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L’impact et l’importance de la responsabilité civile en droit de la propriété. Par Nadège Gassend, Docteur en Droit.
Parution : lundi 25 octobre 2021
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La responsabilité civile délictuelle est présente dans chacune des branches du Droit quand bien même elle reste, la plupart du temps, négligée et n’est pas mise en avant.

Ici, en Droit de la propriété et notamment de la manière dont elle s’acquiert, la Cour de cassation est venue, en 2019, rendre un arrêt prônant les liens forts et étroits entre la responsabilité délictuelle et le droit de la propriété, étant un revirement de jurisprudence en la matière (Cass., Civ., 3ème, 12 sept. 2019, n° 18-20.727).

Il est fait mention à l’article 547 du Code civil que « … Les fruits civils, […] appartiennent au propriétaire par droit d’accession » ainsi qu’au nouvel article 1231-1 du même code que « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». Il s’agit ici de deux articles importants au vu de l’arrêt ici présent étant donné qu’ils vont être pertinents pour la position prise par la Cour de cassation. Au sein du nouvel article 1231-1 du Code civil, la mention de « dommages et intérêts » est primordiale afin de faire le lien entre cet article et la responsabilité civile.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue, le 12 septembre 2019, rendre un arrêt de rejet.

En l’espèce, il s’agit de la SCI L’Anglais ayant donné bail, en date du 16 avril 1997, à Monsieur B et à Madame V.B., un appartement. Il s’avère que les locataires ont sous-loué l’appartement à plusieurs reprises et ont touché des sous-loyers. Toutefois, le propriétaire des lieux a changé et Monsieur L. est devenu propriétaire de l’immeuble, le 8 avril 2014. A la suite de quoi, il a délivré à Monsieur B et Madame V.B. un congé pour reprise à son profit. Après quoi, il a assigné ces derniers en validité du congé.

Une fois que Monsieur L a été au courant que les locataires avaient sous-loué l’appartement, il est également venu réclamer à ce que les sous-loyers lui soient remboursés au nom de son droit d’accession.

Les demandes de Monsieur L ont été accueillies le 5 juin 2018, par la Cour d’appel de Paris.

En effet, les juges du fond ont estimé que les locataires ont détourné fautivement, en percevant les sommes des sous-loyers, des sommes devant appartenir au propriétaire. De fait, ils ont été condamnés à rembourser, à Monsieur L, les sommes des sous-loyers perçues. La Cour d’appel estime donc que Monsieur B et Madame V.B. ont causé un préjudice financier à Monsieur L en détournant les sommes perçues, sommes devant appartenir au bailleur.

Cependant, les locataires se sont pourvus en cassation en estimant que la Cour d’appel avait violé les articles 546, 547 et le nouvel article 1231-1 du Code civil en les condamnant à dédommager de 3 000 euros, Monsieur L, pour préjudice financier du fait de la sous-location sans son accord et des sous-loyers perçus par ces derniers.

De facto, un bailleur n’ayant accordé au locataire de sous-louer les lieux, les fruits perçus de la sous-location reviennent-ils au locataire ou le bailleur devient-il propriétaire par accession desdits fruits ? Le fait de sous-louer un appartement sans l’autorisation du propriétaire entraîne-t-il la responsabilité civile du locataire ?

Le 12 septembre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue rejeter le pourvoi formé par les locataires, à savoir Monsieur B et Madame V.B. Afin de rendre une telle décision, la Haute-Cour de Justice s’est fondée, comme la Cour d’appel, sur les articles 546, 547 et le nouvel article 1231-1 du Code civil afin de déclarer que dès lors qu’une sous-location est autorisée par le bailleur, alors les sous-loyers étant perçus par le preneur viennent constituer des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire. De plus, dans le cas d’espèce, il a pu être relevé que les locataires ont sous-loué durant plusieurs années l’appartement sans en avoir eu l’accord du bailleur. C’est pourquoi, ici, les sommes ayant été perçues doivent, comme l’a décidé la Cour d’appel, être remboursées au bailleur à titre de dédommagement pour préjudice financier.

Au sein de ce présent arrêt, un droit d’accession est acquis par Monsieur L, devenu propriétaire de l’immeuble et les fruits civils perçus par les sous-locations des locataires lui appartiennent également via le droit d’accession. Les locataires n’ayant pas remboursés le preneur des fruits civils découlant des sous-loyers ont, de facto, causé un dommage à Monsieur L, devant être réparé par le versement de dommages-intérêts, surtout que ces derniers n’avaient pas l’accord du propriétaire.

Dès lors qu’il est question de propriété par acquisition, elle peut être acquise de différentes manières dont via le droit d’accession (I). En cas d’inexécution de ce contrat conclu entre les parties, en résulte un préjudice devant être réparé (II).

I) Quid de la propriété par accession en droit de la propriété ?

Il existe deux manières dont peut être acquise la propriété étant l’acquisition dérivée provenant d’un contrat de vente, d’une donation, par exemple. Mais il y a également, l’acquisition originaire étant intéressante, en l’espèce, où le propriétaire acquiert un droit nouveau via l’accession, appelée la propriété acquisitive. Pour ce type de propriété, l’article 712 du Code civil dispose que « La propriété s’acquiert aussi par accession ou incorporation, et par prescription », une propriété se trouvant par la suite, développée au sein des articles 546 et suivants dudit code. C’est pourquoi, ici, ce qui est intéressant est la manière dont s’acquiert la propriété et donc le droit d’accession (A) et également les effets produits par ce même droit (B).

A) La manière dont s’acquiert le droit d’accession en droit de la propriété.

Il s’agit d’un droit prévu par l’article 546 du Code civil qui dispose que

« La propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement ». Ce droit s’appelle "droit d’accession" ».

L’accession est le mécanisme qui va permettre d’attribuer, au propriétaire d’une chose, la propriété d’une autre chose étant soit produite par la première ou alors unie à celle-ci.

Un droit d’accession prôné par l’article 546 du Code civil facilement rapprochable des faits d’espèce. Assurément, ici, il s’agit de Monsieur L étant devenu propriétaire de l’immeuble où les consorts B avaient sous-loué depuis de nombreuses années leur appartement. Un appartement appartenant au propriétaire de l’immeuble étant Monsieur L. Ipso facto, le propriétaire se retrouve, via le droit par accession, également propriétaire des sous-loyers perçus par les preneurs.

Il s’agit ici d’une conclusion venant confirmer un arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 2002 [1] où, au visa des articles 551 et 555 du Code civil, la Cour est venue rappeler que « l’accession opère de plein droit et que l’acquisition de la propriété des constructions n’est pas subordonnée à l’action du propriétaire du sol ou à celle du créancier poursuivant ». Une solution reprise, par la suite, le 27 avril 2017 [2], où au visa de l’article 546 du Code civil, la Cour de cassation a décidé que dès lors qu’il est invoqué par autrui, « une présomption de propriété par accession peut être renversée par la preuve contraire résultant de la prescription ».

Par le biais de ces arrêts précités mais également de la solution rendue dans le présent arrêt, le droit d’accession de la propriété occupe une place importante comme cela peut l’être observé via les faits précités mais également par l’importance de cet article 546 du Code civil.

En l’espèce, les dispositions de l’article 546 du Code civil se trouvent être importantes. Il ne faut pas oublier que ce droit d’accession, nommé par l’article précité, entraîne des effets en droit de la propriété (B).

B) Les effets produits par le droit d’accession en droit de la propriété.

Pour rappel, l’article 547 du Code civil est relatif aux effets du droit d’accession et dispose que « Les fruits civils, […] appartiennent au propriétaire par droit d’accession » signifiant que via le droit d’accession, X peut percevoir les fruits civils d’une action du fait qu’il en devient le propriétaire. Les fruits civils sont des sommes d’argent réitérées de manière périodique de l’exploitation d’une chose comme des loyers, par exemple. Un exemple des plus intéressants au vu de l’affaire de 2019 étant donné que les locataires ont sous-loués l’appartement de Monsieur L, sans son accord, en ont perçu des fruits civils à savoir des sous-loyers qu’ils ont gardé.

Toutefois, ces sous-loyers perçus, reviennent, via le droit d’accession au propriétaire de l’immeuble et non pas aux locataires.

En effet, le droit d’accession est le mécanisme consistant au fait d’attribuer la propriété au propriétaire d’une chose, une autre chose étant soit le produit de la première soit unie à la première. Ici, les fruits civils sont les sommes perçues par les locataires étant les consorts B et V.B., lors des sous-locations. De fait, Monsieur L, étant propriétaire de l’immeuble dont les consorts B sont locataires, il est, ipso facto, propriétaire par accession des sommes perçues durant les sous-locations ayant eu lieues sans son accord express. Via cette décision de 2019, la Cour de cassation vient confirmer ses décisions antérieures en ce qui concerne le sort du droit d’accession étant important vu que le propriétaire d’une chose peut se voir attribuer la propriété d’une autre chose étant la conséquence de la première ou unie à celle-ci [3].

Toutefois, dès lors qu’un droit d’accession est enfreint, cela entraîne des préjudices à l’encontre des acteurs en droit de la propriété, se devant être réparées en cas d’inexécution contractuelle (II).

II) Quid de la réparation du préjudice, en droit de la propriété, en cas d’inexécution du contrat ?

Dans le présent arrêt, est évoqué le nouvel article 1231-1 du Code civil étant présent dans la manière dont la propriété est acquise et concernant plus particulièrement la manière dont le préjudice se doit d’être réparé en cas d’inexécution contractuelle (A). Un droit à la réparation étant essentiel dès lors qu’un droit de la propriété est enfreint, ce qui est assez courant dans le domaine (B).

A) L’importance de réparer un préjudice causé en cas d’inexécution contractuelle en droit de la propriété.

Au sein de l’arrêt rendu en 2019, la Cour de cassation le rend au visa de deux articles dont le nouvel article 1231-1 du Code civil disposant que « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». Vu que cet article figure au visa de la présente décision rendue par la Cour de cassation, il s’agit d’un article important venant confirmer le rôle donné par cet article par les juges du fond qui condamnent les locataires à verser, à Monsieur L étant le propriétaire, la somme de 3 000 euros.

En effet, il se trouve que Monsieur L a subi un préjudice financier dès lors que les consorts B ont sous-loué l’appartement sans qu’il ne soit au courant, sans son accord écrit. De fait, les sous-loyers perçus par ces derniers reviennent par acquisition à Monsieur L, le propriétaire pouvant aussi réclamer des dommages-intérêts.

Assurément, les locataires ne peuvent sous-louer un appartement et en percevoir, à titre personnel, les fruits civils et ce, sans l’accord du propriétaire étant le cas d’espèce. Comme l’énonce l’article 8 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 [4], la pratique de la sous-location est interdite sauf en cas d’existence d’un accord autorisant cela, stipulé par le bailleur.

L’article 8 dispose que « Le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni sous-louer le logement sauf avec l’accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer. Le prix du loyer au mètre carré de surface habitable des locaux sous-loués ne peut excéder celui payé par le locataire principal. Le locataire transmet au sous-locataire l’autorisation écrite du bailleur et la copie du bail en cours. En cas de cessation du contrat principal, le sous-locataire ne peut se prévaloir d’aucun droit à l’encontre du bailleur ni d’aucun titre d’occupation. Les autres dispositions de la présente loi ne sont pas applicables au contrat de sous-location ». Cette loi a aussi été avancée par la Cour de cassation dans le présent cas, comme elle a mis en avant, en rendant sa décision au visa du nouvel article 1231-1 du Code civil. C’est ici, une première dans ce sujet que d’énoncer et d’avancer la question de la responsabilité civile en droit de la propriété. Il peut donc être avancée l’hypothèse d’un revirement de jurisprudence, en la matière via cet arrêt de 2019.

Un nouvel article du Code civil étant très important du fait de pouvoir indemniser le bailleur en cas de fruits civils perçus de sous-locations de son locataire sans son accord express. D’où s’en suit qu’en droit de la propriété, la responsabilité civile délictuelle vient occuper une place importante en la matière (B).

B) L’importance de la présence de la responsabilité civile en droit de la propriété.

Pour rappel, dans sa solution, la Cour de cassation a déclaré, au visa du nouvel article 1231-1 du Code civil, que « la cour d’appel en a déduit, à bon droit, […] que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées ». Une solution qui confirme la solution de la cour d’appel ayant estimé que Monsieur L. avait subi un préjudice financier. Le fait d’utiliser cette notion de « préjudice » et de faire appel au nouvel article 1231-1 du Code civil afin de venir réparer les dommages subis, montre l’importance de la responsabilité civile dans le cadre de l’acquisition de la propriété. In extenso, en l’espèce, les fruits civils perçus par les locataires du fait d’une sous-location non convenue avec le propriétaire, reviennent à celui-ci du fait de sa propriété par accession. Il s’agit bel et bien d’un revirement de jurisprudence en la matière.

Cet arrêt relève donc également de la responsabilité civile étant une branche du Droit présente au sein de toutes les autres branches du droit. Le nouvel article 1240 du Code civil dispose que « Tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Il s’agit d’un article important en la matière vu que Monsieur L a perçu un préjudice financier du fait des sous-locations illégales de ses locataires et n’en n’a pas perçu les fruits civils. La responsabilité civile est importante et réitérée dans cet arrêt de 2019 étant un revirement de jurisprudence qui confirme la présence et l’intérêt de la responsabilité civile en droit civil des biens et notamment concernant l’acquisition de la propriété.

De plus, il ne faut pas oublier qu’en matière doctrinale, on retient la théorie de Georges Ripert étant celle qu’en droit de la propriété, il faut retenir l’intention de nuire à autrui. Il est toujours difficile de prouver cette intention de nuire à autrui. En l’espèce, les consorts B ont sous-loué l’appartement sans l’accord du propriétaire afin d’obtenir des fruits civils du bien déjà loué. Un locataire est sensé savoir qu’il ne peut sous-louer son appartement à autrui sans l’accord écrit de son propriétaire. L’ayant tout de même fait sans en informer Monsieur L, cela est venu le nuire, vu qu’il n’a pu jouir pleinement de son droit de propriété. De fait, oui, le nouvel article 1240 du Code civil vaut à s’appliquer. C’est pourquoi que des dommages-intérêts sont alloués afin de venir réparer le préjudice financier subi par ce dernier par les consorts B. Une réparation et un préjudice étant mis en avant, par la Cour de cassation, via l’article 1231-1 du nouveau Code civil se retrouvant au visa de la solution.

Une décision prise par la Cour de cassation venant confirmer l’importance de l’article sus-énoncé dans l’acquisition de la propriété et créant un revirement de jurisprudence, en la matière. Assurément, il est indéniable que la responsabilité civile délictuelle, étant une grande branche du droit, qu’elle intervienne également dans l’acquisition de la propriété et in extenso, en droit de la propriété dans sa globalité.

En conséquence de quoi, cette solution prouve bien que ces deux branches du droit sont intimement liées.

Nadège Gassend, Docteur en Droit privé et sciences criminelles, Université de Montpellier.

[1Cass., Civ., 3ème, 27 mars 2002, n° 00-18.201.

[2Cass., Civ., 3ème, 27 avril 2017, n° 16-10.753.

[3Cass., Civ., 1ère, 1er déc. 1964, publié au bull. n° 535 ; Cass., Civ., 3ème, 12 oct. 2011, n° 10-18.175 ; Cass., Civ., 3ème, 19 sept. 2012, n° 11-15.460 ; Cass., Civ., 17 déc. 2013, n° 12-15.916 ; Cass., Civ., 3ème, 27 avr. 2017, n° 16-10.753.

[4Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.