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Avocats, communication et réseaux sociaux : une régulation entre liberté d’expression et déontologie.
Parution : jeudi 25 novembre 2021
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La présence accrue des avocats sur les réseaux sociaux a conduit le Barreau de Paris, en avril 2021, à créer une nouvelle commission de déontologie, spécialement chargée des questions relatives aux réseaux sociaux et aux médias. Alexandra Aumont, avocat, membre du Conseil de l’Ordre et de cette Commission, secrétaire de la déontologie, évoque dans cette interview son fonctionnement et les enjeux de la régulation de la communication des avocats sur les réseaux sociaux.

Interview initialement publiée dans Le Journal du Village de la Justice n°94.

Liberté d’expression et respect des principes essentiels de la profession ne sont pas toujours aisés à concilier. Si la majorité des publications ne sont évidemment pas problématiques, d’autres se conjuguent assez mal, pour ne pas dire, pas du tout avec les règles déontologiques applicables.

Journal du Village de la Justice : Pourquoi la création de cette Commission s’est-elle imposée ?

Alexandra Aumont : « Nous sommes saisis d’environ 6 000 plaintes déontologiques par an qui sont traitées par des commissions de déontologie spécialisées : contradictoire, conflit d’intérêts, secret professionnel, etc. et une commission « publicité et communication » qui valide les sites, blogs et sollicitations. En raison de l’augmentation notable des plaintes liées aux publications sur les réseaux ou aux interventions sur les médias, initialement orientées vers cette commission, il a été décidé de créer une commission spécifiquement dédiée à ces interventions. »

Quelles sont les missions et les prérogatives de la Commission ?

"Sensibiliser les confrères et leur rappeler si besoin les règles."

« La mission première de cette Commission est de sensibiliser les confrères et leur rappeler si besoin les règles. Elle demeure une commission de déontologie, qui n’a d’autre compétence que de rendre un avis. Elle n’a aucun pouvoir de sanction, seule la commission disciplinaire en dispose.
Cette commission peut donc inviter au retrait ou à la modification des publications, ce que font les confrères qui reconnaissent avoir agi de façon irréfléchie.
Si les manquements sont graves, ils sont directement transmis à l’autorité de poursuite qui peut décider de saisir la formation disciplinaire. Il en serait de même pour plusieurs écarts répétés qui, pris individuellement, ne donneraient lieu qu’à un rappel ferme à nos règles.
J’ajoute que la commission est saisie par des plaintes, mais peut également s’autosaisir des publications et interventions des avocats. »

La communication des avocats doit-elle être davantage régulée ?

"Le respect des règles déontologiques s’applique même dans la vie privée."

« La communication des avocats sur les réseaux sociaux révèle des pratiques et des objectifs très hétérogènes. La majorité des publications ou interventions ne pose pas de difficulté. Mais dès lors qu’elles contreviennent à nos règles déontologiques, la régulation s’impose. Elle s’impose d’autant plus que les publications qui posent problèmes ont généralement un certain succès.

L’avocat accepte en prêtant serment d’être un citoyen, qui en toutes circonstances doit être irréprochable. Le respect des règles déontologiques s’applique même dans la vie privée. Nous sommes soumis aux dispositions de l’article 183 du décret du 27 novembre 1991 qui le rappelle, comme l’article 1er du RIN.

La déontologie a vocation à protéger en premier lieu le client. L’avocat est tenu à des obligations morales accrues qui ne sont pas des privilèges ou des coquetteries, mais le moyen de participer à l’exercice du pouvoir judiciaire. La valeur ajoutée d’un avocat, sa crédibilité et donc sa plus-value est fondée sur sa compétence, mais aussi sur les règles qu’il doit respecter pour prétendre à la confiance des clients, des confrères, des juges et des institutions en général.
Notre déontologie, qui constitue la colonne vertébrale de notre profession, impose de réguler les comportements anormaux et, ceci, d’autant plus que les réseaux offrent non seulement une visibilité, mais aussi une interactivité susceptible de débordements. »

Avez-vous déjà pu identifier des « bonnes pratiques » ?

"Se demander si l’on publierait le même contenu en face de son Bâtonnier (...)."

« Celle qui me semble universelle : réfléchir avant de cliquer sur « Publier » et se demander si l’on publierait le même contenu en face de son Bâtonnier ou avant de s’exposer sur un média dont on sait qu’il ne se nourrit que de sensationnel.
Se rappeler que nous sommes tenus au respect des principes essentiels contenus dans l’article 1er du RIN, aux règles posées par l’article 10 (qui mériterait une importante mise à jour) et le respect du secret professionnel et de la confidentialité.
Un avocat peut exprimer toutes les critiques, les combats, les idées qui lui tiennent à cœur, cela fait d’ailleurs souvent partie de son ADN, mais nul besoin de se fragiliser et de fragiliser la profession en s’éloignant de nos principes déontologiques. »

La présence des avocats sur les réseaux sociaux et les médias est-elle selon vous indispensable aujourd’hui ? Est-ce une manière d’être compétitif(ve) ?

« Indispensable, je ne crois pas. Cela dépend du type de clientèle recherchée, mais le but n’est pas forcément celui-ci. Beaucoup d’avocats ne disposent pas de compte, aussi bien pour éviter de s’exposer ou parce que ce n’est pas leur culture. Certains ne communiquent que par le biais de leur cabinet de façon institutionnelle. D’autres sont omniprésents sous leur nom ou sous pseudonyme. Tous ces modes d’utilisation et tous les supports se conjuguent. S’il me semble préférable de disposer au moins d’un site, les réseaux ne sont pas un passage obligé.

"Le respect de la déontologie sur les réseaux apporte une crédibilité."

Toutefois, les jeunes confrères sont très présents, car les réseaux sont pour eux une seconde nature et c’est là que se situe parfois le danger car ils continuent de s’exprimer sans considérer que leur serment ne leur permet plus certains excès. La difficulté surgit quand ils n’entendent pas qu’on puisse leur opposer nos règles déontologiques pour limiter leurs publications ou interventions.
L’utilisation des réseaux sociaux ou des médias pour promouvoir ses compétences, son activité en présentant des contenus de qualité est évidement un vecteur formidable. Mais je ne crois pas que permettre de verser dans certains excès sous le prétexte de céder à l’air du temps soit une voie qualitative dans l’intérêt de notre profession.
Ils permettent de se faire connaître. D’ailleurs certains comptes sont des références et leur visibilité est manifestement un outil de compétitivité. Pour autant, ceux-là opèrent dans le respect des principes déontologiques. Le respect de la déontologie sur les réseaux apporte une crédibilité, donc une plus-value aux avocats et c’est sous cet angle qu’il faut exploiter les réseaux ou les médias. »

Retrouvez l’intégralité de l’interview d’Alexandra Aumont dans la revue Le Journal du Village de la Justice n°94.

Interview d'Alexandra Aumont réalisée par Aude Dorange pour Le Journal du Village de la Justice.