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Les Pandora Papers, continuité d’une saga fiscale et pénale ? Par Thomas Gallice, Etudiant.
Parution : jeudi 2 décembre 2021
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Le 3 octobre dernier, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICJIJ) publiait une enquête réalisée en partenariat avec 150 médias internationaux reposant sur une fuite de 11,9 millions de documents transmis par une source anonyme. Ces documents proviennent des archives de quatorze cabinets d’avocats spécialisés dans la création de sociétés offshores dans les paradis fiscaux.

Cette fuite massive de données, nommée « Pandora Papers » vient s’ajouter à une longue liste de révélations et de « leaks » intervenues au cours des dix dernières années parmi lesquelles « LuxLeaks » en 2014, « Panama Papers » en 2016 ou encore « OpenLux » en 2021.

Afin de comprendre l’importance de cette nouvelle enquête et des incidences fiscales et pénales, il convient de revenir en premier lieu sur cette décennie de révélations afin de suivre de manière chronologique la liste des scandales mis au jour par les consortiums de journalistes, de manière à comprendre, quels étaient les dispositifs juridiques utilisés et quels impacts ces affaires ont-elles eu sur notre législation fiscale.

Une décennie de révélations et de scandales aux multiples incidences fiscales et pénales…

Les affaires UBS en 2008 puis Wikileaks en 2010 furent les premières affaires majeures de fuite de données mais ce n’est que 3 ans plus tard que le tout premier « leaks » d’envergure en matière fiscale arriva, entraînant ensuite une dense série de révélations aux conséquences importantes.

2013 : les « OffshoreLeaks ».

C’est donc le 3 avril 2013 que l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) fait paraitre le dossier « OffshoreLeaks », grande première mondiale de par le nombre de journalistes et la quantité de données analysées. 2,5 millions de documents seront ainsi traités, révélant 120 000 sociétés offshores utilisées par des grandes fortunes, des criminels et des politiciens.

A ne pas confondre avec le démembrement de propriété, beaucoup de trusts apparaissent également dans cette affaire et sont définis au BOFIP : BOI-DJC-TRUST du 02/05/2019 comme étant

« une institution répandue dans des systèmes juridiques étrangers, notamment anglo-saxons, mais inconnue en droit civil français. Il se caractérise par le fait que la propriété se divise entre la propriété juridique, qui revient au trustee et le titre ou droit de propriété virtuel, propriété économique qui appartient au(x) bénéficiaire(s)) ».

Afin de faciliter le travail d’enquête et l’accès à ces informations, l’ICIJ décide de créer une base de données permettant d’accéder à la liste des personnes détenant des comptes ou des intérêts dans une de ces milliers de structures basées principalement aux îles Vierges britanniques, aux îles Caïmans, aux îles Cook et à Singapour. 130 noms de personnalités sont ainsi rendus public parmi lesquels des présidents et ministres.

Il s’agit là du premier grand chantier de la transparence fiscale qui permet de révéler l’implication de banques comme intermédiaires, pour certaines spécialisées dans la proposition de schémas et circuits d’optimisation, masquant l’origine des fonds et l’identité de leurs bénéficiaires réels, via les sociétés-écrans (sociétés à l’activité fictive, créées pour masquer les opérations financières d’une ou de plusieurs autres sociétés).

Quelles sont les conséquences de ces « offshores leaks » ?

Outre les multiples enquêtes lancées à travers le monde, la lutte contre les paradis fiscaux est érigée en priorité et cela amène l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) à produire 2 ans plus tard, le plan de lutte contre l’érosion de l’assiette fiscale et le transfert des bénéfices (projet BEPS). Mais ce projet BEPS étant un instrument non contraignant, les recommandations qu’il émet nécessitent d’être mises en œuvre par l’ensemble des pays en fonction de leur système juridique et constitutionnel ce qui dépend de la bonne volonté de chacun des Etats.

En France, la 4e directive anti-blanchiment est également adoptée suite à ces révélations et une loi du 26 juillet 2013 « de séparation et de régulation des activités bancaires » oblige les banques à publier des données concernant leurs activités dans les paradis fiscaux.

2014 : les « LuxLeaks ».

Le 5 novembre 2014, une nouvelle enquête de l’ICIJ paraît. Ces révélations nommées « LuxLeaks » nous apprennent qu’entre 2002 et 2010, les 4 plus gros cabinets d’audit mondiaux ont aidé 343 multinationales à obtenir en tout 548 accords fiscaux aussi nommés « tax rulings », avec le Luxembourg. Ces 28 000 pages de décisions fiscales ont pu permettre pour certaines sociétés de bénéficier de taux d’imposition inférieurs à 1% sur les profits transitant au Luxembourg.

Quelles sont les suites de cette affaire dans laquelle l’attractivité fiscale du Luxembourg est révélée ?

Ce dernier accepte en octobre 2015 de se soumettre à l’échange automatique d’informations concernant les rescrits fiscaux et les premiers échanges de renseignements ont lieu en 2018. La Directive 2015/2376 relative à l’échange automatique de rescrits fiscaux est prise à cet effet.

La fin des « rulings luxembourgeois » a lieu en 2020 puisqu’au cours de cette année, seul 44 rescrits seront signés et transmis aux autres Etats européens, marquant une baisse de 90%.

Cependant… Un nouveau moyen nommé « lettre d’information » est trouvé pour contourner la réglementation européenne sur l’échange de rescrits. Ce phénomène, découvert par une enquête journalistique nommée « Luxletters » et publiée le 1er juillet 2021 consiste en un courrier par lequel un fiscaliste informe l’administration luxembourgeoise du traitement fiscal avantageux dont entend bénéficier son client et pour lequel le silence des autorités vaudrait approbation.

Si l’objectif est de recréer une forme de « certitude fiscale », il convient de nuancer l’importance de telles lettres, ces dernières n’étant pas légalement contraignantes et donc ne permettant pas de pouvoir aller devant les juges lorsque l’administration fiscale ne suit pas ce qui a été négocié. Malgré tout, même si les « information letters » n’ont pas le même impact que les rulings, elles pourraient toujours favoriser des constructions fiscales agressives.

2015 : les « SwissLeaks ».

Le 8 février 2015, l’ICJI révèle au sein d’une nouvelle enquête que la filiale suisse de la banque HSBC propose un puissant système d’évasion fiscale par le biais de sociétés-écrans basées au Panama et aux îles Vierges britanniques, à des clients fortunés, en mettant en avant le secret bancaire.

100 milliards de dollars appartenant à 106 000 clients de 203 pays sont concernés par ces « SwissLeaks ». Des milliers de noms de clients ayant un compte à la HSBC sont publiés incluant de nombreuses personnalités françaises.

Des retombées législatives…

Les conséquences de cette affaire sont d’abord législatives puisque l’article 223 quinquies est introduit dans le Code général des impôts (CGI) le 01 janvier 2016 et impose une déclaration pays par pays des résultats économiques, comptables et fiscaux par certaines entreprises afin de lutter contre l’optimisation et la fraude fiscale.

L’introduction de cette nouvelle obligation déclarative s’inscrit dans le projet international de lutte contre l’érosion des bases de l’impôt sur les sociétés et les transferts de bénéfices. Elle constitue la transposition en droit interne de la recommandation de l’OCDE sur le « reporting » pays par pays, prévu par le plan BEPS et repris dans la directive DAC4 au niveau de l’Union européenne (directive 2011/16/UE modifiée par la directive 2016/881/UE du 25 mai 2016).

Les informations contenues dans cette déclaration déposée par chaque groupe sont transmises aux États partenaires aux échanges ayant au moins une entité sur leur territoire.

Sont concernées les multinationales ayant des comptes consolidés et un chiffre d’affaires dépassant les 750 millions.

…Mais également pénales.

Mais les conséquences des « SwissLeaks » sont surtout judiciaires : les 2 956 contribuables français cités dans les listings HSBC sont interrogés par la gendarmerie et le Parquet National Financier (PNF) requiert le renvoi de la banque devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir aidé des clients français à frauder le fisc et notamment pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale » et « démarchage illicite ».

Après plusieurs mois de batailles judiciaires et de négociations, une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), la première depuis sa création par la loi anticorruption du 9 décembre 2016, dite Sapin II, est signée le 30 octobre 2017 entre la filiale suisse d’HSBC et le PNF. Cette convention oblige la banque à s’acquitter de 300 millions d’euros afin d’éviter un procès mais également à reconnaître l’existence des faits de blanchiment de fraude fiscale : il s’agit de la plus importante amende pénale prononcée par la justice en France.

L’ancien directeur général de la banque est lui toujours poursuivi pour des faits de complicité de blanchiment de fraude fiscale et de démarchage illicite de résidents français.

Pour éviter un procès, il accepte la peine de 500 000 euros d’amende et 1 an de prison avec sursis proposée par le PNF dans le cadre d’une « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » (CRPC).

Un tournant répressif : la première condamnation pour un avocat fiscaliste.

Ne s’arrêtant pas là, le PNF décide d’engager des poursuites pour fraude fiscale contre plusieurs personnes apparaissant dans les listings. Arlette Ricci, petite fille de Nina Ricci et son avocat Me Henri-Nicolas Fleurance sont condamnés en première instance, l’une pour fraude fiscale, l’autre pour complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité.

La cour d’appel de Paris supprime la peine de prison ferme prononcée par les premiers juges à Arlette Ricci mais lui confisque ses deux propriétés, évaluées à 4 millions d’euros.

La cour confirme également la condamnation de son avocat mais allège sa peine : il voit sa peine de prison avec surpris supprimée au profit d’une amende de 20 000 euros.

Grâce à cette affaire, l’administration française rectifie pour 243 millions d’euros, sachant que 822 personnes physiques et 751 personnes morales sont impliquées.

Ces « SwissLeaks » illustrent le tournant répressif qui est pris dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale : les juges n’hésitent plus en première instance à condamner les fraudeurs et leur conseil à de la prison ferme et bientôt, comme l’illustrera l’affaire Cahuzac, les juges de la Cour d’appel confirmeront ces peines de prison ferme.

2016 : les « Panama Papers » et les « Bahamas Leaks ».

Le 3 avril 2016, la plus grosse fuite de documents jamais traitée est révélée par l’ICJI. Les « Panama Papers », sont un ensemble de 11,5 millions de documents qui révèlent qu’entre 1970 et 2016, le cabinet d’avocats panaméen « Mossack Fonseca », spécialisé dans la création de sociétés-écrans, a conseillé des clients impliqués dans des affaires de corruption, vente d’arme, fraude fiscale, d’escroquerie financière ou de trafic de drogue. Les informations sur plus de 214 000 sociétés offshores ainsi que les noms des actionnaires de ces sociétés sont rendus publics : des dirigeants de premier plan sont cités.

Plusieurs banques sont également impliquées en tant qu’intermédiaires pour de puissants clients cherchant à placer leurs actifs en dehors du territoire national. Des schémas sophistiqués sont utilisés en s’appuyant sur des sociétés écrans domiciliées dans des Etats non coopératifs ou à fiscalité privilégiée comme les îles vierges britanniques, les Bahamas, les Seychelles, Niué, les îles Samoa, Anguilla, le Nevada, Hong kong, Belize, Chypre, l’Uruguay, la Nouvelle-Zélande, Jersey, le Costa Rica, le Wyoming, l’île de Malte ou l’île de Man.

A la suite de ce coup de projecteur opéré sur ces pratiques et lieux, le 22 septembre 2016, 1,3 millions de fichiers, listant l’ensemble des sociétés offshore enregistrées aux Bahamas entre 1990 et 2016 sont rendus publics par l’ICJIJ au sein de ce qui est appelé « Bahamas Leaks ».

Deux affaires aux retombées colossales.

Les « Panama Papers », bien plus que les « Bahamas Leaks » ont eu des conséquences multiples puisque des centaines d’enquêtes sont lancées partout dans le monde, le PNF participant de cet élan en ouvrant une enquête pour « blanchiment de fraudes fiscales aggravées » et dédiant une dizaine de personnes à poursuivre 500 suspects.

Plus de 560 contrôles fiscaux sont lancés fin 2016 et de très nombreuses demandes de régularisation des exilés fiscaux français sont traités par la cellule de dégrisement du ministère des Finances obligeant ce dernier à augmenter ses effectifs. En cinq ans, le fisc français, récupère 126 millions d’euros d’impôts et de pénalités en menant à bien 50 redressements tandis que de nombreux autres sont toujours en cours.

Cependant, des rapports pointent du doigt la coopération défaillante des îles Vierges britanniques : sur 196 demandes auprès de cet Etat, « 176 sont demeurées sans réponse ».

Office du PNF et tolérance zéro pour la fraude fiscale.

Aujourd’hui encore, les magistrats du PNF continuent de travailler sur quatorze dossiers parmi la trentaine d’enquêtes judiciaires qui avaient été ouvertes. Cinq affaires se sont déjà soldées par un « plaider-coupable » rapportant 3,47 millions d’euros d’amendes pénales, assorties de peines de prison allant de trois mois à un an avec sursis. Parmi les condamnés, l’industriel Gérard Autajon est la première personne figurant dans les « Panama Papers » condamnée pour fraude fiscale : un an de prison avec sursis et deux millions d’euros d’amende en juillet 2017.

Cette affaire a un tel retentissement que dans le monde entier le discours politique fait preuve de tolérance zéro à l’égard de l’évasion fiscale et du blanchiment d’argent sale, faisant ainsi évoluer la législation.

- Le Panama signe une convention internationale contre la fraude fiscale, et est réintégré par la France dans sa « liste noire » des Etats non coopératifs.
- La directive européenne 2016/2258 relative à la lutte contre le blanchiment est prise. Suite à sa transposition en France, l’article L 88 est inséré dans le Livre des Procédures Fiscales et le registre des bénéficiaires réels des personnes morales est mis en place.
- L’échange automatique de données bancaires sur les comptes nouvellement ouverts par des particuliers, mais aussi sur le stock de comptes offshores est déployé en 2017. En 2019, 97 pays s’échangent des renseignements sur 84 millions de comptes totalisant 10 000 milliards d’euros.
- Le statut du lanceur d’alerte est créé.

En somme, les paradis fiscaux traditionnels comme le Panama ou les îles Caïmans se voient contraints par la pression internationale à renoncer progressivement à leurs pratiques les plus dommageables, mais d’autres centres offshores prennent le relais, à l’image des Emirats arabes unis, de Singapour ou de Hongkong.

2016 ter : les « Football Leaks ».

Le 2 décembre 2016, moins de 3 mois après les révélations des « Bahamas Leaks », un autre consortium nommé le réseau European Investigative Collaborations (EIC) divulgue la fuite de 18,6 millions de documents (notamment des contrats), relatifs aux montages financiers de certaines stars du football pour échapper au fisc. Au sein de ces « Football Leaks » qui seront en deux volets, la seconde partie paraissant 2 ans plus tard, il est question d’un puissant système d’évasion fiscale fonctionnant avec des sociétés-écrans et des comptes offshores, permettant à de nombreux footballeurs parmi lesquels Cristiano Ronaldo, José Mouringho, Radamel Falcao, Pepe et Mesut Ozil de dissimuler une importante partie de leurs revenus.

2017 : les « Malta Files ».

Le 20 mai 2017, le même réseau EIC publie des milliers de données provenant d’un cabinet fiduciaire de l’île de Malte, « Credence », ainsi que du Registre des Commerces et des Sociétés (RCS). On y apprend que 53 247 sociétés sont enregistrées au RCS et 2 milliards d’euros échapperaient ainsi chaque année aux autres pays de l’UE en raison des capitaux placés dans l’île : les « Malta Files » naissent.

En effet, même si l’impôt sur les sociétés maltaises est à 35%, il est possible de se faire rembourser les 6/7e de l’impôt dû au fisc maltais sur les dividendes versés lorsque la société est détenue par des investisseurs étrangers, faisant ainsi tomber cet impôt au taux de 5%. De même, une importante économie de TVA est possible lors de l’achat en leasing d’un yacht par une société immatriculée à Malte (5,4% au lieu de 18%).

Quelles sont les retombées de telles révélations ?

Ces dispositifs étant a priori légaux, aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour.

Malgré la pression des autres pays, l’île de Malte qui s’est engagée à augmenter le taux d’imposition réel des entreprises gérées par des étrangers n’a encore à ce jour rien fait : au moment de son intégration dans l’Union Européenne, la législation fiscale maltaise sur les dividendes était déjà en place, rendant plus difficile toute demande de modification.

La demande d’information adressée par le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires en octobre 2017 concernant une éventuelle mauvaise transposition dans le droit maltais de la directive européenne sur la TVA par rapport au taux de cette dernière sur les Yacht n’a pas eu plus d’effet.

2017 bis : les « Paradise Papers ».

Le 5 novembre de la même année, l’ICIJ et 95 médias partenaires révèlent et décryptent la fuite de 13,5 millions de documents issus de deux cabinets d’avocats. L’exploitation de ces données confirment les techniques d’optimisation fiscale offertes par Malte et la présence de multinationales et grandes fortunes mondiales au sein des paradis fiscaux. Ces « Paradise Papers » mettent l’accent sur l’existence d’un système similaire à la TVA maltaise pour les yachts sur l’île de Man, mais cette fois-ci pour les jets privés.

Des réponses majoritairement politiques.

Ces nouvelles révélations entrainent le début de très longues enquêtes fiscales et judiciaires partout dans le monde. L’île de Man est également visée par une enquête mais aussi par des demandes d’informations de la commission européenne tandis que l’OCDE, annonce qu’elle va examiner l’ensemble des schémas révélés par les « Paradise Papers » afin de savoir s’il convient de renforcer les règles anti-abus du plan « BEPS ».

En France, le gouvernement réaffirme sa volonté de poursuivre toute infraction aux règles fiscales constatée dans les « Paradise Papers » et se dit même favorable au renforcement des sanctions en évoquant l’idée d’une déchéance automatique des droits civiques de tous les fraudeurs.

Face aux implications de dirigeants dans les multiples révélations de la décennie, ces deux annonces du gouvernement démontrent de la tendance de fonds au renfort de la lutte contre la fraude fiscale et tendent à conférer un caractère particulièrement grave à cette infraction. L’automaticité d’une déchéance des droits civiques aurait pour objectif d’ériger de nouveau en principe, l’exemplarité des dirigeants au risque pour ces derniers de ne plus pouvoir exercer de fonctions politiques. A l’heure actuelle aucun projet de loi en ce sens n’a été déposé.

Cependant, si Gérald Darmanin, salue « l’action des journalistes qui ont su faire ce devoir d’alerte » et a fait savoir que les « entreprises françaises » et les « contribuables français » cités par la presse feraient l’objet de « contrôles » et de « poursuites » en cas de fraude fiscale avérée, on ne peut que constater le délaissement de la question de l’optimisation fiscale légale.

Cette fuite de documents aura donné moins de suites judiciaires, puisque portant sur des mécanismes légaux d’optimisation fiscale plus que sur de la fraude fiscale. Après deux ans d’enquête, 187 dossiers contrôlés et 58 contrôles fiscaux externes réalisés, 11 millions de droits et pénalités sont recouvrés.

Une prise de conscience européenne.

Le 7 novembre 2017, le sujet du projet de « liste noire des paradis fiscaux » est inscrit, à la demande de la France, à l’agenda par les ministres de l’Union Européenne (UE), réunis à Bruxelles lors d’un Conseil pour les affaires économiques et financières (Ecofin). La première liste noire de l’UE est établie le 5 décembre 2017. Révisée chaque année, elle est mise à jour deux fois par an depuis 2020 sur la base d’un état des lieux des pays prenant en compte de nombreux critères. La dernière révision a eu lieu en octobre 2021 et la prochaine révision est prévue pour février 2022. Les sanctions à l’encontre des pays "blacklistés" peuvent inclure le gel de fonds européens.

En avril 2018, la Commission européenne annonce engager une procédure d’infraction contre la Grèce, Chypre et Malte, les deux premiers États ayant mis en place des dispositions similaires au système de TVA maltais sur les yachts.

Deux directives européennes sont prises en réaction à ces différentes affaires :
- Le 25 mai 2018, la directive 2018/822 nommée « DAC6 » et relative au dispositif de planification fiscale agressive. Elle vise à imposer la déclaration aux autorités fiscales des opérations internationales potentiellement agressives d’un point de vue fiscal par rapport à des marqueurs présents dans la directive.
- Le 30 mai 2018, la directive 2018/843 révisant la 4e directive anti-blanchiment (dite « 5e directive anti-blanchiment »). Elle vise à toujours plus de transparence et de coopération, en rendant public l’accès au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés et en mettant en place une interconnexion des registres des Etats membres.

2018 : les « Dubaï Papers ».

Le 5 septembre 2018, les « Dubaï Papers » incarnés par 200 000 fichiers, mémos et courriels, paraissent. Ces documents indiquent l’existence d’un réseau international d’évasion fiscale, de blanchiment de capitaux et de fraude fiscale par le biais du groupe « Hélin », basé aux Emirats arabes unis et dirigé par un prince belge déjà poursuivi par la justice : Henri de Croÿ.

Des dizaines de millions d’euros sont brassés chaque année par ce système en place depuis plus de 20 ans. Afin de parvenir à un tel résultat, l’argent des clients circulent sur des comptes communs au groupe Helin afin d’en blanchir l’origine pour ensuite le remettre à disposition du client de plusieurs manières : fausses factures émises par des sociétés écrans, faux prêts, mises à disposition d’argent liquide ou de cartes de retrait ouvertes sous l’identité de personnes n’étant pas les bénéficiaires. Afin de s’assurer l’anonymat le plus total, l’utilisation de pseudonymes et de prête-noms est généralisée pour effectuer certaines opérations et communiquer.

Une enquête qui porte ses fruits.

Face à un système de fraude aussi perfectionné, le PNF ouvre le 22 février 2019, une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Le 7 septembre 2021, deux dirigeants d’entreprise sont condamnés par le biais d’une CRPC à neufs mois de prison avec sursis et 80 000 euros d’amende pour avoir défiscalisé via le groupe Hélin, 1,5 million d’euros. Ils régularisent également leur situation auprès de l’administration fiscale en réglant 1,2 millions d’euros d’arriérés d’impôts et de pénalités.

Puis, le 12 octobre 2021, une héritière d’un compte suisse étant passé par le système Hélin pour profiter d’un héritage de 21 millions d’euros, accepte la peine proposée par le PNF et est condamnée, par CRPC, à deux ans de prison avec sursis et 1,75 million d’euros d’amende pour blanchiment de fraude fiscale. Il s’agit de l’une des plus importantes amendes homologuées lors d’une CRPC. Comme pour les deux chefs d’entreprises précédemment condamnés, elle régularise sa situation auprès de l’administration fiscale en payant ici 8,6 millions d’euros.

D’autres condamnation de clients du groupe Hélin devraient vraisemblablement avoir lieu dans les prochains mois, les enquêtes étant en cours.

2021 : « OpenLux ».

Après la publication de l’enquête « FinCEN Files » du ICIJ publiée le 20 septembre 2020 mais concernant majoritairement les Etats-Unis, une nouvelle enquête journalistique paraît et ses résultats ébranlent une fois de plus le Grand-Duché.

Cette enquête est basée sur l’exploitation de documents récemment rendus publics par le Luxembourg, à la suite de la mise en place du registre des bénéficiaires effectifs, conformément à la directive européenne 2018/843/UE. Seulement un tiers environ des comptes des sociétés ont ainsi pu être récupérés, le plus souvent parce qu’ils ne sont pas publiés, et seulement la moitié des bénéficiaires des sociétés ont pu être identifiés et ce malgré la tenue de ce nouveau registre.

Quelles sont les révélations de cette nouvelle enquête sur le Luxembourg ?

« Open Lux » nous apprends que plus de 6 500 milliards d’euros, soit 85% du total des actifs des sociétés luxembourgeoises, dorment dans des sociétés offshores au Luxembourg et que presque 9 sociétés sur 10 domiciliées au Luxembourg sont dirigées par des étrangers. La grande majorité de ces sociétés seraient des holdings financières sans activité économique réelle. Ainsi, bon nombre d’entre elles ne sont donc que de simples boites aux lettres : sur 40 adresses on peut retrouver plus de 25 000 sociétés.

Parmi les propriétaires identifiés, 15 000 Français dirigent une société pour plus de 4% du PIB français (100 milliards d’euros d’actifs au sein de ces structures).

Pourquoi choisir le Luxembourg pour y domicilier une société ?

Plus de 266 des 2 000 milliardaires mondiaux et 37 des 50 familles françaises les plus fortunées figurent dans cette enquête car structurant leurs groupes et patrimoines à travers des holdings au Luxembourg. Ce choix s’explique par certains dispositifs fiscaux particulièrement avantageux : il n’existe ainsi aucune taxation en cas de revente de participation logée dans une holding luxembourgeoise.

Un second dispositif attire l’attention des investisseurs : les profits issus des investissements ne sont pas soumis à l’impôt tant qu’ils restent au Luxembourg et peuvent donc être réinvestis depuis le Luxembourg sans taxation supplémentaire. L’enquête démontre ainsi que rien que pour les bénéficiaires français, plus de 15 milliards d’euros de profits jamais distribuées aux actionnaires y seraient accumulés, permettant ainsi d’éviter la « flat tax » française à 30%.

Comment se fait-il qu’après les « LuxLeaks » le Luxembourg soit encore sujet à des découvertes ?

Pascal Saint-Amans, directeur fiscal de l’OCDE), explique ces révélations par le fait que le Premier Ministre Xavier Bettel et le ministre des Finances Pierre Gramegna,

« ont appliqué toutes les règles internationales, mais qu’il demeure un héritage de l’époque précédente. De surcroît, la régulation de l’optimisation fiscale des personnes physiques n’a pas encore été menée par la communauté internationale, à l’inverse de celle des personnes morales ».

Des conséquences pénales ?

Un montage Luxembourgeois n’est pas un mal en soit puisque les montages restent légaux tant qu’ils n’ont pas pour finalité principale d’optimiser l’impôt. Le fisc doit ainsi prouver que la société luxembourgeoise est un écran entre une entreprise française et son propriétaire, sans activité économique réelle, visant à profiter principalement d’un avantage fiscal. Mais la preuve de cet abus de droit est très difficile à rapporter ce qui explique pour l’instant l’absence de suite pénale.

Mais alors même que le déménagement de son siège social et l’optimisation fiscale restent des démarches parfaitement légales, est-il juste qu’une entreprise cherche à minimiser son impôt par le biais de failles ou mécanismes juridiques, en ne participant pas à l’effort collectif, a fortiori lorsque beaucoup d’entre-elles ont pu bénéficier d’aides publiques pour surmonter la crise sanitaire.

De telles découvertes sont-elles possibles pour d’autres pays ?

L’exploitation des registres de bénéficiaires effectifs mis en place par la directive européenne promet de dévoiler de multiples surprises. Cependant de nombreux autres pays d’Europe comme Malte, Chypre ou les Pays-Bas, ont profité de failles de la directive pour imposer des restrictions à la consultation de leurs registres de bénéficiaires effectifs empêchant pour l’heure des révélations similaires à celles d’ « OpenLux ». Mais il est raisonnable de penser que tôt ou tard l’OCDE ou la commission européenne lanceront une procédure contre ces pays afin de permettre un jour l’interconnexion des registres nationaux qui permettrait à chaque pays de vérifier la cohérence des déclarations faites par ses ressortissants à l’étranger.

Malgré ces avancées dans la transparence financière, plusieurs failles ont été découvertes et vont nécessiter un travail de réflexion afin d’y remédier. En effet, la fiabilité des registres n’est pour l’heure pas garantie en l’absence de mesures contraignantes ou de vérifications opérées par l’administration fiscale luxembourgeoise : la moitié des sociétés, fonds et fondations immatriculés au Luxembourg n’ont pas de véritable bénéficiaire identifiable à ce jour sans compter les centaines de prête-noms utilisés pour dissimuler l’identité réelle des bénéficiaires effectifs.

2021 bis : « Pandora Papers ».

Le 3 octobre dernier, la plus grosse fuite de données de l’histoire, à ce jour, paraît : plus de 12 millions de pages de documents secrets sont rendus publics. 600 journalistes de l’ICIJ épluchent courriels, contrats et titres de propriétés pour le compte de 150 médias et révèlent dans ces « Pandora Papers » l’implication de 35 chefs d’Etat, 130 milliardaires, 300 responsables publics, un ancien président du Fonds monétaire international et plus de 600 français.

Cette fuite anonyme provenant de 14 cabinets d’avocats spécialisés dans la création de sociétés offshores nous informe que 9 400 milliards d’euros seraient ainsi dissimulés au sein des 29 000 sociétés découvertes. Le nombre de propriétaires d’actifs offshores révélés par l’enquête est deux fois plus élevé que celui des « Panama Papers ». Le plus grand cabinet d’avocats des États-Unis, Baker McKenzie, se révèle avoir aussi contribué à la création de ces structures.

Autre découverte, des centaines de millions de dollars ont quitté les paradis fiscaux d’Europe et des Caraïbes pour le Dakota du Sud, bien plus opaque en matière d’échange automatique de renseignements et pratiquant une coopération plus que très limitée.

L’ONG « Tax Justice Network » qui publie une liste des paradis fiscaux classés par attractivité tous les deux ans, a d’ailleurs placé en 2020 les Etats-Unis en tête du classement.

Des conséquences à ces révélations ?

En France, deux jours après la publication de l’enquête, Bercy annonce par l’intermédiaire du ministre de l’économie, se disant « choqué par ces pandora Papers », avoir lancé des vérifications concernant la présence ou non de résidents fiscaux français au sein de « schémas d’optimisation abusifs ».

C’est donc la Direction générale des finances publiques qui est chargée d’enquêter, d’exploiter et d’analyser chaque information rendue publique et de déterminer parmi les 600 français qui est résident français et parmi ces derniers qui est en infraction par rapport à la législation fiscale.

Rappelons que si la détention d’une société offshore n’est pas illégale, d’après les articles 1649 A et suivants du Code Général des Impôts, il est obligatoire de déclarer tout compte ouvert, détenu, utilisé ou clos à l’étranger. Les sommes transférées à l’étranger ou en provenance de l’étranger par l’intermédiaire de comptes non déclarés constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables.

Directeur de la DGFIP, Jérôme Fournel a expliqué qu’à l’instar des offshores leaks, l’administration fiscale se servira de la base de données fournies par l’ICIJ lorsqu’elle sera mise à jour et en libre accès. Cependant il ajoute que comme pour les « Panama Papers » pour lesquels, cinq ans après, certains dossiers sont toujours en cours, les enquêtes seront longues et il faudra trouver des éléments comptables, fiscaux et refaire l’intégralité du parcours.

Le PNF, ayant actuellement 601 procédures en cours, explique quant à lui être « en train de prendre connaissance des révélations dites Pandora papers ».

En quoi cette enquête est-elle différente des précédentes ?

Cette enquête diffère des précédentes en ce qu’elle ne révèle pas uniquement des sociétés offshores et des propriétaires célèbres mais elle détaille également l’univers du conseil qui entoure ces créations de sociétés. Conseillers, avocats, comptables, banquiers, notaires et agents immobiliers sont les têtes pensantes indispensables et onéreuses à l’origine de sociétés-écrans, de bureaux de gestion de patrimoine, de comptes à l’étranger et de fiducies élaborant des systèmes toujours plus sophistiqués pour diminuer l’impôt de politiques, milliardaires, criminels et oligarques.

Cette enquête questionne notre rapport à la morale en nous rappelant que sans le concours de ces professionnels spécialistes de ces questions, il serait beaucoup plus difficile voire impossible pour leurs clients, de faire de l’optimisation fiscale ou de l’évasion fiscale.

L’administration fiscale est-elle armée pour lutter contre les comportements révélés par ces publications ?

Crée à la suite du scandale Cahuzac, le PNF, chargé de la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière est un maillon essentiel de cette lutte.

Depuis sa création, le montant total des amendes, condamnations et confiscations prononcées s’élève à 9,9 milliards d’euros. Rien qu’en 2020, 57 personnes, ont été condamnées dont 24 à une peine d’emprisonnement ferme (soit environ 45% des personnes physiques condamnées). 30 personnes ont été soumises à une interdiction professionnelle.

Ces chiffres qui démontrent une fois de plus le tournant pénal que prend la lutte contre la fraude fiscale depuis la fin du verrou de Bercy sont dus en parti à deux outils qui ont su démontrer leur efficacité : la CRPC et la CJIP.

Instituée par la loi anticorruption du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui n’est pas susceptible de recours, permet d’obtenir la réparation d’un préjudice, moyennant une simple reconnaissance des faits de la part de l’entreprise soupçonnée, sur proposition du procureur de la République financier.

Proportionnée aux avantages retirés des manquements sans toutefois pouvoir dépasser 30% de la moyenne du chiffre d’affaires des trois dernières années, les 9 CJIP signées par le PNF ont permis le recouvrement d’un montant de 3 068 359 632 euros en 4 ans.

Cette procédure simplifiée et publique est efficace car elle permet à une entreprise poursuivie pour corruption ou blanchiment de fraude fiscale de négocier une amende sans aller jusqu’au procès ou plaider coupable. Cette amende doit contenir une restitution des profits et des pénalités mais également des dommages et intérêts pour l’administration fiscale, pouvant très rapidement faire grimper le montant de cette amende pénale.

Plus ancienne, la procédure de comparution préalable sur reconnaissance de culpabilité (CRPC) est un mode alternatif de réponse pénale qui permet à une personne physique qui reconnaît sa culpabilité de négocier la peine dans le bureau du procureur de la République. Proposée ou validée par le procureur c’est une procédure qui permet de gagner du temps et d’éviter le long procès pénal tant pour le juge que pour le contribuable. D’après la synthèse 2020 du PNF, 5 CRPC ont été conclues, pour un total de 1 985 800 euros d’amende et des peines de prison allant de 6 mois à 3 ans avec sursis.

Ces deux procédures permettent d’optimiser la gestion du temps de la justice et d’assurer un rendement financier, d’où la montée en puissance de leur utilisation par le PNF, ce que l’on a pu observer dans le cadre des différentes affaires qui ont découlé des révélations journalistiques de ces dernières années.

La privation automatique des droits civiques ayant été évoquée par le ministre de l’intérieur il y a quelques mois, il est probable que parmi les possibles évolutions du droit pénal fiscal, on puisse constater un futur renforcement de la diversité des peines. En effet, le 12 janvier 2021, l’arrêt L.B. c. Hongrie de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que la publication des données personnelles des contribuables, qui ne respectent pas leurs obligations fiscales, ne contrevient pas d’une manière disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale. Cette ouverture au « name and shame » laisse le champ libre au législateur qui pourrait être tenté d’adopter ce type de sanction pour les personnes physiques, déjà très utilisée dans le monde anglo-saxon.

Au sortir de cette année lourde en révélations, que retirer de cette décennie de transparence forcée ?

Alors qu’un rapport d’enquête de Deloitte sur la préparation à la lutte contre le blanchiment d’argent, publié en 2020, estime que « le montant total d’argent blanchi chaque année serait l’équivalent de 2 à 5% du PIB mondial, soit entre 800 milliards et 2 billions de dollars américains » il est important de noter que les politiques se sont emparés des questions de transparence et de lutte contre la fraude fiscale.

A cet effet, le travail de l’OCDE avec le Projet (BEPS) est à souligner puisqu’il a poussé la commission européenne à prendre plusieurs directives successives qui ont eu pour but d’améliorer la coopération administrative comme cela a été évoqué tout au long de cet article.

Ces directives européennes démontrent la volonté assumée de combattre l’érosion des bases d’imposition et de rendre contraignantes les décisions de l’OCDE en les transposant dans le droit de l’Union Européenne. C’est grâce à ces textes que les bases de données sur les bénéficiaires effectifs ont pu voir le jour, permettant de lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent et d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les impacts sociaux de l’anonymat des entreprises.

Comme le dit Marc Tassé, professeur à l’université d’Ottawa,

« Si cette tendance se poursuit, on peut espérer que le nombre toujours croissant de gouvernements qui instaurent des initiatives en matière de propriété effective et de transparence fiscale obligera les paradis extraterritoriaux restants, comme les Bermudes, les îles Caïmans et Malte, à suivre le pas pour éviter d’être exclus du système financier mondial ».

Indicateur du progrès fait en matière de lutte contre la fraude fiscale, le rapport 2019 sur la mise en œuvre de l’échange automatique de renseignements estime qu’en 2018, des informations relatives à 47 millions de comptes financiers ont été échangées pour une valeur totale d’environ 4 900 milliards d’euros et que la communauté internationale a pu récupérer plus de 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires (impôts, intérêts, pénalités) grâce à des mécanismes de conformité volontaire et d’autres enquêtes offshores.

Cependant, la convention multilatérale ou instrument multilatéral (IM) qui a vocation à assurer la mise en œuvre des mesures résultant des travaux BEPS nécessite une loi de ratification prise par chaque pays partie et si la France a déposé son instrument de ratification le 26 septembre 2018, il reste encore aujourd’hui des dizaines de pays qui n’ont pas déposé le leur. De plus, les États signataires ont la possibilité d’émettre des réserves, il est donc possible de se retrouver avec une application tronquée de la convention par chaque pays.

La fiscalité n’étant harmonisée ni au niveau mondial ni au niveau européen, chaque évolution en cette matière prend du temps et nécessite une réelle volonté politique. Les Etats doivent intégrer dans leur droit national toute nouvelle décision et affronter les réticences des acteurs de cette économie, parfois même jusqu’au plus haut sommet de l’Etat.

En plus des avancées législatives conséquentes, à la fois en matière de coopération et de transparence entre pays et à la fois dans la répression des comportements illégaux grâce à la montée en puissance de nos administrations, nous retirons de cette décennie de révélations une bien plus grande connaissance des techniques et systèmes mis en place pour optimiser ou dissimuler ses revenus ce qui permet de pouvoir les combattre plus efficacement.

Ainsi les dernières enquêtes des différents consortiums de journalistes ont mis en valeur la présence quasi systématique dans les montages fiscaux, de sociétés-écrans, domiciliées dans des « juridictions fiscales non coopératives », accordant des avantages fiscaux substantiels, en échange de frais versés annuellement. Ces sociétés sont parfois couplées à l’utilisation d’un prête-nom ou de la répartition de leur capital en « actions au porteur » ne permettant pas d’identifier les détenteurs de manière à dissimuler l’identité du bénéficiaire effectif.

Concernant les sanctions prononcées lors de cette décennie, une tendance au renforcement de ces dernières est observée : les amendes sont de plus en plus élevées et les juges n’hésitent plus à prononcer des peines de prison contre les fraudeurs. L’utilisation de modes alternatifs de réponse pénale permet à la justice de gagner en réactivité et de pouvoir réagir plus rapidement aux révélations de ces consortium de journalistes même si les procès prennent encore à ce jour plusieurs années (l’ensemble des affaires initiées à la suite des « Panama Papers » de 2016 ne sont pas toutes terminées). L’effet dissuasif de ces peines combiné aux avancées législatives ainsi qu’au risque réputationnel de voir son nom cité au sein d’articles de presse amène les entreprises et les particuliers à réfléchir à deux fois avant de mettre en place un système d’optimisation fiscale agressive.

S’il est presque certain que d’autres révélations auront lieu à mesure que les paradis fiscaux ouvriront l’accès à leur registre des bénéficiaires effectifs, il est probable que la tendance à la sévérité et à la tolérance zéro en matière fiscale soit poursuivie.

Thomas Gallice Etudiant du Master 2 Fiscalité de l’entreprise (221), Université Paris Dauphine-PSL Diplômé du Master 2 DJCE/Droit de l'entreprise, Université de Caen Normandie