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L’hégémonie du droit des successions français. Par Elliot Bramham, Planificateur financier.
Parution : jeudi 4 novembre 2021
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Depuis le 1er novembre 2021, la Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République met en place une protection renforcée de la réserve héréditaire française, en modifiant l’article 913 du Code civil. Par ce dispositif, le droit des successions français affirme sa primauté sur le droit de l’Union européenne par l’application d’un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès.

La réserve héréditaire, appelée péjorativement “forced heirship” (hérédité forcée) dans les pays Anglo-Saxons, désigne une quote-part des biens et droits légués dans le cadre d’une succession, réservés aux descendants du défunt, dits “héritiers réservataires”. Ce mécanisme protecteur, pourtant déjà bien connu du droit français, et plus généralement des régimes juridiques de droit civil, était depuis des années supplanté par le principe de primauté du droit de l’Union européenne.

En effet, codifié à l’article 913 du Code Civil, ce régime de protection des héritiers fut étouffé dans le cadre des successions internationales par l’entrée en vigueur du Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

Élaboré dans le but d’éviter les conflits de succession, ce règlement, qui s’impose à tous les Etats membres de l’Union européenne sans passer par des lois nationales de transposition, vise à harmoniser les règles de succession transfrontalière en garantissant les droits des héritiers, des légataires et des créanciers.

Le texte, dont le champ matériel s’étend à toute personne résident d’un Etat membre de l’Union européenne, ou y possédant des biens, nonobstant sa nationalité, prévoit des dispositions destinées à trancher les conflits de lois et de juridictions :
- La volonté du défunt prime sur les règles générales, il peut sélectionner dans son testament la loi applicable à sa succession, l’Etat membre concerné ayant alors compétence juridictionnelle (articles 22, 7, 5).
- A défaut de disposition testamentaire ou d’accord en ce sens, la loi applicable à la succession ainsi que la juridiction compétente sont celles de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès (article 4 et 21).

Régissant désormais le régime des successions, le nouvel alinéa introduit par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 donne une dimension extraterritoriale au droit français, qui, bien qu’il vienne protéger les héritiers qui pourraient être lésés par une loi étrangère, ajoute une strate de complexité à la réalisation de la succession.
Pour que le régime français soit applicable, il est nécessaire que « la loi étrangère applicable à la succession ne permette aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants » (ref. Code Civil article 913). Alors, ses héritiers peuvent effectuer un “prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès”. Ainsi, le législateur rend limpide son objectif de cibler les pays de droit common law qui n’ont pas de mécanisme similaire. La mise en œuvre de ce dispositif complexifie des situations familiales déjà alambiquées. Par exemple, une famille de nationalité américaine, résidant en Allemagne et dont le défunt possède des biens en France, verra sa succession concernant les biens français régie par l’article 912 du Code civil. La limite étant que seuls les biens situés en France au jour du décès sont touchés par le prélèvement compensatoire. Toutefois, le conjoint survivant est absent de ce texte.

En instituant un tel régime supplantant le règlement européen, la France remet en question la primauté du droit de l’Union européenne sur le sujet fondamental de la succession. Un objectif d’affirmation du droit français apparent étant donné que le prélèvement compensatoire sert à rétablir « les droits réservataires que leur octroie la loi française ».

Depuis presque une décennie, la France s’était pliée à l’application de cette réglementation européenne. Cette la volonté d’affirmer, dans ce domaine touchant à la famille, la supériorité de la législation sociétale française survient en outre dans une période tumultueuse pour l’Union européenne, la CJUE ayant en octobre dernier condamné la Pologne à verser une astreinte d’un million d’euros par jour, suite à la décision de son Tribunal constitutionnel ayant affirmé la primauté du droit polonais sur le droit de l’Union européenne.

Néanmoins en France, le Conseil constitutionnel n’ayant pas été saisi pour un examen a priori, celui-ci n’a pas statué sur la constitutionnalité de cette loi, sans préjudice à une QPC postérieure. Contrairement au Danemark, au Royaume-Uni et à l’Irlande, conservant leurs propres règles de droit international privé, il est fort possible que cette application de régime national soit contestée au niveau des juridictions de l’Union, toujours soucieuses de leur primauté.

Elliot Bramham Planificateur financier Clientèle internationale