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Déchéance du recours subrogatoire sous condition d’exception libératoire opposable par le débiteur. Par Laurent Montet, Docteur en Droit.
Parution : mardi 26 octobre 2021
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L’actuel article 2308 al.2 du Code civil (le futur art. 2311 du Code civil ; à compter du 1er janvier 2022) pose les conditions de la déchéance du recours subrogatoire de la caution si « zélée » ; ce dernier aura payé le créancier sans être poursuivie par le créancier et sans avertir le débiteur qui disposait d’un moyen de faire déclarer éteinte la dette.
L’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, compte tenu de la jurisprudence en la matière, simplifie la description du régime de la déchéance de la caution zélée dans le nouvel article 2311 du Code civil.

Le cautionnement est le contrat par lequel une personne physique ou morale (la caution) souscrit l’engagement d’en payer une autre (le créancier) si jamais une troisième personne (le débiteur principal) ne peut pas le faire elle-même. C’est à ce titre, malgré la présence de trois acteurs, que le cautionnement n’est pas pour autant un contrat tripartite. En effet, il n’y a pas de lien contractuel entre la caution et le débiteur principal.

En tout état de cause, l’absence de lien contractuel entre le débiteur principal et la caution ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas ou qu’il ne pourra pas exister d’obligation entre eux. Ainsi, lorsque la caution paie la dette du débiteur principal, cette dernière prendra la place du créancier dans ses obligations à l’encontre du débiteur principal. Dans ce cas, le paiement réalisé par la caution opère, de plein droit, une subrogation à son profit. Par conséquent, par l’effet de la subrogation, le débiteur principal sera tenu par l’obligation de payer la caution au même titre que le créancier qui a été subrogé. Toutefois, dans certains cas, notamment celui prescrit par l’al. 2 de l’article 2308 du Code civil, la subrogation ne s’opérera pas nécessairement si la caution pèche par zèle, c’est-à-dire qu’elle aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal qui disposait de la possibilité d’opposer au créancier un moyen de déclarer la dette éteinte. Mais, encore faut-il que le moyen détenu par le débiteur soit réellement susceptible de faire déclarer la dette éteinte.

C’est à ce titre, que l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, en date du 26 septembre 2019 [1], constitue une illustration intéressante de l’aspect contentieux des effets du cautionnement entre le débiteur principal et la caution.

En l’espèce, le 8 décembre 2008, les consorts X souscrivent un prêt immobilier auprès d’une banque. Le prêt est assorti d’une caution. Le 29 avril 2014, les consorts X sont placés en liquidation judiciaire puis subissent une déchéance du terme affecté à la dette. C’est ainsi que le créancier appel en garantie la caution qui exécute son engagement. Par conséquent, la caution agit contre les consorts X afin d’obtenir le payement des sommes qu’elle a versé au créancier principal désormais désintéressé.

Saisie par la caution, la Cour d’appel rejette la demande consistant à obtenir le paiement des sommes dues par les consorts X. Par conséquent, la caution forme un pourvoi en cassation afin que soit censurée la position de la Cour d’appel qui considère que la caution doit être déchue dans son recours subrogatoire car elle a payé alors que le débiteur principal avait un moyen de faire déclaration son obligation éteinte.

C’est ainsi que la Cour de cassation se trouve face à la question de savoir si le prononcé d’une déchéance du terme affectant l’exécution d’une obligation est constitutif d’un moyen propre à dire ladite obligation éteinte ?

La déchéance du terme permet à un créancier de demander l’exécution immédiate de l’obligation souscrite par le débiteur qui bénéficiait d’un délai à l’expiration duquel il pouvait être astreint à tenir son engagement. Ainsi, la déchéance d’un terme suspensif à un impact sur l’exigibilité d’une obligation (I) mais ne permet de constituer un moyen de faire déclarer ladite obligation éteinte (II). C’est à ce titre que la Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel.

I. La déchéance du terme de l’obligation cautionnée.

Conformément à l’article 1305 du Code civil, le terme est un événement futur et certain qui affecte l’exécution d’une obligation soit en en différant l’exigibilité (terme suspensif) soit en en provoquant l’extinction (terme extinctif). Dans un contrat de prêt, le terme est la date à compter de laquelle, le préteur peut réclamer à l’emprunteur l’exécution de son obligation de remboursement. Plusieurs termes peuvent être stipulés dans le cadre d’un échéancier planifiant un échelonnement des remboursements.

Ainsi, le bénéficie d’un terme, généralement stipulé au profit du débiteur (art. 1305-3 du Code civil), peut être perdu si son bénéficiaire est défaillant (A). Cette sanction est une exception purement personnelle au débiteur (B).

A. Sanction de la défaillance du débiteur principal.

Dans le cadre du cautionnement, c’est la défaillance du débiteur principal qui rend exigible, à l’encontre de la caution, l’obligation de paiement de la dette du débiteur principal au profit du créancier [2]. Bien entendu, le caractère simple ou solidaire du cautionnement, dilue quelque peu l’intensité de l’immédiateté de l’exigibilité de l’obligation. En effet, lorsque le cautionnement est simple [3] le créancier doit préalablement poursuivre le débiteur principal dans ses biens puis, le cas échéant appeler en garantie la caution. Cette dernière, s’il existe des coobligés, peut également exciper le bénéfice de division [4].

En l’espèce, c’est le prononcé d’une liquidation judiciaire qui cristallise la situation de défaillance du débiteur principal. La liquidation judiciaire est la procédure mise en œuvre à l’encontre d’une entreprise, ou d’un artisan, ou encore d’une association voire d’une personne physique qui est en état de cessation des paiements et dont le rétablissement est manifestement impossible [5].

En déroute, le débiteur principal n’a plus la capacité de payer le créancier qui, constatant sa défaillance, sollicite la caution. Dans cette situation, il faut percevoir un niveau particulier de la gravité de la défaillance du débiteur car le prononcé d’une liquidation judiciaire est équivalent d’un décès car elle met fin définitivement à l’activité de l’intéressé. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une « simple » défaillance relevant d’une période de faiblesse patrimoniale ponctuelle et non irréversible. C’est à ce titre que, le prononcé d’une liquidation judiciaire est assorti d’une déchéance du terme [6] ce qui rend exigibles les créances non échues et permet aux créanciers dont la créance était affectée d’un terme d’être colloqués dans l’ordre dans lequel ils seront payés.

La déchéance du terme est une sanction d’une grave défaillance du débiteur principal qui permet au créancier d’exiger le paiement de sa créance car il y a un péril en la demeure incompatible avec le caractère suspensif du terme stipulé.

La défaillance du débiteur principale est la condition suspensive [7] dont dépend l’exigibilité de l’obligation de la caution. Ainsi, lorsque cet événement futur et incertain se réalise il est déclencheur de l’exigibilité de l’obligation de la caution avec une immédiateté plus ou moins nuancée selon le type de cautionnement. Parallèlement, la gravité de la défaillance caractérisée par le prononcé d’une liquidation judiciaire annihile les termes suspensifs stipulés.

C’est dans ce contexte, en l’espèce, que la caution paie le créancier en lieu et place du débiteur principal.

B. Sanction purement personnelle au débiteur principale.

La déchéance du terme inhérente au prononcé d’une liquidation judiciaire est attachée à la personne du débiteur principal [8]. Cela signifie que personne d’autre que le débiteur principal ne peut l’opposer. D’ailleurs, cette exception est opposable uniquement à l’encontre du débiteur [9].

En effet, la liquidation judiciaire est le constat d’une situation de cessation de paiement et d’un redressement manifestement impossible subis personnellement par le débiteur. Cette situation d’échec personnel implique la protection des personnes à qui le débiteur doit l’exécution d’obligations. C’est à ce titre que les différents termes suspensifs dont bénéficiait le débiteur ne peuvent plus être maintenus à son profit sans mettre en péril la substance des contrats souscrits avec les différents créanciers.

La déchéance du terme est donc une sanction personnelle au débiteur sous l’emprise d’une défaillance patrimoniale d’une particulière gravité imposant l’inventaire puis la distribution des actifs aux créanciers colloqués dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.

Par conséquent, dans une certaine mesure, la perte du bénéfice de termes suspensifs est une exception purement personnelle au débiteur principal dont il se passerait bien car elle ôte aux obligations dues par le débiteur leur caractère différé, lui imposant sans délais et échelonnements de désintéresser ses créanciers.

En outre, dans la mesure où il s’agit d’une exception purement personnelle au débiteur, elle est inopposable à la caution et, réciproquement, cette dernière ne peut pas l’opposer au créancier. Cela, dit en passant, sauf à vouloir se débarrasser au plus vite de son engagement, il n’y a pas - a priori - d’intérêt raisonnable pour une caution de souhaiter opposer au créancier la déchéance d’un terme suspensif qui en fait impliquerait l’inéluctabilité de l’appel de la caution à l’exécution de son engagement. Il ne faut pas oublier, en l’espèce, que nous sommes dans un contexte où la situation du débiteur principal est irrémédiablement compromise.

Ainsi, il est quelque peu incongru d’appréhender le paiement de la caution comme zélé et permettant l’application de l’article 2308 du Code civil ; ce dernier prescrivant la déchéance du recours subrogatoire à l’encontre du débiteur principal.

II. La mise en œuvre non fautive de l’engagement de caution.

La caution à pour obligation principale de payer le créancier lorsque le débiteur principal est défaillant. Cette obligation, une fois exécutée, permet à la caution, sous certaines conditions (A), d’être créancier subrogataire et de pouvoir astreindre le débiteur principal au paiement de sa dette (B). En effet, par la mise en œuvre du recours subrogatoire, la caution peut réclamer au débiteur la somme qu’il devait et qu’elle a payée au créancier, en se subrogeant à ce dernier. À ce titre, la caution détient tous les droits qu’avait le créancier à l’encontre du débiteur.

A. La déchéance du recours subrogatoire.

L’article 2308 al. 2 du Code civil, décrit le risque encouru par la caution qui est prompte à payer le créancier alors qu’elle n’est pas poursuivie par ce dernier et sans en avoir averti le débiteur principal dès lors que celui-ci détenait un moyen susceptible de faire déclarer éteinte la dette.

Autrement-dit, la caution est déchue de son droit au remboursement si la caution pouvait opposer une exception libératoire telle que la compensation [10], la confusion [11], la remise de dette [12] ou encore l’impossibilité d’exécuter [13] voire la novation [14]. En outre, si le débiteur principal a payé après la caution, dans ce cas, il est question d’une autre hypothèse de déchéance du recours subrogatoire subie par la caution au titre de l’al. 1er de l’article 2308 du Code civil.

En l’espèce, la caution, poursuivie par le créancier a payé ce dernier sans en averti le débiteur principal. À ce niveau, il est vrai que la caution a manqué la réalisation d’une formalité visant à mettre en situation le débiteur d’exciper un moyen qui pourrait le libérer en totalité ou partiellement [15] de son obligation vis-à-vis du créancier. En effet, de manière constante, la Cour de cassation a consolidé le prononcé de la déchéance du recours subrogatoire lorsque la caution exécutait son obligation son prévenir le débiteur principal [16] ou encore malgré les mises en garde [17] et interdictions [18] du débiteur principal.

En tout état de cause, au-delà du fait d’avoir été poursuivie par le créancier ou d’avoir averti le débiteur principal, il est capital, en vérité, que le débiteur dispose d’un réel moyen de faire déclarer la dette éteinte. Or tel n’est pas le cas en l’espèce.

B. L’absence d’exception libératoire.

Le recours subrogatoire dont bénéficie la caution lorsqu’elle a désintéressé le créancier peut lui être « interdit » si la caution a privé le débiteur principal de l’opportunité d’opposer au créancier une exception susceptible de faire déclarer la dette éteinte. La déchéance du terme peut-elle être appréhendée comme une exception libératoire ?

Est libératoire d’une obligation souscrite par un débiteur, toute prestation qui permet de dire ladite obligation éteinte.

En l’espèce, le moyen qui était envisagé comme source d’extinction de la dette de la caution reposait sur le prononcé d’une déchéance du terme. Or, cette sanction n’est pas de nature à affecter l’existence de l’obligation. En effet, un terme suspensif impacte la faculté pour le créancier d’exiger du débiteur l’exécution de son obligation. Le terme est un événement futur et certain qui diffère la faculté pour le créancier d’exiger du débiteur l’exécution de l’obligation qu’il a souscrit [19].

Par conséquent, la déchéance du terme ne peut pas être appréhendé comme un moyen propre à faire déclarer éteinte la dette du débiteur principal.

Ainsi, lorsque la caution, poursuivie par le créancier, paie ce dernier sans en informer au préalable le débiteur ; la caution n’est pas fautive dès lors que le débiteur ne disposait d’aucun moyen de faire déclarer la dette éteinte. C’est à ce titre, que la déchéance du recours subrogatoire prescrite par l’article 2308 du Code civil ne peut être opposée à la caution qui, en l’absence d’exception libératoire opposable par le débiteur, n’a pas exécuté à tort son obligation de paiement du créancier.

La déchéance du terme rend la dette du débiteur exigible et le contraint à satisfaire le créancier. En l’absence de moyen libératoire opposable, la défaillance du débiteur est caractérisée et justifie, en tout cas, a postériori, la mise en œuvre par la caution de son obligation.

Dans le même contexte de paiement « zélé » de la caution, la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 24 mars 2021 [20] ne considère pas comme constitutif d’une exception libératoire, la demande d’indemnisation dirigée contre le créancier par le débiteur au titre d’un manquement à l’obligation de mise en garde. En effet, le recours indemnitaire n’éteint pas, a priori, la dette qu’a le débiteur principal au profit du créancier.

Cependant, a y bien regarder, quoiqu’indirectement, par le mécanisme de la compensation [21] de la dette indemnitaire et de la dette cautionnée, un effet libératoire aurait pu être déduit. La Cour de cassation a déjà prise une telle posture [22] en prononçant la déchéance « partielle » du recours subrogatoire de la caution qui a payé sans avertir le débiteur qui disposait de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt. En l’espèce, il y a eu compensation entre la dette cautionnée et la dette de restitution découlant de l’annulation du prêt. C’est ainsi que, en application de l’article 2308 du Code civil, la Cour de cassation [23] avait prononcé une déchéance partielle.

En tout état de cause, conformément aux articles 1347-6 et 2313 al. 1 du Code civil, la caution peut opposer la compensation d’une obligation du créancier vis-à-vis du débiteur avec l’obligation de ce dernier vis-à-vis du créancier. En effet, la compensation, exception inhérente à la dette, pouvait à ce titre être opposée au créancier.

Ainsi, dans l’espèce traitée par l’arrêt en date du 24 mars 2021 [24], le défaut d’information préalable du débiteur par la caution de son intention de payer leur a faire perdre à tous deux la chance de voir la dette éteinte même partiellement par l’effet de la compensation si jamais la dette indemnitaire était confirmée par le juge. L’exception libératoire, condition de l’opposabilité à l’encontre de la caution de la déchéance du recours subrogatoire [25], doit-elle être patente et directe ne pouvant reposer sur la virtualité du succès d’un recours indemnitaire (en l’occurrence) qui permettrait une compensation.

Laurent Thibault Montet Docteur en droit

[1Pourvoi n°18-17.398.

[2Art. 2298 du Code civil.

[3Art. 2298, 2299 et 2300 du code précité.

[4Art. 2303 du code civil.

[5Art. L640-1 du Code de commerce.

[6Art. L643-1 du Code de commerce.

[7Art. 1304 du Code civil.

[8Art. 1305-5 du Code civil.

[9Chambre commerciale, en date du 15 juin 2011 ; pourvoi n°10-18.850.

[10Art. 1347 à 1348-2 du Code civil.

[11Art. 1349 à 1349-1 du Code précité sauf exception posée par l’art. 2312.

[12Art. 1350 à 1350-2 du Code civil.

[13Art. 1351 à 1351-1 du Code civil.

[14Art. 1329 à 1335 du Code civil.

[151ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 septembre 2020 ; pourvoi n°19-14.568.

[161ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 septembre 2020 ; pourvoi n°19-14.568.

[171ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 novembre 1971 ; bull. civ. I, n°288.

[18Chambre commerciale, en date du 19 décembre 2006 ; pourvoi n°04-15.818.

[19Art. 1305 du Code civil.

[20Pourvoi n°19-24.484.

[21Art. 1347 à 1347-7.

[221ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 septembre 2020 ; pourvoi n°19-14.568.

[23Pourvoi n°19-14.568.

[24Pourvoi n°19-24.484.

[25Article 2308 al. 2 du Code civil.