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Legal Ops, une fonction nouvelle... mais pas partout !
Parution : mardi 23 novembre 2021
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Les Legal Operations Officers ou Managers existent depuis plus de 15 ans aux États-Unis. Ils deviennent progressivement des acteurs incontournables dans les Directions Juridiques et les Cabinets d’avocats en France. TotalEnergies a constitué dès 2009-2010 une équipe "Management et Développement", dédiée à la gestion de sa Direction Juridique.

Voici l’interview à ce sujet de Eric O’Donnell, Head of Legal Operations chez TotalEnergies par Delphine Bordier.
Eric O’Donnell fut déjà interviewé sur le Village par le passé pour sa démarche innovante et a été Finaliste du Prix de l’innovation en management des Directions juridiques en 2019.

Delphine Bordier : Eric O’Donnell, quel a été votre parcours ?

Eric O’Donnell : « Irlandais, solicitor de formation, je travaille en France depuis 26 ans, à part 5 ans en expatriation à Singapour. J’ai commencé comme juriste chez Eurosport afin d’être au plus proche des affaires, de comprendre le résultat recherché et de traduire le droit en action opérationnelle pour atteindre les objectifs commerciaux.

En exerçant mon métier de juriste d’entreprise j’ai toujours eu l’ambition d’utiliser le langage clair (« plain language »). Souhaitant rendre les sujets juridiques plus lisibles, plus "praticables", plus accessibles, j’ai été amené à parfois traiter les risques de manière différente afin d’optimiser les objectifs commerciaux. Ce mouvement des Legal Operations, je l’ai donc tout naturellement accompagné avec le design thinking et le Legal Design.

J’ai pris la tête du département Legal Operations chez TotalEnergies il y a 3 ans et demi maintenant. »

Pouvez-vous expliciter le rôle du Legal Ops ?

« Force est de constater que le rôle du Directeur Juridique et son périmètre d’intervention se sont considérablement élargi, notamment avec les sujets de Conformité (Loi Sapin, RGPD, RSE, Concurrence). De ce fait, le Directeur Juridique a rarement le temps de prendre le recul nécessaire pour entamer un processus de digitalisation ou de conduite du changement identifier les outils à mettre en place pour répondre aux besoins réels des juristes et des clients internes… Ces missions-là peuvent être (doivent être ?) confiées au Legal Ops !

Le Legal Ops ne traite pas le fond des sujets juridiques : ce n’est pas son rôle, j’insiste sur cela.
Preuve en est que de nombreux Legal Ops ne sont pas des juristes, ils peuvent avoir une formation d’ingénieur, de consultant, de financier. D’ailleurs, aujourd’hui l’équipe Legal Operations de TotalEnergies est composée pour moitié de juristes et de collègues venus d’autres fonctions (business analyst, chargé de communication spécialisé en gestion de projet, assistant informatique).

L’essentiel est de donner au Legal Ops le temps de faire les diagnostics préliminaires pour ensuite trouver et implémenter les meilleures solutions pour les équipes et l’entreprise. A lui de gérer les sujets transverses et de prendre du recul par rapport aux sujets purement juridiques. »

Quel est le positionnement du Legal Ops dans votre organisation ?

« Le Head Legal Ops doit fonctionner en binôme avec le Directeur Juridique. A ce titre, une confiance l’un envers l’autre semble primordiale, notamment pour mettre en œuvre la vision et la stratégie de la Direction Juridique.

Le Legal Ops doit avoir l’écoute et le soutien du Directeur Juridique pour mener à bien les projets, les faire entendre au Comité exécutif et être en mesure de leur donner de la visibilité. »

Quelles vous paraissent les compétences requises pour faire un bon Legal Ops ?

« Je distinguerai volontiers les compétences et les qualités recherchées.
Elles sont multiples :
- Le Legal Ops doit évidemment être à l’aise avec les méthodes de gestion de projet et savoir les maîtriser ;
- Tout comme il doit être en mesure de s’exprimer en langage clair et de recourir au Legal Design ;
- Il lui faut être empathique, non seulement écouter et recueillir les sujets de difficultés mais entendre les attentes de chacun voire deviner les tensions ou conflits latents et les analyser de façon pertinente ;
- Il doit être sincèrement convaincu de la nécessité d’orienter son action vers les utilisateurs et les clients, donc de se montrer très convaincant en interne pour développer le travail en équipe dans ce sens ;
- Cela exige de la volonté, souvent de la pugnacité, et toujours une grande agilité d’esprit ;
- Résilient, il sait que des projets de longue haleine, impliquant de nombreuses parties prenantes, ne recueilleront pas l’adhésion à la première tentative. Un projet qui dure exige de la part de celui qui le porte persévérance et adaptabilité ;
- La capacité à se remettre soi-même en question s’avère, elle aussi, fondamentale tant il est vrai que certaines solutions efficaces peuvent-être contre-intuitives. En ce cas il incombe au Legal Ops d’identifier les fausses routes afin de faire progresser le projet dans une direction opposée…Manœuvre délicate !
A titre d’exemple : pour résoudre un problème la tentation est grande de recourir à de nouveaux outils, d’ajouter des process alors que parfois, en enlever accroît l’efficacité. »

A ce jour, combien de projets avez-vous réalisés et combien sont en cours ?

« Dans tous les cas il s’agit de très gros projets transversaux qui concernent toutes les branches de la Compagnie et qui de l’idée jusqu’à l’implémentation sont susceptibles de durer 2 ans (le laps de temps nécessaire pour identifier le besoin, établir un cahier de charges commun, obtenir le budget, réaliser l’appel d’offres, conduire le processus de sélection et d’implémentation, sans même parler de tous les problèmes de sécurité informatique à résoudre en parallèle).

En 3 ans et demi nous avons mené à bien quatre projets importants, dont un "multifacettes", c’est-à-dire impliquant en même temps l’arrêt d’un outil, la migration vers un autre et l’édition de gestion documentaire. Nous avons pu nous réjouir du résultat : un gain économique important par an pour l’entreprise.

Je puis également vous citer la mise en place d’un outil de CLM (Contract Life Management) qui nous a occupés 18 mois environ. »

Selon vous, quelles sont les perspectives pour les Legal Ops en France ?

« A mon sens il existe une tendance favorable pour voir émerger cette fonction mais il faut encore en démontrer la valeur pour l’entreprise.

Cette tâche est plus difficile en France car le juriste n’a pas le même rôle que dans les pays anglo-saxons. Il est encore perçu comme une ressource à consulter plutôt qu’à intégrer dans les affaires (business partner). Cette tendance recule de plus en plus, surtout pour les juristes qui cherchent le contact et c’est cette évolution qui donne l’espoir pour le métier de Legal Ops. »

Delphine Bordier Legal Ops | Créatrice Podcast Tout Droit Tout Simple