Village de la Justice www.village-justice.com

Parent homosexuel ou transgenre : suppression discriminatoire du droit de visite et d’hébergement. Par Florent Berdeaux, Avocat.
Parution : mardi 26 octobre 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/parent-homosexuel-transgenre-suppression-droit-visite-hebergement-fondee-sur,40560.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par deux arrêts du 6 juillet et du 16 septembre 2021, la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle que la transidentité comme l’orientation sexuelle d’un parent ne sauraient fonder la suppression de son droit de visite et d’hébergement de ses enfants nés d’une union cisgenre ou hétérosexuelle précédente.

Dans la première affaire (n° 47220/19, AM et autres c/ Russie, uniquement en anglais), la requérante avait eu, avant sa transition, des enfants avec son épouse dont elle avait finalement divorcé et avec laquelle elle avait conclu un accord sur la « garde » de leurs enfants.

Le temps passant, la mère avait fini par rompre le lien entre les enfants et la requérante en soutenant notamment que le changement de genre de celle-ci avait eu des répercussions psychologiques pour ceux-là, conduisant, dans leur intérêt, à préférer empêcher l’exercice du droit de visite et d’hébergement, et rompre le lien entre enfant et parent.

Les juridictions russes ayant fait droit aux demandes de la mère et ordonné la suppression du droit de visite sur la base d’une expertise très critiquable dans son absence de fondement scientifique, la requérante avait saisi la Cour sur deux fondements classiques : la violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale (article 8) et l’existence d’une discrimination (article 14, et ce précisément en raison de l’existence d’une loi russe de 2013 permettant de fonder expressément la sanction d’un droit sur l’orientation sexuelle ou la transidentité).

Dans la seconde affaire (n° 20741/10, X c/ Pologne, uniquement en anglais), la mère avait entamé une relation amoureuse avec une autre femme, puis demandé le divorce d’avec son mari, père de leurs quatre enfants.

Après avoir été temporairement fixée chez les grands-parents maternels qui désapprouvaient la relation homosexuelle de leur fille, la résidence des enfants avait finalement été fixée chez la mère, au terme de la procédure de divorce.

Un an plus tard, l’ex-mari a entrepris de remettre en cause les modalités de résidence des enfants aînés tout en admettant que le plus jeune devait vivre auprès de sa mère dont il était très proche.

Tout en se défendant expressément de fonder leur décision sur l’homosexualité de la mère, les juges polonais accueillirent la demande du père et, allant plus loin, refusèrent également à la mère de conserver la résidence du benjamin, sur qui se concentrait la procédure européenne. Elle saisit la Cour sur le fondement de la discrimination (article 14) et de la violation de son droit à une vie privée et familiale (article 8 ; un dernier moyen tiré de l’absence de procès équitable compte tenu de la partialité d’un des juges locaux, a été jugé irrecevable en raison de la tardiveté du recours).

Dans les deux cas, la Cour européenne retient la violation des droits des requérantes et condamne les Etats.

Fidèle à son raisonnement classique, la Cour entreprend de vérifier si la solution interne répond bien à un but légitime (ce qui, dans les deux espèces, est le cas dès lors que les solutions sont fondées sur la recherche de protection des enfants et de leur intérêt supérieur) et si elle est nécessaire dans une société démocratique.

Dans le dossier russe, la Cour relève qu’aucune partie ne conteste que la transition de genre de la requérante était bien la cause de la suppression de son droit de visite et d’hébergement. La condamnation est en revanche encourue dès lors qu’il apparaît que les juridictions nationales s’étaient exclusivement fondées sur un unique rapport d’expertise qui, admettant pourtant expressément qu’il n’existait aucune étude sérieuse sur la question, pointait les préjudices hypothétiques qui pourraient résulter des informations auxquelles les enfants pourraient accéder sur la transition de genre et du contact entre les enfants et leur parent après cette transition : l’absence d’étude sérieuse et l’absence de préjudice réellement constaté ne permettent pas de justifier la rupture totale de lien entre la requérante et ses enfants (article 8, violation du droit au respect de la vie privée et familiale). Fondées essentiellement, voire exclusivement, sur la question de genre, les décisions internes étaient donc bien discriminatoires (article 14).

Dans le dossier polonais, les juges nationaux semblaient avoir conscience, dès le début de la procédure, du caractère hautement discriminatoire de leur raisonnement et espéraient certainement écarter le grief, ce dont la Cour de Strasbourg n’est pas dupe :

« Dès lors, quoi qu’il en soit des précautions prises par la Cour régionale pour justifier l’ampleur des références à la relation (homosexuelle) de la requérante dans chaque aspect de la procédure, la conclusion implacable est que son orientation sexuelle et sa relation avec une autre femme a été constamment au centre des délibérations et omniprésente à tous les stades judiciaires de la procédure ».

Il faut dire qu’en ne fondant sa décision que sur un précédent jugement ayant affirmé expressément qu’« il aurait été possible que la requérante continue d’exercer ses droits parentaux si elle avait corrigé son attitude et exclu (sa compagne) de la vie de famille » après avoir pourtant relevé que ses aptitudes parentales n’étaient pas en cause, la juridiction nationale n’avait pas fait mystère de son homophobie.

Cela signifie-t-il que l’orientation sexuelle comme la transition de genre ne peuvent pas être prises en considération par le juge pour fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale ?

La lecture des arrêts permet de voir que les condamnations de la Russie et de la Pologne (deux États dont on peut certes soutenir qu’ils ne sont pas à l’avant-garde de la protection des droits des personnes LGBTQI+) étaient, en l’espèce, assez inévitables, tant les faits étaient caricaturaux dans leur extrémisme (rupture intégrale des liens) ou la motivation des décisions.

Toutefois, il serait faux de conclure que la Cour interdit de faire référence à la transition de genre ou à l’orientation sexuelle d’un parent pour statuer sur la fixation des modalités de résidence et de droit de visite d’un parent.

Ce que la Cour reproche aux juridictions est en effet de n’avoir pas « conduit un examen en profondeur de toute la situation familiale et de toute une série d’autres facteurs pertinents ni fait une appréciation mesurée et raisonnable des intérêts de chaque personne avec le souci constant de déterminer ce qui serait la meilleure solution pour l’enfant » (AM c/ Russie, n° 52) ou encore de s’être « fondées de façon prédominante sur les conclusions de l’expert sans avoir scruté avec attention la situation familiale » (n° 57) le tout en absence de tout préjudice démontré.

Elle fustige aussi les « stéréotypes » (importance supposée du modèle paternel aux yeux d’un petit enfant), le fait qu’ait été écarté le constat de ce que l’enfant n’avait pas été affecté par la présence de la compagne de sa mère dans sa vie, avec laquelle il avait développé une bonne relation (X c/ Pologne, n° 87 et 89) ou encore qu’il n’ait semblé aucunement problématique, à l’inverse, que le père ait refait sa vie, eu un nouvel enfant et n’ait lui-même pu élever l’enfant concerné par la procédure qu’avec l’aide de ses parents ou des autres enfants.

Ainsi, il en va de l’orientation sexuelle ou la transition de genre comme de n’importe quel autre critère d’évaluation de l’intérêt de l’enfant : ce dernier s’appréciant in concreto, il est impératif que le juge étudie la réalité de l’impact allégué, dans la famille concernée.

Une rapide analyse de la jurisprudence française ne peut, à cet égard, que rassurer, tant il n’est pas rare de trouver des motivations au moins aussi explicites que celles des juges russes ou polonais évoqués plus haut… mais en sens inverse : ainsi, et à titre de simple exemple, le Juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Toulouse affirmait qu’

« il doit toutefois être rappelé, malgré l’évidence du propos, que contrairement à ce qu’indiquait X C lors de l’enquête sociale, l’orientation sexuelle de la mère n’est aucunement contre-indiquée dans la prise en charge éducative de Y, H-I J lui apportant un cadre de vie tout à fait satisfaisant et ne s’inscrivant pas dans une logique de négation de la différence des sexes » [1].

Il ne s’agit naturellement pas, en revanche, de nier l’impact de la révélation de l’orientation sexuelle ou de la transidentité, sur la famille et, notamment, sur les enfants ; à cet égard, les juges sont attentifs à la façon dont le parent concerné aura pu accompagner ses enfants dans l’adaptation à ce changement dans leur cadre de vie et sont parfois amenés à considérer que l’absence de délicatesse dans l’annonce et d’écoute de la souffrance des enfants face à une modification de leur équilibre peut conduire à adapter les modalités de résidence [2].

Néanmoins, et compte tenu de l’ampleur du réflexe consistant à s’en remettre aux expertises médico-psychologiques dans ce domaine, ce rappel de la Cour de Strasbourg semble plus que jamais bienvenu :

« Bien qu’il n’y ait pas de débat sur le fait que les conclusions d’expert soient, dans toute situation comparable, pertinentes et importantes dans la prise d’une décision judiciaire, il est également au-dessus de toute discussion que les tribunaux ne doivent pas renoncer à vérifier minutieusement la fiabilité et la qualité de ces conclusions ».

A bon entendeur…

Florent Berdeaux Avocat à Paris et Biarritz, Spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine www.berdeaux-avocats.fr [->fb@berdeaux-avocats.fr]

[1TGI Toulouse, 19 juill. 2013, n°13/23810.

[2CA Riom, 8 avr. 2008, n°07/01423.