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Le passage du résultat comptable au résultat fiscal : comment ça marche ? Par Mehdi Berbagui, Juriste.
Parution : mardi 9 novembre 2021
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La question mérite d’être posée, car la réponse n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît.
Est-ce que le droit fiscal accepte « pieds et poings liés » le résultat d’une entreprise, constitué de produits et de dépenses, établi par le professionnel du chiffre, ou bien a-t-il son mot à dire ?

Prenons l’exemple d’un dirigeant-associé d’une société, qui pourrait être tenté, afin d’alléger le « boulet » fiscal qui pèse sur son entreprise, de déduire comme charges de l’exercice, des dépenses personnelles, qui n’ont, a priori, rien à voir avec l’activité « normale » de la société.

Dans le jargon des fiscalistes, on les appelle les « dépenses somptuaires » : l’achat d’un yacht, une Aston Martin (clin d’œil à Daniel Craig, qui nous fait ses adieux…), un séjour touristique, etc.

On le voit bien dans ces exemples, que la charge, si elle était autorisée, serait pour le moins déraisonnable…

D’un autre côté, et qui peut sembler paradoxal, la comptabilité peut enregistrer, identifier des produits, apparemment imposables, mais que le droit fiscal ne souhaite pas taxer.

Exemple : un dividende (bénéfice annuel reçu par l’associé ou l’actionnaire d’une société) reçu dans le cadre du régime des sociétés-mères. Il s’agit d’un régime de faveur, faisant donc écho à une politique fiscale.

Ce type de dividende est donc un produit comptable, mais qui ne sera pas imposé in fine.

Ainsi, le principe est que la comptabilité est le droit commun de la fiscalité. Et le résultat fiscal, imposable, n’est autre que le résultat comptable éventuellement « revu et corrigé ».

Comment passer du résultat comptable au résultat fiscal ?

Pour faire simple, il y a, principalement, deux séries de corrections, deux mécanismes à opérer, de manière cumulative :

1. Les déductions extra-comptables : c’est le cas lorsqu’il y a un produit que le comptable prend en compte, mais que la loi fiscale exonère d’impôt. Il est donc déduit, retranché du résultat comptable afin de ne pas subir d’imposition ;

2. Les réintégrations extra-comptables : c’est l’inverse, lorsqu’il y a des charges que le comptable a déduites « machinalement », mais dont le droit fiscal conteste et refuse la déduction, pour une raison ou une autre (ex. : la taxe sur les véhicules de tourisme). Ces charges sont, donc, réintégrées, rapportées au résultat comptable afin d’être taxées comme n’importe quel autre produit.

Ces déductions et réintégrations sont dites « extra-comptables » car elles se font, en principe, hors-comptabilité, sur un imprimé spécial.

Par exemple dans le bilan simplifié, applicable aux entreprises de taille moyenne, selon certains seuils dont on épargnera le lecteur, et figurant dans le Formulaire Cerfa n°2033-A-SD, dans la partie « compte de résultat simplifié de l’exercice », il y a un « A-résultat comptable » puis un « B-Résultat fiscal », avec les différentes déductions (régimes fiscaux de faveur ; comme le régime de la Jeune Entreprise Innovante « JEI », la reprise d’entreprises en difficulté, les diverses déductions exceptionnelles, etc) et les réintégrations (amortissements excédentaires et autres amortissements non-déductibles, provisions non-déductibles, fractions des loyers à réintégrer dans le cadre d’un crédit-bail immobilier, etc) à opérer éventuellement.

Ce mécanisme est devenu un principe énoncé dans la loi française, défini à l’article 38 Quater de l’annexe III du Code général des impôts, comme suit :

« Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt ».

Et la jurisprudence récente du Conseil d’Etat emboîte également le pas au législateur, et l’érige en principe général du droit fiscal, sans le nommer explicitement toutefois [1].

Dans ces décisions, le Conseil d’Etat a sanctionné des Cours administratives d’appel sur la base de l’erreur de droit, en estimant qu’elles n’ont pas procédé à des recherches suffisantes pour admettre ou exclure un produit ou une charge comptables de l’imposition, en vertu du texte de loi spécifique qui les concerne.

En résumé, les professionnels du chiffre passent de l’étape comptable, en photographiant le patrimoine de l’entreprise à la clôture de l’exercice, à un instant T, à l’étape fiscale, en faisant, soit, réintégrer une charge ou en faisant sortir un produit de l’imposition, selon les prévisions de la règlementation fiscale. Le principe est donc la parfaite concordance entre résultat comptable et résultat fiscal, et l’exception c’est lorsque la loi « perturbe » ce schéma harmonieux.

Mehdi BERBAGUI Avocat aux barreaux de Paris et d\'Alger http://www.terra-lex.fr/

[1Conseil d’Etat, 10e et 9e ss-sect.,13 juillet 2011, n°311844, Min. c/SA GH Mumm & Cie, Conseil d’Etat, 9e et 10e ss-sect., 1er avr. 2015, n°362317, Sté Rexel Distribution.