protection par le droit d’auteur, en jugeant que la preuve de l’empreinte de la personnalité de l’auteur n’aurait pas été rapportée.

Une description de l’œuvre revendiquée parait toutefois indispensable pour expliciter la combinaison des caractéristiques invoquées.

Encore, la physionomie du sac revendiqué n’était nullement dictée par un quelconque impératif technique et répondaient, à l’inverse, à des choix esthétiques. En effet, les caractéristiques retenues par le Tribunal étaient les suivantes :
- Un sac en cuir d’aspect brut ou croûte avec de part et d’autre, une frange latérale ;
- Une couture avec double surpiqure longitudinale sur les deux faces du sac depuis la poignée jusqu’à la couture de base ;
- Une couture horizontale sur l’extrémité haute du sac ;
- Une poignée creusée dans le sac en partie haute sur ces deux faces, rigide ;
- Un soufflet sur les parties latérales percé en partie haute permettant d’accrocher une lanière.

Le Tribunal n’indique pas en quoi ces choix n’étaient pas libres et créatifs.

De plus, comme l’a jugé la Cour de cassation, la combinaison revendiquée par un auteur doit en réalité être protégée à partir du moment où elle n’obéit à aucune contrainte technique : « la combinaison du col écharpe et des plis droits verticaux sur le devant du modèle protégé est originale et que, bien qu’étant opportune et fonctionnelle, elle n’est pas imposée par des impératifs techniques » [2].

Les juges du fond pourraient également, contrairement à la tendance actuelle, fonder leur analyse sur la jurisprudence communautaire plus libérale et moins arbitraire, pourtant établie de longue date en la matière.

- La CJCE, par un arrêt du 16 juillet 2009, précise que « Ce n’est qu’à travers le choix, la disposition et la combinaison de ces mots qu’il est permis à l’auteur d’exprimer son esprit créateur de manière originale et d’aboutir à un résultat constituant une création intellectuelle » [3].

- Par un autre arrêt du 1er mars 2012, la CJUE a retenu la touche personnelle de l’auteur compte tenu de ses choix libres et créatifs. Il était en effet jugé que :

« S’agissant de la constitution d’une base de données, ce critère de l’originalité est rempli lorsque, à travers le choix ou la disposition des données qu’elle contient, son auteur exprime sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs (voir, par analogie, arrêts précités Infopaq International, point 45 ; Bezpečnostní softwarová asociace, point 50, et Painer, point 89) et imprime ainsi sa « touche personnelle » (arrêt Painer, précité, point 92).
En revanche, ledit critère n’est pas rempli lorsque la constitution de la base de données est dictée par des considérations techniques, des règles ou des contraintes qui ne laissent pas de place pour une liberté créative (voir, par analogie, arrêts précités Bezpečnostní softwarová asociace, points 48 et 49, ainsi que Football Association Premier League e.a., point 98)
 » [4].

- Par un arrêt du 12 septembre 2019, la CJUE a de même rappelé que « il découle de la jurisprudence constante de la Cour que, pour qu’un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier » [5].

Le critère des choix libres et créatifs de l’auteur parait donc établi en l’absence :
- D’impératif technique ;
- De créations préexistantes de nature à détruire l’originalité, annihilant ces choix libres et créatifs de l’auteur, même si la notion d’antériorité est étrangère au droit d’auteur.

Ces pistes de réflexion permettraient donc d’échapper au caractère trop subjectif de la notion d’empreinte de la personnalité de l’auteur, s’elles étaient davantage prises en compte par les juridictions françaises.

Philippe Bessis, Avocat au Barreau de Paris http://www.cabinet-bessis.com/

[1TJ Paris, 3ème Chambre 3ème Section, 29 mai 2020, n° 18/09838, Maje / DLM Import - GAmara - Roste.

[2Cass. Com., 21 mars 1995, n° 93-14.237.

[3CJCE, 16 juillet 2009, n° C-5/08, Infopaq International A/S / Danske Dagblades Forening, Consid. 45.

[4CJUE, 1er mars 2012, n° C-604-10, Football Dataco Ltd et autres / Yahoo ! Uk Ltd et autres, consid. 38.

[5CJUE, 12 septembre 2019, n° C-683/17, Cofemel – Sociedade de Vestuario Sa / G-Star Raw, consid. 30.