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La Cour de cassation juge que l’ADLC est une autorité administrative indépendante.
Parution : dimanche 31 octobre 2021
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La Cour de cassation juge que l’Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante mais n’affirme pas expressément qu’elle n’est pas une juridiction.

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Assimilée à une juridiction dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 4 juin 2020, l’Autorité de la concurrence est qualifiée d’autorité administrative indépendante par cette même chambre dans trois arrêts du 30 septembre 2021.

L’Autorité de la concurrence assimilée à une juridiction

La question de la nature juridique de l’Autorité de la concurrence trouve son origine dans une procédure pour pratiques anticoncurrentielles engagée contre des entreprises devant l’Autorité polynésienne de la concurrence. Au cours de cette procédure, les entreprises mises en cause découvrent que le président de cette autorité a, dans le cadre d’un contentieux prud’homal entre l’une d’elles et un ancien cadre dirigeant, délivré une attestation au profit de ce dernier. Cette découverte conduit les entreprises à douter de l’impartialité de l’Autorité polynésienne qu’elles dénoncent vainement à son président. Ces entreprises saisissent alors le premier président de la cour d’appel de Paris d’une requête en renvoi de cette affaire devant cette cour pour cause de suspicion légitime.

Par ordonnance du 1er mars 2019, le premier président de la cour de Paris rejette la requête au motif que les textes d’organisation de l’Autorité polynésienne de la concurrence ne prévoient aucune procédure spécifique de récusation ou de demande de renvoi pour cause de suspicion légitime. L’ordonnance de rejet ajoute que l’Autorité polynésienne de la concurrence n’est pas une juridiction et que les textes généraux relatifs à la récusation ne lui sont donc pas applicables (CA Paris, ch. 1-7, ord., 1er mars 2019, n°19/02396).

Dans ces conditions, les entreprises en cause forment un pourvoi devant la Cour de cassation qui fait droit à leur demande le 4 juin 2020 en déclarant : « lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction, l’Autorité polynésienne de la concurrence est une juridiction au sens des articles [6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 111-8 du code de l’organisation judiciaire] de sorte que, même en l’absence de disposition spécifique, toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant la juridiction ayant à connaître des recours de cette autorité » (Cass. civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-13.775, v. notre article du 14 septembre 2020).

Le mois suivant, soit le 24 juillet 2020, à travers trois ordonnances rédigées sensiblement dans les mêmes termes, le premier président de la cour d’appel de Paris fait application du raisonnement tenu par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 juin, et admet la présentation de requêtes en suspicion légitime dirigées contre le rapporteur désigné dans le cadre d’une instruction diligentée devant l’Autorité de la concurrence. Toutefois, les requêtes en récusation sont déclarées irrecevables en l’espèce, mais uniquement parce qu’elles sont tardives (Ord. CA Paris, Ch. 1-7, 24 juill. 2020, n° 20/08006).

Cinq jours plus tard, par ordonnance du 29 juillet 2020, le premier président de la cour d’appel de Paris fait droit à une nouvelle requête en suspicion légitime dirigée contre l’Autorité polynésienne de la concurrence et ce, toujours dans la droite ligne du raisonnement suivi par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 juin (CA Paris, ch. 1-7, ord. 29 juill. 2020, n° 20/08122).

Devait-on considérer qu’en vertu de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2020, l’Autorité de la concurrence doit être assimilée à une juridiction en raison de son pouvoir de sanction ?
Une réponse négative nuancée résulte de trois arrêts de la Cour de cassation du 30 septembre 2021.

L’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante

Rédigés en des termes quasiment identiques, ces trois arrêts sont rendus dans le cadre des pourvois formés contre les trois ordonnances précitées du 24 juillet 2020. On sait que, par ces ordonnances, le premier président de la cour d’appel de Paris rejette en raison de leur dépôt tardif les requêtes en suspicion légitime dirigées contre un rapporteur de l’Autorité de la concurrence. L’on sait aussi que dans ces ordonnances, le premier président fait application du raisonnement de la Cour de cassation dans son arrêt du 4 juin 2020 selon lequel l’Autorité est une juridiction lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction. C’est pourquoi les auteurs des pourvois invoquaient ce raisonnement à l’appui de leur recours.

Mais la Cour de cassation rejette les pourvois en jugeant que les requêtes en récusation n’étaient effectivement pas recevables, non pas parce qu’elles étaient tardives, mais en laissant entendre, sans l’affirmer expressément, que l’Autorité de la concurrence n’est pas une juridiction, de sorte que les dispositions organisant la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime devant les juridictions civiles ne lui sont pas applicables.
La Cour de cassation fonde sa position sur une longue série de motifs.
Elle affirme d’abord expressément que l’Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante conformément à la qualification retenue par l’article L. 461-1 du code de commerce.

Elle observe ensuite qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l’Autorité de la concurrence est une autorité de nature non juridictionnelle, même lorsqu’elle est appelée à prononcer une sanction ayant le caractère d’une punition (Cons. const., déc. n° 2012-280 QPC, 12 oct. 2012).

La Cour de cassation s’appuie en outre sur des éléments attestant que l’ADLC ne satisfait pas aux critères requis pour être qualifiée de juridiction, à savoir :
- elle peut être partie à l’instance en cas de recours dirigé contre sa décision, ou dessaisie de l’instruction d’affaires par la Commission européenne en application de l’article 11.6 du règlement n° 1/2003 du Conseil ;
- elle ne rend pas ses décisions en qualité de « tiers », ou encore son président peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé sa décision ;
- enfin selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, l’ADLC n’est pas une juridiction apte à lui poser une question préjudicielle en application de l’article 267 du TFUE (CJUE, 16 sept. 2020, Anesco, aff. C-462/19, Autorité de la concurrence espagnole).

De l’ensemble de ces motifs, la Cour de cassation conclut que les dispositions du code de procédure civile instituant une procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime devant les juridictions judiciaires statuant en matière civile ne s’appliquent pas à l’Autorité de la concurrence et rejette en conséquence les pourvois.

Au-delà des éléments attestant que l’Autorité de la concurrence ne peut être qualifiée de juridiction, la Cour de cassation se montre soucieuse de souligner que l’ADLC est soumise à des règles qui assurent son indépendance et son impartialité. Tel est le cas de la règle prévoyant la possibilité d’un recours contre ses décisions devant la cour d’appel de Paris lorsqu’elle prononce une « peine ». Ce recours doit être regardé comme de pleine juridiction au sens de l’article 6, & 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 27 sept. 2011, A. Menarini diagnostics S.R.L. c. Italie, n°43509/08). Il confère à la cour d’appel le pouvoir de statuer notamment sur tout grief tiré d’une atteinte à l’impartialité de l’ADLC, qu’il concerne la phase d’intruction placée sous la direction de son rapporteur général ou la phase décisionnelle confiée au collège de l’Autorité.

Remarque : comment interpréter la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la nature juridique de l’Autorité de la concurrence telle qu’elle résulte, d’une part de l’arrêt du 4 juin 2020 déclarant que l’Autorité polynésienne de la concurrence est une juridiction lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction et d’autre part des trois arrêts du 30 septembre 2021 affirmant que l’Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante et laissant entendre qu’elle n’est pas une juridiction ? L’arrêt du 4 juin 2020 est-il spécifique à l’Autorité polynésienne de la concurrence ? Les trois arrêts du 30 septembre 2021 expriment-ils un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation ?

Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat

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