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Demande de pièces complémentaires et permis tacite ne font (définitivement) pas bon ménage. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : mardi 16 novembre 2021
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Toute illégale qu’elle soit, une demande de pièces complémentaires interrompt le délai d’instruction d’une demande de permis ou de déclaration préalable. Son éventuel retrait ou annulation ne conduit pas à la naissance d’un permis tacite ou d’une décision de non-opposition tacite.

Le délai d’instruction des autorisations d’urbanisme est relativement court, or éventuelle majoration (ABF, ERP, etc.). Ce délai varie entre 1 à 3 mois.

En outre, le Code de l’urbanisme fixe un principe de naissance d’un permis tacite ou d’une décision de non-opposition tacite à raison du silence gardé par l’administration durant le délai applicable (exemple deux mois pour un permis de construire en maison individuelle, trois mois pour tout autre projet relevant du permis de construire or éventuelle majoration).

C’est le sens de l’article R424-1 du Code de l’urbanisme.

Comme tout principe, ce dernier connaît des exceptions. La 1ère et principale exception à ce principe résulte de la formation d’une demande de pièces complémentaires.

En effet, conformément à l’article R423-38 du Code de l’urbanisme, lorsque le service instructeur estime que le dossier de demande dont il est saisi n’est pas complet, il adresse une demande de pièces complémentaires au pétitionnaire.

Or, cette demande n’a pas la même portée en fonction de la date à laquelle elle est formée.

Si cette demande est adressée dans le mois suivant l’enregistrement de la demande de permis elle a deux conséquences principales.

D’une part, elle suspend le délai d’instruction de la demande en précisant que ce dernier ne commencera/recommencera à courir qu’à compter de la date de réception des informations/documents manquants et sollicités.

D’autre part, qu’à défaut de produire l’intégralité des documents et informations sollicités, la demande fera l’objet d’une décision tacite de rejet au bout de trois mois.

Précisions à ce titre que le service instructeur ne peut en principe solliciter que la communication des renseignements et documents limitativement fixés par le code.

Dès lors, les incidences d’une demande de pièces complémentaires sont donc considérables en ce qu’elle rallonge significativement le délai d’instruction de la demande mais également et surtout en ce qu’elle peut conduire à un rejet automatique de la demande au bout de trois mois.

Ajoutons sur ce point que dans la pratique si les services instructeurs sont relativement proactifs pour ne pas dire inventifs pour former des demandes de pièces complémentaires, dans la grande majorité des cas, ils ne répondent pas à la production des documents complémentaires qui leur sont adressés.

Cette production est suivie dans les faits d’une décision d’autorisation, d’un refus express ou tacite. Le pétitionnaire avisé a donc tout intérêt à solliciter du service instructeur qu’il confirme que le dossier est désormais complet et à fixer la durée de son instruction suite à la production des éléments sollicités.

Ajoutons enfin qu’une demande de pièces complémentaires formée au-delà du délai d’un mois n’a pas d’incidence sur le délai d’instruction et ne peut conduire à un rejet tacite de la demande.

La Cour administrative d’appel de Marseille est venue tout récemment apporter une précision d’importance en matière de demande de pièces complémentaires.

La Cour a en effet considéré que même en cas de retrait d’une demande de pièces complémentaires par le service instructeur, vraisemblablement à la suite d’un recours gracieux ou hiérarchique, ce retrait ne peut conduire à la naissance d’une autorisation tacite.

En réalité, si cet arrêt mérite d’être mentionné, il constitue la suite logique de la position jurisprudentielle de ces dernières années.

En effet, le Conseil d’Etat avait déjà limité l’effet rétroactif attaché à une annulation contentieuse en considérant que l’éventuelle annulation par le juge d’une décision de demande de pièces complémentaires n’a pas pour effet de faire naître un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable tacite [1].

Le retrait d’une décision ayant les mêmes effets juridiques qu’une annulation contentieuse, la Cour marseillaise a donc transféré le raisonnement du Conseil.

Il convient également de rappeler que plus récemment, la haute assemblée a précisé que si l’éventuelle annulation d’une décision de demande de pièces complémentaires est de nature à justifier l’annulation d’une décision de refus de permis de construire tacite, elle ne conduit pas plus à la naissance d’un permis tacite ou d’une décision de non-opposition à déclaration préalable [2].

Autrement dit et en synthèse :
- même illégale, une demande de pièces complémentaires formée dans le mois de l’enregistrement de la demande de permis ou de déclaration préalable a un effet interruptif sur le délai d’instruction de cette demande ;
- l’éventuelle annulation ou retrait de cette demande de pièces complémentaires n’a pas pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’un permis tacite ou d’une décision de non-opposition.

Références : CAA Marseille, 14 octobre 2021, n°19MA00872 ; CE, 9 décembre 2015, n°390273 ; CE, 13 novembre 2019, n°419067.

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1CE, 9 décembre 2015, n°390273.

[2CE, 13 novembre 2019, n°419067.