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La France condamnée par la CEDH pour la rétention administrative d’une mère et de son enfant. Par Charlotte Thominette, Avocate.
Parution : lundi 6 décembre 2021
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Par un arrêt en date du 22 juillet 2021, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour violations des article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), 5§1 (droit à la liberté et à la sûreté) et 5§4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de la détention) de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les requérantes, M.D. et A.D., sont des ressortissantes maliennes, arrivées en France au mois de janvier 2018 après avoir déposé une demande d’asile en Italie. Au mois de novembre de la même année, elles ont été placées au centre de rétention administrative n°2 du Mesnil-Amelot pendant onze jours en vue de leur transfert vers l’Italie, pays responsable de l’examen de la demande d’asile de M.D. en application du règlement dit Dublin III. A.D était alors âgée de quatre mois.

Les principales étapes de la procédure sont les suivantes.

Par arrêté préfectoral en date du 17 octobre 2018 et dans le cadre de la procédure de reprise en charge par l’Italie, M.D. fut assignée à résidence avec son nourrisson dans l’attente de son transfert.

Le 26 novembre 2018, alors que M.D. se présentait au commissariat de police, en application des obligations prévues par l’arrêté d’assignation à résidence, elle était auditionnée « dans le cadre d’une notification d’un arrêté préfectoral ».

A la question de l’agent lui demandant si elle monterait à bord d’un avion à destination de l’Italie, M. D. répondait par la négative.

Le même jour, et moins d’une heure après, M.D. se voyait notifier un arrêté préfectoral la plaçant en centre de rétention administrative, accompagnée de son enfant, pour une durée de quarante-huit heures en vue de son transfert vers l’Italie. Le préfet justifiait ce placement par le risque de fuite de l’intéressée et par l’absence de garanties propres à pallier ce risque.

M.D et son bébé étaient conduits au centre de rétention administrative n°2 du Mesnil-Amelot.

Le lendemain, après son refus d’embarquer sur un vol à destination de l’Italie, M.D. fut replacée en rétention administrative.

Par une ordonnance du 28 novembre 2018, le juge des libertés et de la détention rejeta le recours de M.D. dirigé contre la décision de placement en rétention et fit droit à la demande du préfet de prolonger la rétention pour vingt-huit jours. Le juge considéra notamment que son placement en rétention administrative n’était pas disproportionné, compte tenu du fait qu’un vol vers l’Italie était prévu dès le lendemain.

Il considéra également que le risque de fuite était caractérisé et que la requérante ne remplissait pas les conditions d’une assignation à résidence, n’ayant pas préalablement remis un passeport en cours de validité à un service de police ou de gendarmerie, comme le prévoit la loi.

Cette ordonnance fut confirmée en appel au motif que la rétention des requérantes aurait cessé si M.D. n’avait pas refusé d’embarquer dans l’avion qui devait les reconduire en Italie.

Le 6 décembre 2018, les requérantes introduisirent une demande de mesure provisoire en application de l’article 39 du règlement, à laquelle la Cour fit droit. La France, devenue Etat responsable au sens du règlement Dublin III, enregistra la demande au titre de l’asile de M.D qui fut provisoirement admise au séjour à ce titre.

Dans cette affaire, la Cour a constaté trois violations des droits protégés par la Convention.

Sur la violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants).

En droit français, un mineur ne peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention administrative. Il ne peut être retenu que s’il accompagne un étranger placé en rétention.

La Cour rappelle opportunément que la situation de particulière vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prévaut sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier de son parent.

Le mineur doit faire l’objet d’une prise en charge spécifique qui tient compte : 1) de son âge ; 2) du caractère adapté ou non des locaux au regard de ses besoins spécifiques et 3) de la durée de sa rétention.

En l’espèce, compte tenu du très jeune âge de l’enfant (quatre mois), des conditions d’accueil dans le centre de rétention n° 2 du Mesnil-Amelot et de la durée du placement en rétention (onze jours), la Cour a considéré que les autorités compétentes avaient soumis l’enfant et sa mère à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

Sur la violation de l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté).

En principe, pour qu’une mesure de rétention soit compatible avec l’article 5§1 de la Convention, il suffit qu’une procédure d’éloignement soit en cours et que cette mesure soit prise aux fins de son exécution. La Cour n’a donc pas à rechercher la nécessité d’une telle mesure, sauf quand un enfant mineur est en cause.

En l’espèce, la Cour considère que l’autorité préfectorale puis le juge des libertés et de la détention avaient bien recherché si une mesure moins restrictive que le placement en rétention était possible mais avaient estimé qu’une assignation à résidence n’était plus envisageable eu égard au risque de fuite.

Si la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales, elle considère toutefois que les autorités internes n’ont pas effectivement vérifié si une mesure moins restrictive ne pouvait être privilégiée et conclut à la violation de l’article 5§1 de la Convention.

Sur la violation de l’article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de la détention).

Pour apprécier le respect des dispositions de l’article 5§4 de la Convention, la Cour vérifie que les juridictions internes ont tenu compte de la présence d’un enfant mineur et ont recherché in concreto s’il était possible de recourir à une mesure alternative à son placement et à son maintien en rétention.

En l’espèce, la Cour considère que l’autorité judiciaire n’a pas suffisamment pris en compte la présence de A.D. lors de la décision de prolongation de la rétention pour une durée de vingt-huit jours.

La Cour ajoute que le juge des libertés et de la détention n’a pas considéré les conditions concrètes dans lesquelles le nourrisson était privé de liberté et n’a pas sérieusement tenu compte du fait que M.D. avait déjà fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence qu’elle avait respectée de sorte qu’il existait bien une mesure alternative à la rétention.

En somme, c’est l’absence de vérification effective des conditions du placement et du maintien en rétention de la requérante mineure qui justifie la violation de l’article 5 § 4 de la Convention à son égard.

La Cour aboutit à un constat de violations de la Convention sans avoir besoin d’examiner certains éléments de l’affaire, notamment le refus de la requérante de déférer à la mesure d’éloignement. On ne saura donc rien de la légalité de la décision de placement en rétention administrative de M.D. qui semblait déjà prise avant même que celle-ci exprime son refus d’embarquer dans un avion vers l’Italie.

De même, la Cour ne se prononce pas sur l’obligation d’information de l’étranger des conséquences d’un refus de se soumettre à la mesure d’éloignement (cf. CJUE,19 mars 2019, n°C-163/17).

Avec cet arrêt, c’est la huitième fois que la France est condamnée pour la rétention administrative d’un enfant mineur.

Charlotte Thominette, Avocate Barreau de Paris. [->cabinet.thominette@gmail.com]