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Protection du format « Fast and Curious » par le parasitisme. Par Jérôme Tassi, Avocat.
Parution : mercredi 3 novembre 2021
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Dans un jugement du 1er juillet 2021, le Tribunal Judiciaire de Paris revient sur la protection juridique des formats audiovisuels. Ce type de création est souvent au croisement du droit d’auteur et du parasitisme car il est souvent reproché à un tiers d’avoir copié un concept ou une idée, non protégeables en tant que tels. Le jugement est intéressant puisqu’il aborde les deux fondements juridiques même si le demandeur n’invoquait que le parasitisme.

La société Konbini est à l’origine d’un format audiovisuel court appelé « Fast and Curious » défini, selon le jugement, par les caractéristiques suivantes : un clap annonce le début de l’interview, sous la forme de propositions à la personne interviewée de choix de réponses binaires, s’enchaînant de manière très rythmée ; les questions sont toujours en rapport avec le parcours de l’interviewé et ont un ton humoristique, l’intervieweur n’étant pas visible, seule l’étant la personne interviewée face caméra sur un fond uni ; les propositions de réponses binaires sont présentées ensembles, horizontalement, sur plein écran, en blanc sur fond noir et en noir sur fond blanc ; le nom de la personne interviewée est mentionné en noir dans un encadré jaune, et l’alternance des couleurs bleu, rouge et jaune est présente sur un logo en forme de K ainsi qu’en bas de l’écran ; un fond sonore est présent sous la forme d’une musique rythmée identique sur chaque vidéo.

La société Konbini agit en parasitisme contre M. X, candidat à une élection qui avait diffusé, sur sa page Facebook, une vidéo intitulée "Fast & Cabourg " reprenant, selon Konbini le concept, le format, la présentation visuelle et sonore de son émission Fast & Curious.

Le jugement est intéressant car il mêle largement droit d’auteur et parasitisme, alors que les demandes ne sont fondées que sur ce dernier fondement. Il illustre ainsi une certaine porosité entre les protections juridiques possibles pour un format audiovisuel.

1. La protection du format par le droit d’auteur.

Alors que la société Konbini ne revendiquait pas de droit d’auteur sur le format « Fast and Curious », le Tribunal va néanmoins préciser dans quelles conditions un format peut être protégé dans le cadre de la propriété intellectuelle.

Il faut rappeler que les formats audiovisuels ne figurent pas explicitement dans la liste des « œuvres » susceptibles de protection par le droit d’auteur déterminée par l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle. Cette liste n’étant pas limitative, il ne faisait pas de doute qu’un format audiovisuel puisse bénéficier de la protection du droit d’auteur sous réserve de sa formulation précise et de son originalité. En matière de format, la difficulté réside souvent dans la distinction entre la formalisation et la simple idée non protégeable. Voir en ce sens, TGI Nanterre, 16 juin 2016 :

« L’idée d’un format court mettant en scène un duo d’hôtesses d’accueil dans le hall de réception d’une entreprise, hôtesses échangeant à bâtons rompus des propos humoristiques sur des thèmes divers n’est pas en elle-même susceptible d’appropriation au titre du droit d’auteur, seule la formalisation de celle-ci qui ressort des divers épisodes fournis est susceptible de protection au titre du droit d’auteur ».

Le jugement est intéressant par deux aspects.

Premièrement, il définit juridiquement le format comme :

« le document qui définit précisément et de façon complète, en principe sous une forme écrite, le contenu d’un programme audiovisuel. Il a vocation à être décliné pour la réalisation des émissions »

.
Dans une décision précédente, le Tribunal avait décrit plus précisément le format comme :

« une sorte de mode d’emploi décrivant un déroulement formel, toujours le même, consistant en une succession de séquences dont le découpage est préétabli, et constituant ainsi un cadre au sein duquel l’œuvre va pouvoir se développer ».

(TGI Paris, 31 janvier 2019).

Deuxièmement, le Tribunal rappelle le principe de protection des formats par le droit d’auteur :

« En ce qu’il confère une forme aux idées, le format est susceptible d’appropriation et de protection par le droit d’auteur, au même titre que les émissions réalisées, dès lors qu’il est original, c’est à dire qu’il porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et ne constitue pas la banale reprise du fonds commun des programmes audiovisuels ».

La solution n’est pas nouvelle en jurisprudence mais elle est ici clairement rappelée.

Le Tribunal conclut que la société Konbini ne peut pas revendiquer de droit d’auteur sur le format « Fast and Curious », faute de démontrer l’empreinte de sa personnalité sur le format. Cette affirmation est étonnante puisque la société Konbini n’a agi que sur le fondement du parasitisme et n’invoquait pas de droit d’auteur. Il était donc logique qu’elle ne caractérise pas l’originalité qui est la condition de protection par le droit d’auteur.

2. La protection du format par le parasitisme.

Le Tribunal rappelle la définition classique du parasitisme, à savoir le fait, pour un agent économique, de s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier.

Les juges relèvent que M.X a repris toutes les caractéristiques du format « Fast and Curious ». lls en concluent que :

« M. X s’est approprié le travail créatif et promotionnel de la société KONBINI, tout en s’épargnant le coût et les efforts d’une création personnelle, aux fins de promotion de sa candidature aux élections municipales, ce qui caractérise le parasitisme ».

Le candidat attaqué en parasitisme invoquait deux exceptions pour essayer d’échapper à la condamnation.

D’une part, il se prévalait de l’exception de parodie, qui est pourtant propre au droit d’auteur. La jurisprudence a déjà jugé que la parodie n’était pas applicable dans un litige de parasitisme (CA Paris, 20 décembre 2019). Le Tribunal ne se prononce pas expressément sur l’applicabilité de l’exception de parodie au parasitisme mais rejette l’exception sur le fond en relevant qu’il n’y avait aucune différence perceptible entre le format et sa reprise par M. X. Les juges se réfèrent à la décision Deckmyn de la Cour de Justice selon laquelle :

« la parodie a pour caractéristiques essentielles d’une part d’évoquer une œuvre existante dont elle doit se différencier de manière perceptible et d’autre part de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie »

(CJUE, 3 septembre 2014, C-201-2013). Cette référence est surprenante car l’arrêt Deckmyn a été rendue en matière de droit d’auteur et sa transposition à une demande en parasitisme est loin d’être évidente.

D’autre part, le défendeur invoquait également la liberté d’expression protégée notamment par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Tribunal rappelle la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en matière de liberté d’expression et notamment que les limitations à la liberté d’expression ne sont admises qu’à la condition qu’elles soient prévues par la loi, justifiées par la poursuite d’un intérêt légitime et proportionnées au but poursuivi, c’est à dire rendues nécessaires dans une société démocratique. En particulier :

« l’adjectif "nécessaire" au sens de l’article10 § 2 "implique un besoin social impérieux" ».

Le Tribunal rejette logiquement l’exception tirée de la liberté d’expression puisqu’ :

« il ne peut en l’occurrence être considéré que la vidéo mettant en scène une interview de M. X participe à un débat touchant à l’intérêt général, ni même qu’elle véhicule un message politique. A titre d’exemple, la première question de l’interview litigieuse est la suivante : "Petit train / Grand hôtel" et la réponse "Grand hôtel si c’est vue sur la mer" ».

Le simple contexte d’une campagne électorale n’est pas suffisant pour invoquer un motif d’intérêt général.

En conclusion, M. X est condamné à somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts réparant le seul préjudice moral de la société Konbini. Cette somme est évaluée au regard du nombre relativement faible de vues de l’interview en litige (3.296 vues). En revanche, les demandes fondées sur le préjudice financier et le préjudice d’image sont rejetées en l’absence d’élément probant.

Jérôme Tassi, Avocat au Barreau de Paris Spécialiste en propriété intellectuelle www.agilit.law [->jerome.tassi@agilit.law]