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L’implantation d’une activité commerciale et ou industrielle à Madrid : conseils pratiques, par Daniel Djedi, juriste
Parution : mercredi 23 juillet 2008
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Cette question pratique permettra à tout entrepreneur Français qui souhaite investir en Espagne de connaître quelques règles et conseils essentiels en matière de création d’entreprise afin de lui permettre de mieux réussir son investissement.

Ainsi, par souci de clarté et d’accessibilité, ce sujet sera traité par ordre des questions suivantes : faut-il créer une filiale ? Quelle forme ? Qui la dirigera ? Quels associés ? Dans l’hypothèse d’une filiale, quels seront les droits collectifs des salariés ?

I) FAUT-IL CREER UNE FILIALE ?

1) Notion de filiale :

Juridiquement en droit français : une filiale est une société dont le capital est possédé pour plus de 50 % par une autre société, dite société mère (article L233-1 du code de commerce).

2) Quel est l’intérêt juridique de la filiale pour la société mère ?

La filiale a une personnalité juridique propre, distincte de celle de la société mère.
Elle dispose ainsi de biens propres.
Elle agit en son propre nom. Le plus souvent, la société mère fixe les buts à atteindre tout en laissant à sa filiale une certaine liberté sur les moyens à utiliser.

Les risques sont partagés : la société mère ne répond pas des dettes de sa filiale et inversement. Toutefois, il convient d’être prudent et d’assurer l’indépendance tant économique que juridique de la filiale.

En effet, les tribunaux étendent parfois à la société mère la procédure collective ouverte à l’encontre de la filiale lorsqu’ils estiment qu’il y a eu confusion de patrimoine ou d’activité entre les deux sociétés et que la filiale est une société fictive. Cette notion pourra être retenue s’il est prouvé qu’il y a eu des transferts d’actifs entre les deux sociétés sans contrepartie.

Par ailleurs, il faut signaler que nous écarterons tout de suite l’idée d’une succursale car, contrairement à la filiale, celle-ci n’a pas de personnalité morale propre et en conséquence la société mère est responsable de ses actes.

Seront aussi écartés d’une part, l’idée de création d’une nouvelle entreprise à Madrid sans aucun lien avec la société française. En effet, cette possibilité est très coûteuse, plus longue et difficile à mettre en œuvre.

D’autre part, il s’agira d’écarter l’idée d’une société européenne car, cela ne sera pas utile à notre hypothèse qui est celle d’un entrepreneur Français qui cherche à étendre son activité à Madrid. Toutefois, Il faut juste signaler que la possibilité suivante existe : Constitution d’une société européenne filiale : cette constitution est possible pour toutes les sociétés civiles ou commerciales, y compris coopératives, et toutes autres entités juridiques de droit public ou de droit privé, lorsque deux au moins d’entre elles relèvent d’Etats membres différents ou ont, depuis deux ans, une filiale ou une succursale implantée dans un autre Etat membre.

Transformation d’une SA en société européenne : une SA peut se transformer en société européenne à condition qu’elle ait depuis au moins deux ans, une société filiale relevant d’un autre Etat membre. Cette transformation ne conduit ni à la dissolution de la SA ni à la constitution d’une personne morale nouvelle.

Toutefois, dans notre hypothèse il serait judicieux de retenir l’idée de créer une filiale à Madrid.

3) Quelles sont les conditions de création d’une filiale en Espagne ?

Prenons le cas où la filiale est une SARL.

a) La constitution

- Les formalités administratives :

Il y a la vérification préalable de l’investissement par la DGPCIE (article 3 du décret de 1999) qui impose cette obligation pour les non-résidents.
Etablissement d’un acte de constitution notarié et des statuts,
Immatriculation au registre de commerce après recherche concernant la dénomination sociale,
Obtention d’un numéro d’identification fiscale,
Paiement des droits d’apports : 1%
Inscription auprès de l’administration fiscale compétente en matière d’impôts locaux et paiement de l’IAE (impôt sur l’activité économique). Impôt instauré en 1992.
Déclaration de commencement d’activité en matière de TVA,
Immatriculation auprès de la sécurité sociale et de l’inspection du travail

- Les frais de constitution

Comme on a dit, droit d’apport de 1% du montant des apports,
Frais de notaire : environ 0,05%
Frais d’immatriculation au registre de commerce (pas de %),
Quant aux impôts locaux (IAE et autres) : montant variable selon la nature de l’activité, la surface et l’emplacement des locaux commerciaux.

- Autres considérations

Capital minimum : 3005,06€ pour une SARL.
61 101,21€ pour une SA
Nombre minimum d’associé : 3 au moment de la constitution.

b) Le fonctionnement

- Considérations fiscales

L’impôt sur les sociétés à 35%
Dividendes transférés à la société mère étrangère soumis à une retenue à la source de 18% mais exonérés au régime CE mères et filiales et du régime de la convention franco-espagnole (article 10 du 10 octobre 1995 en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune).
A propos d’intérêts d’emprunts contractés par la filiale auprès de la société mère : ils sont déductibles
Plus-values réalisées lors de la cession ou de la fermeture de la filiale sont imposables exclusivement en France si la société mère est française.

- Autres considérations

La responsabilité : la filiale, de part sa personnalité morale indépendante, fait écran.
Concernant le contrôle des changes : les filiales espagnoles de sociétés étrangères sont des résidents monétaires espagnols.

II) QUELLE FORME ?

Donc, la forme la mieux adaptée si l’on veut étendre à l’heure actuelle une activité commerciale et ou industrielle à Madrid c’est La SARL. Pourquoi cette forme ?

- D’abord parce que la loi espagnole le permet (la sociedad de responsabilidad limitada ou SRL qui est régie par la loi 2/95, complétée par un règlement sur le registre du 1er août 1996 (RRM par la suite).

- Ensuite, il faut signaler que le régime juridique de la SRL espagnole est souple parce qu’il fait une large part à la volonté des associés pour des nombreuses dispositions pour lesquelles le régime légal n’est s’applique qu’à titre supplétif.

- Enfin, son régime est moins coûteux que celui de la SA : en effet, dans le cadre de la constitution de la SARL, il n’y a pas de commissaire aux apports, pas de formalisme pour la convocation à l’assemblée générale, pas de réélection fréquente des organes d’administration.

Néanmoins, il convient de préciser que :

- La SRL ne fait pas appel public à l’épargne.

- La publication au BORME rend la SRL opposable aux tiers de bonne foi. Si la société est unipersonnelle, la protection des tiers impose d’indiquer l’identité de l’associé unique.

La particularité quand même de la SRL espagnole est qu’elle comporte d’une part, l’acte de constitution (escitura de constitucion) et d’autre part, les statuts (estatutos sociales), lesquels ont pour objet de régir le fonctionnement de la « sociale » et ne constituent que l’un des éléments de l’acte authentique de constitution (article 175 s. du RRM).
Les deux actes doivent revêtir la forme authentique. C’est quand même assez lourd.

III) QUI LA DIRIGERA ?

En espagnol, le même terme « administrador » est utilisé pour désigner les administrateurs de SA et les gérants de SRL, le terme « gerante » désignant lui les cadres supérieurs employés par la société.
Comme les administrateurs de SA, les gérants ne sont pas forcément des associés de la SRL.
L’assemblée générale peut choisir entre plusieurs formules d’administration, en enregistrant simplement sa délibération et sans avoir à modifier les statuts :
- Un gérant unique

- Plusieurs gérants solidaires agissant individuellement

- Plusieurs gérants agissant conjointement

- Un collège de gérance de 3 à 12 membres.

La loi ne reconnaît pas aux associés minoritaires le droit à une représentation proportionnelle lorsque la gérance est collégiale. Elle n’admet pas la désignation par cooptation (article 191 du RRM).

- La durée légale du mandat des gérants de SRL est indéfinie mais les statuts peuvent prévoir une durée déterminée et la rééligibilité des gérants,

- Les gérants sont révocables à tout moment par l’assemblée générale, même si la question ne figure pas à l’ordre du jour,

- Les gérants ont en principe une obligation de non-concurrence sauf accord de l’assemblée générale, ils ne peuvent pas exercer une activité analogue ou complémentaire, à titre de salariés d’une autre entreprise ou pour leur propre compte.

Donc, la société mère majoritaire dans la filiale peut être gérante de celle-ci ou choisir un autre gérant. En tout cas, elle a la liberté sur ce point.

IV) QUELS ASSOCIES ?

Les associés peuvent être des personnes physiques ou morales. Leur nombre est au minimum de 2 et il n’y a pas de limite maximum. La loi de 1995 a introduit la société unipersonnelle, qui peut être à responsabilité ou anonyme. L’associé unique peut être une personne physique mais aussi une autre société.

La responsabilité des associés ou gérants de SRL pour les actes et contrats qu’ils ont conclus au nom de la société en formation est alignée sur celle des actionnaires fondateurs de la SA c’est-à-dire, essentiellement ils répondent personnellement à hauteur des apports qu’ils se sont engagés à effectuer. Article 13 du RRM.

1) La société mère ?

Donc, la société mère peut être associée unique de la filiale au quel cas, la filiale sera une société unipersonnelle ou s’associer avec d’autres personnes.

2) Un partenaire local ?

La filiale pourra être constituée avec un partenaire local, ce qui permettra de réduire les frais, connaître les habitudes des consommateurs, l’environnement local...

Comment trouver un partenaire ? Grâce au réseau des Chambres de commerce et d’industrie françaises, aux postes d’expansion économique...

V) QUELS SONT LES DROITS COLLECTIFS DES SALARIES ?

Les salariés de la filiale sont soumis au régime social du pays d’implantation sauf exception. Donc, il s’agira dans notre cas du droit Espagnol.

1) S’agissant de la rémunération :

La rémunération initiale est généralement mentionnée dans le contrat de travail. Elle est librement fixée par le contrat. Toutefois, ce principe de libre fixation des salaires par les parties est limité par :

- Le principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes,

- Le principe de l’égalité de traitement entre les nationaux et les étrangers,

- Le salaire minimum interprofessionnel légal (le SMI) était fixé en 2002 à 14, 74€ par jour soit 442, 20€ par mois,

- Les barèmes ou grilles fixés par les conventions collectives selon le secteur d’activité.

2) Quant à la représentation des salariés.

Ils ont enfin, la possibilité de créer un comité d’établissement lorsque leur nombre est de plus de 50 salariés dans la filiale. C’est même une obligation pour les entreprises atteignant ce seuil là.
En Espagne, cette représentation collective des salariés est prévue et organisée par la loi (articles 61 à 81 du statut des salariés).

Daniel DJEDI, Master 2 droit des affaires et fiscalité à l’Université d’Orléans et Consultant Stagiaire en droit des sociétés.