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L’homophobie dans la sphère professionnelle peut caractériser une situation de harcèlement moral. par Yann-Maël Larher, Avocat.
Parution : mercredi 24 novembre 2021
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Moqueries sur l’orientation sexuelle, commentaires irrespectueux sur l’apparence physique, insinuations sur la situation de famille… La jurisprudence rappelle que les actes homophobes en entreprise peuvent caractériser une situation de harcèlement moral. Ces actes peuvent prendre la forme d’insultes ou d’injures de nature homophobe, mais aussi de menaces violentes (provocation à la violence de la victime, menace de blessure ou de mort).

Propos injurieux envers un collègue.

Dans un arrêt du 20 septembre 2006 (n°2006-313521), la Cour d’appel de Grenoble considère que manquer de respect et proférer des propos injurieux envers un collègue, du fait de son orientation sexuelle, sont des actes constitutifs d’un harcèlement moral.
Pour caractériser le harcèlement, elle s’appuie sur les faits d’espèce suivants : “pédé de base”, “il ne pouvait pas travailler correctement, étant donné qu’il était homosexuel”... autant d’insultes qui prouvent une discrimation à l’encontre du salarié ; mais également un document où, dans la colonne “enfants”, il est mentionné à l’égard du salarié “évidemment non”. Soit une insinuation tendancieuse concernant la vie privée du salarié.

Insultes répétées proférées par un employeur.

Dans un arrêt du 31 mars 2009 (n° 08/01639), la Cour d’appel de Douai insiste sur le caractère répétitif des actes discriminatoires et des propos homophobes, qui sont constitutifs du harcèlement moral. “Les insultes répétées proférées par un employeur à l’encontre d’une salariée caractérisent un harcèlement moral”.

Inaptitude du salarié suite à des brimades homophobes.

Dans un arrêt du 11 juin 2009 (n°08/6832), Cour d’appel de Bordeaux, à la suite de la reprise de son contrat de travail par un nouveau prestataire de services, un salarié voit ses conditions de travail fortement dégradées à tel point qu’il est “déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre son poste habituel, étant précisé qu’il ne doit plus travailler en équipe ainsi que le soir”.

L’employeur décide alors de licencier le salarié en raison de son inaptitude à exercer ses fonctions, et que son poste ne permet pas un reclassement dans l’entreprise. Le travailleur a alors fait valoir que certains salariés de la société lui avaient imposé plusieurs faits répétés de brimades homophobes et de violations de sa vie privée de nature à caractériser un harcèlement moral en raison de son orientation sexuelle.

La Cour d’appel de Bordeaux rappelle qu’il “incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement [1].

Or la Cour d’appel juge que l’employeur n’a pas réussi à prouver que ces actes, perpétrés à l’encontre de la victime, étaient dépourvus d’un agissement homophobe. Aucune de ses justifications n’était suffisamment sérieuse pour écarter le harcèlement moral dû à l’orientation sexuelle du salarié. L’entreprise est ainsi condamnée, par la Cour d’appel de Bordeaux, au paiement de dommages et intérêts à la victime pour harcèlement moral qui était à l’origine de l’inaptitude du salarié.

Discrimination dans l’avancement de carrière.

L’arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2013 n°11-15.204 rappelle “l’interdiction de discriminer dans sa carrière un salarié parce qu’il est homosexuel”.

Cet arrêt est d’autant plus symbolique qu’il a été rendu le lendemain du vote définitif par l’Assemblée de la loi sur le mariage pour tous du 23 avril 2013.

En l’espèce, un cadre travaillant pour la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris avait postulé 14 fois, au cours de sa carrière, à un poste de sous-directeur. L’entreprise lui avait systématiquement refusé cette évolution professionnelle, alors même qu’il avait réussi “les épreuves d’aptitude aux fonctions de sous-directeur organisées dans le groupe.
La Cour de cassation retient qu’il est en outre “le seul de sa promotion de 1989 à ne pas avoir eu de poste […] et qu’il était parmi les candidats les plus diplômés et que plusieurs témoins font état d’une ambiance homophobe dans les années 1970 à 1990 au sein de l’entreprise”.
La Cour de Cassation approuve en définitive le raisonnement de la Cour d’appel de Paris qui avait prononcé la condamnation de l’entreprise au paiement de 600 000 euros à son ancien salarié en raison des discriminations liées à son orientation sexuelle.

“C’est un PD, ils font tous des coups de p…”

Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 21 février 2018, un jeune coiffeur en période d’essai dans un salon de coiffure parisien avait reçu un SMS, envoyé par sa manager qui s’était trompé de destinataire. Le SMS disait “Je ne le garde pas. Je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de p…”. Le lendemain, il était informé par le salon de coiffure que sa période d’essai était rompue. Dans sa décision, le Conseil de Prud’hommes avait relevé que le terme “PD employé par la manageur ne peut être reconnu comme homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles [...]”. Les juges avaient (étonnement) considéré que “l’employeur n’a pas fait preuve de discrimination [...] mais que ce sont des propos injurieux qui ont été prononcés”. L’employé a heureusement fait appel de ce jugement infirmé par la Cour d’appel de Paris en reconnaissant le caractère discriminatoire de la fin de la période d’essai puisque le manager n’avait pas réussi à établir que la rupture de la période d’essai était indépendante, distincte d’une “discrimination en lien avec […] l’identité sexuelle supposée du salarié”.
La Cour d’appel de Paris a prononcé la condamnation du salon de coiffure au paiement de dommages-intérêts pour la nullité de la rupture, ainsi qu’à de dommages-intérêts le “préjudice moral résultant du caractère odieux et vexatoire de la procédure de rupture”.

L’employeur doit sanctionner les comportements homophobes de ses salariés.

L’homophobie peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement comme l’illustre la jurisprudence. Dans une décision d’espèce du 18 juin 1996, n°1996-043460, la Cour d’appel de Bordeaux considère que des propos homophobes, insinués par un salarié de l’entreprise à un de ses collègues qui est homosexuel, sont constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Cependant, ils ne peuvent être considérés “d’une importance telle qu’ils rendent impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis”.

Cette jurisprudence est constante et rappelée régulièrement au fond. La Cour d’appel de Montpellier [2] rappelle ainsi que les remarques insultantes et dégradantes d’un salarié envers un collègue au sujet de son orientation sexuelle était un motif légitime de licenciement.

En définitive, il convient de rappeler à tous les acteurs de l’entreprise que l’homophobie et les discriminations liées à l’orientation sexuelle n’ont pas leur place dans l’entreprise ni dans les processus de recrutement.
L’orientation sexuelle relève de l’expression de chaque individualité qui peut s’exprimer dans le cadre professionnel mais qui n’a pas à être appréciée ou jugée par ses collègues ou sa direction.

Yann-Maël Larher, Avocat au Barreau de Paris Docteur en droit social - relations numériques de travail. Avocat cofondateur Legalbrain https://yml-avocat.fr [->contact@yml-avocat.fr]

[1Article L. 1154-1 du Code du travail.

[2CA de Montpellier du 17 sept 2008, n°2008-376289.