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« New Deal » à la polonaise - une révolution fiscale prévue pour 2022. Par Lucien Peczynski, Avocat.
Parution : lundi 1er novembre 2021
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A l’instar des Etats-Unis à la suite de la Grande Dépression de 1929, la Pologne souhaite relancer son économie par un « new deal » en réponse à la pandémie de Covid-19.
Pour ce faire, le gouvernement polonais s’apprête à mettre en œuvre d’ambitieuses et nombreuses réformes visant à modifier profondément la fiscalité polonaise, également appelées « le Nouvel Ordre polonais ».

Les changements touchent en effet l’ensemble du système fiscal : de l’IRPP et l’IS, jusqu’à des sujets aussi éloignés les uns des autres que les prix de transfert et la fiscalité immobilière. Le projet de réforme compte au total pas moins de 686 pages.

Alors que le texte vient seulement d’être soumis aux débats parlementaires, son entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2022. Force est de constater que les contribuables n’auront que peu de temps pour s’adapter aux nouvelles mesures.

Compte tenu de l’étendue de la réforme, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact qu’elle aura sur la vie économique de la Pologne. Ce n’est qu’après plusieurs années qu’il sera possible de porter un jugement définitif sur ce « new Deal polonais ».

Les principales mesures susceptibles d’affecter les entrepreneurs sont les suivantes :

1. Modification du barème progressif de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) en Pologne [1].

- Le revenu des contribuables ne sera imposé qu’au-delà de 30.000 zlotys annuels (6.600 euros environ), les entrepreneurs individuels qui ont choisi d’être imposés au taux linéaire de 19% ne bénéficieront pas de cet abattement fiscal ;
- La deuxième tranche d’imposition (pour rappel de 32%) sera appliquée au-delà de 120.000 zlotys de revenu annuel (26.700 euros environ), contre 85.528 zlotys actuellement (19.000 euros environ).

Le barème progressif applicable aux revenus perçus à partir du 1er janvier 2022 sera donc le suivant :

REVENUTAUX D’IMPOSITION
Jusqu’à 30.000 zlotys 0%
De 30.001 zlotys à 120.000 zlotys 17%
Plus de 120.000 zlotys 32%

Taux de change du zloty polonais : site de la Banque Nationale de Pologne [2].

Les réformes prévues auront pour conséquence une plus grande progressivité de l’imposition fiscale. L’allègement de l’IRPP profitera principalement aux salariés percevant un salaire inférieur à la moyenne nationale en Pologne (actuellement de 5.800 zlotys ou 1.280 euros environ).

En pratique, ce « new deal » vise à être fiscalement avantageux ou neutre pour les salariés percevant un salaire inférieur à 12.500 zlotys bruts (2.750 euros environ).

2. Suppression de la possibilité de déduire les cotisations d’assurance maladie du revenu imposable.

En contrepartie de l’allègement de l’IRPP, les cotisations d’assurance maladie [3] ne seront plus déductibles du revenu imposable (ce qui, en pratique, se traduira par une augmentation de 7,75% de la base d’imposition de tous les contribuables).

3. Cotisations d’assurance maladie proportionnelles au revenu pour les entrepreneurs individuels.

Actuellement, les entrepreneurs individuels [4] sont assujettis aux cotisations d’assurance maladie forfaitaires d’un montant de 381,81 zlotys (85 euros environ), déductibles du revenu imposable.

Ce forfait sera désormais remplacé par une cotisation proportionnelle et non déductible du revenu imposable égale à :
- 4,9% du revenu des entrepreneurs individuels ayant choisi d’être imposés au taux linéaire de 19% (mais ne peut en toute hypothèse être inférieure aux cotisations des salariés percevant le salaire minimum),
- 9% du revenu des entrepreneurs individuels soumis au barème progressif (de 17% et 32%, cf. point n° 1).

Enfin, pour les entrepreneurs individuels soumis au régime forfaitaire de l’impôt sur le revenu, la cotisation d’assurance maladie sera calculée en fonction de leur revenu et variera de 60% à 180% du salaire mensuel moyen.

4. Assujettissement aux cotisations d’assurance maladie des membres du directoire.

La réforme prévoit de soumettre les rémunérations perçues par les membres du directoire (notamment non-salariés) à une cotisation d’assurance maladie proportionnelle, égale à 9% du revenu perçu.

Ce « new deal » sera applicable sans exception à tous les membres du directoire soumis à la sécurité sociale polonaise. Pour se soustraire à cette cotisation, les membres du directoire devront démontrer leur appartenance à un régime de sécurité sociale étranger.

Cette réforme sera également applicable aux fondés de pouvoirs (« pol. prokurent »).

5. Nouvel « impôt minimum » sur les sociétés.

La réforme prévoit d’introduire un nouvel impôt sur les sociétés [5]. Dans les grandes lignes, ce dernier viserait les sociétés qui échappent à l’imposition polonaise en déclarant régulièrement une perte ou un bénéfice inférieur à 1% de leur chiffre d’affaires.

Les sociétés remplissant ces critères seront soumises à « l’impôt minimum » sur les sociétés égal à 10% :
- de 4% du chiffre d’affaires réalisé en Pologne (soit à 0,4% de ce chiffre d’affaires), et
- des coûts de financement de la dette d’entités liées supérieurs à 30% de l’EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement), et
- des coûts d’achat de certains services ou de droits incorporels au profit d’entités liées, dépassant 5% de l’EBITDA plus 3 millions de zlotys.

La réforme prévoit d’ores et déjà quelques dérogations à cet impôt. Ainsi :
- il ne sera pas applicable aux sociétés dont l’ensemble des associés sont des personnes physiques,
- les sociétés bénéficiant de certains allègements fiscaux au titre de l’exercice d’une activité dans les zones économiques spéciales bénéficieront d’une base d’imposition réduite.

Par contre, aucune dérogation n’est prévue au regard de la taille de la société.

6. Allègements fiscaux importants en matière de recherche-développement.

La réforme prévoit d’intensifier les incitations fiscales à la recherche-développement. Les possibilités de déductions fiscales seront ainsi à la fois plus nombreuses et plus importantes.

Il sera notamment possible de déduire jusqu’à :
- 200% des frais afférents à l’obtention et au maintien de brevets, de dessins et de modèles industriels. Le même taux de déduction sera applicable aux coûts salariaux des spécialistes réalisant des travaux en matière de recherche et de développement,
- 50% des frais de robotisation de l’entreprise,
- 30% des frais de production, de test et de commercialisation de produits nouveaux ou pouvant être qualifiés de prototypes.

7. Forfaitisation obligatoire des revenus de baux d’habitation.

La réforme prévoit de supprimer la possibilité d’imposer les revenus fonciers [6] tirés par les particuliers de la location de locaux d’habitation selon les règles générales décrites au point n° 1.

Ces revenus seront soumis à une imposition forfaitaire d’un montant de 8,5% pour les revenus inférieurs 100.000 zlotys et de 12,5% au-delà. L’amortissement et la déduction des charges afférentes à la location ne sera plus possible.

8. Incitations à l’élection d’une résidence fiscale en Pologne.

Les contribuables qui transfèreront leur domicile en Pologne, devenant ainsi résidents fiscaux polonais, pourront sous certaines conditions déduire un montant d’impôt déterminé individuellement au cours de 4 années fiscales consécutives.

Cet avantage vise à inciter les Polonais ayant émigré à l’étranger à se rapatrier. En effet, 20 millions de polonais résident actuellement à l’étranger, principalement en Allemagne et en Grande Bretagne. Il ne sera donc applicable qu’aux personnes physiques résidant à l’étranger depuis plus de 3 années fiscales qui transfèrent leur domicile en Pologne.

Cette disposition est également applicable aux citoyens de l’Union Européenne.

9. Modification des règles relatives aux prix de transfert.

Enfin, last but not least, loin des préoccupations de la plupart des contribuables, le « Nouvel Ordre polonais » modifie les règles applicables aux prix de transfert (prix auxquels une entreprise transfère des biens ou rend des services à des entreprises associées).

Les modifications allègent certaines obligations (notamment pour les PME), prolongent les délais pour la présentation de la documentation, et étendent la responsabilité pénale et fiscale des dirigeants et des responsables financiers des sociétés.

De nombreux changements concernent une question à laquelle les législateurs polonais et européen attachent une attention grandissante : à savoir les transactions conclues avec des entités qui ont leur siège social (ou leur bénéficiaire effectif) dans un paradis fiscal.

Lucien Peczynski, Copernic Avocats http://www.copernic-avocats.com