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La fiducie au service du M&A. Par Arnold Rouah, Avocat.
Parution : lundi 15 novembre 2021
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Parce qu’elle permet de sécuriser le paiement d’un complément de prix ou l’exercice d’une promesse d’achat, la fiducie mérite sa place dans la boîte à outils du praticien créatif des fusions-acquisitions.

Intégrée en droit français depuis 2008 et ouverte à la profession d’avocat l’année suivante, la fiducie, organisée par les articles 2011 à 2031 du Code Civil est un mécanisme juridique assez simple dans son principe.

Le détenteur (le constituant) d’un actif (biens immobiliers ou mobiliers, créances, sûretés…) transfert de manière temporaire cet actif à un tiers de confiance (le fiduciaire) à charge pour ce dernier de le conserver et le gérer dans les limites fixées par le constituant pour in fine être restitué au constituant ou à un tiers désigné (le Bénéficiaire) [1].

Souffrant injustement d’une réputation de complexité, la fiducie peine à s’installer dans le paysage juridique et financier français d’abord par manque d’habitude mais aussi en raison de l’absence d’intérêt fiscal et successorale de la solution. Là où le petit monde du droit espérait une duplication du trust anglo-saxon, la solution française n’en est finalement qu’une cousine issue de germain [2].

Cependant si on veut bien s’intéresser à l’intérêt juridique et financier de l’outil disponible, il est très probable que la fiducie puisse rapidement prospérer au regard de son efficacité dans certaines situations juridiques.

Déjà utilisée pour la gestion et la protection du patrimoine d’une personne vulnérable ou d’une entreprise en cours de restructuration ou la sécurisation d’un financement, la fiducie, mécanisme très souple au service des praticiens, a vocation à accompagner de nombreuses situations de la vie des affaires ou des patrimoines.

Parmi ces situations, le transfert d’actions ou de parts sociales peut utilement recourir à la fiducie pour sécuriser l’exécution de cessions impliquant un complément de prix (earn-out) ou une promesse de vente à terme (call option). Quelle partie et son conseil ne se sont pas posés la question angoissante du paiement de son earn-out ou de la délivrance des actions promises et n’ont pas craint la lourdeur judiciaire ou arbitrale lorsque survient un conflit ?

Dès lors, il devient intéressant d’étudier le cas d’usage suivant :

Le vendeur de titres transmet au fiduciaire les titres objet de la vente ou de la promesse. La mission du fiduciaire est dès lors soit de transférer les titres à l’acquéreur en cas de paiement conforme du complément de prix ou de levée de la promesse soit de le restituer au vendeur en cas de défaillance avérée de l’acquéreur.

La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.

Le vendeur de titres transmet au fiduciaire les titres objet de la vente ou de la promesse. La mission du fiduciaire est dès lors soit de transférer les titres à l’acquéreur en cas de paiement conforme du complément de prix ou de levée de la promesse soit de le restituer au vendeur en cas de défaillance avérée de l’acquéreur.]]

La solution fiduciaire présente donc ici deux avantages essentiels en M&A :

- Garantie d’exécution.

Sauf fraude aux droits des créanciers ou sûreté antérieure publiée, le transfert fiduciaire tranquillise les parties sur le sort des titres qui entrant dans le patrimoine d’affection du fiduciaire sont désormais à l’abri des créanciers du vendeur ou de l’acquéreur ou de la « maladresse » de l’un ou de l’autre. De même, la fiducie contribuera à séréniser (durablement [3]) la relation entre le vendeur et l’acquéreur en cas de conflit, l’un et l’autre étant certains de retrouver l’objet de toute leur attention à l’issue de leur conflit [4].

En second lieu et parce que le patrimoine fiduciaire est un patrimoine d’affectation distinct du patrimoine personnel du fiduciaire, il est utile de rappeler que les titres transférés au fiduciaire échappent, sauf faute de gestion, également à ses créanciers personnels y compris en cas de procédure collective à son encontre [5].

Appliqué à un earn-out ou à un call, les titres en fiducie seront (i) transférés à l’acquéreur/bénéficiaire dès le paiement convenu, (ii) restitué au vendeur/constituant en cas de défaillance de l’acquéreur ou (iii) conservés par le fiduciaire le temps que le litige entre le vendeur/constituant et l’acquéreur/bénéficiaire soit réglé.

- Contrôle, dividende (et consolidation) sur mesure.

Vue sous un angle juridique, économique et financier, toute transaction sur les titres d’une société, encore plus lorsqu’elle comporte un mécanisme de complément de prix ou un transfert de propriété à terme, doit légitimement traiter de l’exercice des droits attachés à ces titres. On pensera notamment à la participation aux décisions collectives et au sort des dividendes.

Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine.

En cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire.

Le contrat de fiducie peut également limiter l’obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire. Une telle clause n’est opposable qu’aux créanciers qui l’ont expressément acceptée.

Là encore, la loi permet au contrat de fiducie d’organiser clairement et sur mesure l’exercice des droits de vote par le fiduciaire ainsi que l’attribution des dividendes sous le contrôle du constituant/cédant ou du cessionnaire/bénéficiaire en fonction de leur accord et de leurs impératifs financiers notamment de consolidation.

Ainsi, réunies autour du totem des IFRS lorsque nécessaire [6], les parties au contrat de fiducie et le bénéficiaire organiseront le contrôle et les pouvoirs du fiduciaire en fonction de leurs objectifs financiers en complément et au soutien de ce qu’ils auront pu définir dans le contrat de vente ou d’option.

S’il est convenu que l’acquéreur devra consolider la cible avant même le paiement complet ou le transfert des titres sous option, le contrat de fiducie stipulera que le fiduciaire exercera les droits de vote sous le contrôle exclusif de l’acquéreur et que celui-ci sera bénéficiaire des dividendes.

A l’inverse, si le vendeur/constituant entend conserver le contrôle et/ou les dividendes attachés à toute ou partie des actions qui n’ont pas été entièrement payées, c’est sous son contrôle que le fiduciaire exercera les droits de vote et pour son compte qu’il percevra les dividendes.

Entre les deux hypothèses précédentes, vendeur/constituant et acquéreur/bénéficiaire pourront ajuster la combinaison pouvoirs du fiduciaire / répartition des dividendes pour satisfaire leurs besoins respectifs.

Bien sûr, le recours à la fiducie entraine certaines lourdeurs essentiellement administratives (souvent à la charge du fiduciaire), fiscales et comptables mais rien qui ne soit de nature à faire oublier les avantages de la solution.

Plus sécurisante qu’un SPA ou un pacte d’actionnaires, plus adaptée et plus flexible qu’un séquestre, un nantissement ou un démembrement, le contrat de fiducie renforce indéniablement l’exécution d’un contrat de vente ou d’une promesse et ne doit pas être ignorée lorsque s’organise la vente d’une société.

La fiducie n’est ni une panacée ni un nouvel Orviétan mais elle mérite vraiment sa place dans la boîte à outils du praticien créatif des fusions-acquisitions.

Arnold Rouah Avocat & Fiduciaire Cabinet Foxfor.law

[1Article 2011 du Code Civil La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.

[2La fiducie française s’avère plus proche la Treuhand germanique que du Trust anglais.

[3Aux termes de l’article 2028 alinéa 2 du Code Civil, après acceptation par le bénéficiaire, le contrat ne peut être modifié ou révoqué qu’avec son accord ou par décision de justice.

[4Article 2025 alinéa 1er du Code Civil Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine. En cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire. Le contrat de fiducie peut également limiter l’obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire. Une telle clause n’est opposable qu’aux créanciers qui l’ont expressément acceptée.

[5Aux termes de l’article 2028 alinéa 2 du Code Civil, après acceptation par le bénéficiaire, le contrat ne peut être modifié ou révoqué qu’avec son accord ou par décision de justice.