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5 décisions à connaitre pour obtenir la nullité de votre rupture conventionnelle (2ème partie). Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : jeudi 18 novembre 2021
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La nullité de la rupture conventionnelle pour vice du consentement est une gageure.
Les décisions validant la nullité de la rupture conventionnelle pour vice du consentement sont extrêmement rares. La plupart concernent la signature du salarié obtenue sous la pression de l’employeur.
Cet article fait suite à la précédente analyse publiée sur la nullité des ruptures conventionnelles pour non respect d’une formalité substantielle : Annulation des ruptures conventionnelles en 2021 (Première partie).

A. Les pressions exercées par l’employeur.

- 1er arrêt [1].

Un conducteur machine est mis à pied à titre conservatoire puis signe une rupture conventionnelle qu’il conteste ensuite notamment pour vice du consentement : il aurait signé la rupture conventionnelle sous la menace de son licenciement.

La Cour remarque en premier lieu « la signature de la convention de rupture n’a pas été précédée d’un entretien préalable ». Puis en analysant les échanges SMS entre le salarié et le Délégué syndical de l’entreprise, elle constate que le salarié n’a eu aucun contact avec son employeur entre la date de l’entretien préalable au licenciement fixé au 11 décembre 2015 et la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle du 21 décembre 2015.

Or, était versée au débat une demande de rupture conventionnelle du salarié en date du 14 décembre 2015 remise en main propre à l’employeur et un courrier du même jour convoquant le salarié à un entretien fixé au 21 décembre 2015, date de signature de la rupture conventionnelle.

Enfin, les Juges relèvent qu’aucune explication n’est donnée sur la remise le 14 décembre 2015 du courrier du salarié sollicitant la rupture conventionnelle « en main propre » à l’entreprise alors que le salarié était absent de l’entreprise à cette date puisqu’il avait été mis à pied à titre conservatoire.

Au vu de toutes ces incohérences, la Cour en conclut que le salarié « a été victime de pressions de la part de son employeur, pression de nature à vicier son consentement », outre le non-respect de l’entretien préalable (nécessaire) avant la signature de la convention de rupture, « élément essentiel du formalisme protecteur légal ».

- 2ème arrêt [2].

Alors que le formalisme entourant la signature de la rupture conventionnelle a été ici respecté, c’est le contexte dans lequel elle est intervenue qui justifie la nullité de la rupture conventionnelle :

Une coiffeuse qualifiée est convoquée à un entretien préalable à un licenciement puis 5 jours plus tard signe une convention de rupture conventionnelle.

Pour prononcer la nullité de cette rupture conventionnelle les Juges mentionnent :
- que la convocation à l’entretien préalable à licenciement a été réceptionnée par la salariée alors qu’elle était en congé maternité,
- que l’entretien préalable au licenciement s’est tenu alors que la salariée était en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif,
- qu’un témoin atteste que l’entretien préalable « s’est déroulé à la vue et à l’écoute des autres salariés et des clients », mené par l’époux de la Gérante non salarié de l’entreprise et que la salariée a été menacée de plainte pénale pour vol.

La Cour en conclut que la salariée accusée de vol et menacée de plainte pénale devant les autres salariés et les clients alors qu’elle était en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif après un congé maternité a subi une violence morale (alors qu’elle était) en état de faiblesse ce qui a vicié son consentement, nonobstant le délai de réflexion dont elle a bénéficié qui est pour la Cour

« sans emport, la publicité donnée par l’employeur aux faits reprochés à la salariée et le renouvellement de son arrêt de travail justifiant la persistance du vice du consentement ».

Ainsi, il importe peu pour les Juges que la salariée ait bénéficié d’un délai de 5 jours avant de signer la rupture conventionnelle dès lors que son état de faiblesse dont elle justifiait ne lui permettait pas d’avoir la capacité de réagir.

- 3ème arrêt [3].

C’est encore un contexte de pressions qui justifie la nullité d’une rupture conventionnelle d’une salariée embauchée comme support logistique qui signe une rupture conventionnelle après avoir refusé une modification de ses conditions de travail.

Bien qu’ayant écarté le harcèlement moral et sexuel, la Cour prononce néanmoins la rupture conventionnelle pour vice du consentement :

Car la salariée justifiait du témoignage d’un Délégué syndical sur les manœuvres et pressions de l’employeur pour lui faire accepter la rupture conventionnelle suite à son refus d’accepter un changement de ses conditions de travail et la Cour relevait que l’employeur avait

« faussement indiqué à la salariée que son poste allait être supprimé puis qu’elle serait licenciée pour faute si elle n’acceptait pas une rupture conventionnelle et que l’ensemble des documents avait été antidatés par l’employeur, de telle sorte que le consentement de la salariée n’était ni libre ni éclairé lorsqu’elle a signé la rupture conventionnelle ».

B. La situation de faiblesse du salarié [4].

Une Monitrice éducatrice mise à pied à titre conservatoire avait signé quelques jours plus tard la rupture conventionnelle de son contrat de travail dont elle demandait ensuite la nullité pour harcèlement moral.

Observant les arrêts de travail de la salariée pour anxiété paroxystique, trouble du sommeil etc. de l’ordre du traumatisme psychologique les juges ont estimé que la salariée établissait un état de détresse psychologique de nature à vicier son consentement.

Puis, les Juges considèrent que « l’employeur en avait conscience puisqu’il avait reçu la salariée en entretien… » pour lui expliquer qu’il ne pouvait accéder à sa demande en raison de « la situation actuelle faisant que la rupture conventionnelle est nulle en cas de litige entre les parties ».

De son côté, la salariée avait avoir évoqué « lors de cet entretien la volonté de commettre une faute grave afin d’être licenciée » ce qui selon les Juges « illustre tout particulièrement son état d’esprit qui l’a contrainte à mettre fin à tout prix au contrat de travail, compte tenu de la situation de détresse dans laquelle elle se trouvait ».

C. Le harcèlement moral [5].

Une Secrétaire polyvalente en arrêt de travail pour anxiété qui signe trois mois plus tard une convention de rupture conventionnelle dont elle demande l’annulation pour harcèlement moral.

En analysant les pièces communiquées, les Juges constatent que des courriels ont été rédigés « dans des termes belliqueux, acerbes et acrimonieux », lui faisant des reproches, et l’a relançant pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle, l’un des courriels étant accompagné d’un dénigrement de l’attitude de la salariée avec avertissement. Les juges retiennent aussi une déclaration d’une main courante de la salariée et que la signature de la rupture conventionnelle était consécutive à un énième courriel de remontrance.

Les Juges en concluent que l’employeur « a exercé une pression (sur la salariée) » avec « des tentatives d’intimidation…  » et que

« si la salariée a présenté un état de soulagement psychologique après la signature de la rupture conventionnelle, celui-ci était proportionnel à la pression morale et psychologique qu’elle avait subie… les faits de harcèlement caractérisés ont placé (la salariée) dans une situation de violence morale viciant son consentement et altérant son discernement ».

On retiendra de ces 5 décisions analysées leur rareté et l’exigence des Juges d’une démonstration extrême de violence morale, de pressions, d’état de faiblesse avec la nécessité de communiquer des témoignages directs des pressions subies, un dossier médical complet (certificats médicaux, ordonnances, arrêts de travail etc), des échanges circonstanciés par courriel, SMS etc démontrant de manière certaine que le consentement du salarié a bien été vicié.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[1Cour d’Appel d’Amiens 13 juillet 2021 RG n°20/00142.

[2Cour d’Appel de Nancy 10 juin 2021 RG n°20/00120.

[3CA Toulouse 12 mars 2021 RG n°19/01428.

[4Cour d’Appel de Paris le 2 février 2021 RG n°18/05599.

[5Cour d’Appel du 16 septembre 2021 RG n°19/07064.