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La vidéosurveillance des salariés : l’employeur dans le viseur de la Cour de cassation. Par Myriam Adjerad et Domitille Cremaschi, Avocates.
Parution : lundi 15 novembre 2021
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Récemment, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler les règles qui s’imposent à l’employeur en matière de vidéosurveillance, en statuant à deux reprises sur la question de l’opposabilité des enregistrements au salarié afin de le sanctionner.

L’employeur peut installer des caméras dans ses locaux, si cela répond à un objectif légal et légitime : il peut s’agir de sécurité des biens et des personnes, de dissuasion, ou encore d’identification d’auteur de vols ou de dégradations [1].

Une fois le dispositif mis en place, dans quelles conditions l’employeur peut-il utiliser les images enregistrées pour sanctionner un salarié ?

1/ Une vidéosurveillance proportionnée à l’objectif poursuivi par l’employeur et ne portant pas atteinte à la vie privée du salarié.

Dans un arrêt du 23 juin 2021 [2], la Cour de cassation déclare les images de vidéosurveillance inopposables au salarié, en ce que le dispositif de surveillance était

« attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens ».

En l’espèce, il s’agissait d’un salarié de pizzeria travaillant seul en cuisine, licencié pour faute grave pour s’être lacéré volontairement l’avant-bras à l’aide d’un morceau de verre.

La Cour de cassation approuve la décision de la Cour d’appel, qui constatait le caractère excessif du dispositif de vidéosurveillance en ce que le salarié travaillait seul et était soumis à la surveillance constante de la caméra. De fait, les enregistrements, ayant fondé la décision de l’employeur, étaient inopposables au salarié.

Le placement sous surveillance permanente est en effet attentatoire au respect de la vie privée des salariés. La proportionnalité entre le but poursuivi et cette atteinte n’était pas satisfaite en l’espèce.

Une telle position est non seulement conforme à l’article L1121-1 du Code du travail, aux recommandations et délibérations de la CNIL, mais également au principe de liberté de la preuve : la proportionnalité dans la liberté de la preuve est ainsi conditionnée par la proportionnalité dans le recueillement de ladite preuve.

2/ Une information préalable des salariés et du Comité Social et Economique sur l’existence et l’utilisation de la vidéosurveillance.

Par décision du 22 septembre 2021 [3], la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que l’employeur ne peut opposer à un salarié, pour le sanctionner, des enregistrements issus d’un système de vidéosurveillance pour contrôler l’activité des salariés, dont il n’a pas été préalablement informé.

En l’espèce, il était question d’un salarié qui s’adonnait au voyeurisme dans les toilettes de l’entreprise.

Après constat par l’employeur sur les images de vidéosurveillance de la véracité de la dénonciation des actes de ce salarié, il décide de le licencier pour faute grave.

La Cour d’appel constate l’inopposabilité des enregistrements, en l’absence d’information préalable du CSE et des salariés.

La Cour de cassation casse la décision d’appel en ce que les juges du fond n’ont pas

« constater que le système de vidéosurveillance avait été utilisé pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions ».

La Cour de cassation considère ainsi que les enregistrements ne peuvent être inopposables au salarié que s’il est constaté le défaut d’information quant à l’existence et l’utilisation du dispositif de vidéosurveillance, et qu’il est également constaté que l’utilisation du dispositif était bien à dessein de contrôler les salariés dans l’exercice de leur fonction.

La Cour de cassation fait là une interprétation stricte des règles relatives à la mise en place de la vidéosurveillance, sollicitant des juges du fond un contrôle de toutes les conditions de mise en œuvre du dispositif.

En résumé : les conditions d’opposabilités des images enregistrées pour sanctionner un salarié sont liées au respect de toutes celles requises pour la mise en place d’un système de vidéosurveillance, ni plus, ni moins.

Myriam Adjerad, Domitille Cremaschi, Avocates au Barreau de Lyon Adjerad avocats [->contact@adjeradavocats.fr] https://fr.linkedin.com/in/myriam-adjerad-473903121

[1CNIL « La vidéosurveillance-vidéoprotection au travail » 27 novembre 2019.

[2Cass. soc., 23 juin 2021, n°19-13.856.

[3Cass. soc., 22 septembre 2021, n°20-10.843.