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Précisions sur la régularisation d’un permis de construire en cause d’appel. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : vendredi 3 décembre 2021
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La régularisation d’un permis de construire au bénéfice de l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme est possible au stade de l’appel notamment après avoir censuré le jugement qui avait annulé le permis.

Le principe de sécurité juridique prend une place de plus en plus importante en matière administrative et conduit mécaniquement à revoir le principe de légalité.

La nécessite de construire rapidement et en grand nombre des logements à naturellement conduit les pouvoirs publics à faire du droit de l’urbanisme un véritable laboratoire en matière de contentieux administratif. En effet, un certain nombre de réformes ont été initiées dans le domaine du droit de l’urbanisme avant d’être généralisé ou étendues à d’autres champs du droit.

Le principe de sécurité juridique en matière d’urbanisme opérationnel et donc d’autorisation d’occuper et d’utiliser le sol (permis de construire, d’aménager ou déclaration préalable par exemple) trouve une résonance particulière.

Cela ne date en réalité pas d’hier. En effet, le permis de construire modificatif est une construction jurisprudentielle qui tendait notamment pour ne pas dire principalement à permettre la régularisation de projet immobilier.

Ainsi, par sa désormais célèbre décision SCI la fontaine de Villiers le Conseil d’Etat a considéré que

« lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure les respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; que les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial ».

Ce mouvement a pris une nouvelle dimension à la suite de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme qui a notamment conduit à la création de l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme.

Pour rappel, en application de cet article, dans sa rédaction actuelle, lorsque le juge identifie un ou plusieurs vices de nature à justifier l’annulation d’un permis ou d’une déclaration préalable et qu’il estime dans le même temps que les vices identifiés sont régularisables, il doit permettre la régularisation du projet, sauf à ce que le bénéficiaire de l’autorisation ait indiqué qu’il ne souhaite pas bénéficier d’une mesure de régularisation.

Le vice prononce alors un sursis à statuer et accorde un délai pour régulariser la situation. Si cette régularisation intervient elle doit être discutée dans le cadre de la même instance.

Par deux récentes décisions, le Conseil d’Etat est venu sensiblement renforcer les possibilités de régulariser un permis de construire.

Tout d’abord, par son avis du 2 octobre 2020, le Conseil est revenu sur un principe structurant de la régularisation des permis de construire. La régularisation ne pouvait jusqu’alors être envisagée qu’à la condition qu’elle n’implique pas de porter atteinte à l’économie générale du projet en cause. Les modifications ne devaient donc pas être substantielles.

Désormais, la régularisation est possible, y compris si elle implique de revoir l’économie générale du projet en cause, à la seule limite qu’elle ne conduise pas à changer la nature du projet [1].

En outre, le Conseil a également considéré en mars 2021 que le permis de construire modificatif tendant à la régularisation d’un projet et pris en application de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, pouvait également faire l’objet d’une régularisation. Autrement dit, la régularisation peut également être régularisée [2].

Ces fondements textuels et jurisprudentiels révèlent que tout a été fait pour permettre la régularisation des situations et donc in fine les projets de sortir de terre.

Dans un récent arrêt, la Cour administrative d’appel de Marseille est venue apporter d’importantes précisions en matière de régularisation d’un permis de construire au stade de l’appel [3].

En effet, le jugement par lequel le tribunal prend acte de la régularisation du permis peut naturellement faire l’objet d’un appel ou d’un pourvoi si le projet est situé en zone tendue et c’est a fortiori le cas du jugement ayant prononcé l’annulation du permis de construire.

Si le juge d’appel ne partage pas l’analyse du 1er juge et considère que le ou les moyens ayant fondé l’annulation du permis sont régularisables, il peut faire application de l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme.

Toutefois, la spécificité de l’appel, implique au préalable à tout prononcé d’un éventuel sursis à statuer que le juge s’assure que les éventuels nouveaux moyens soulevés en cause d’appel, dès lors qui sont recevables, ne sont pas eux-mêmes de nature à justifier l’annulation du permis et donc de prendre position sur une éventuelle régularisation à ce titre.

On rappellera utilement ici que la cristallisation du débat contentieux prévue par l’article R611-7-1 du Code de justice administrative trouve à s’appliquer par instance [4].

Autrement dit, le débat a pu être cristallisé devant le tribunal administratif mais devra faire l’objet d’une nouvelle cristallisation devant le juge d’appel.

En cause d’appel, le principe bis repetita trouve donc à s’appliquer, tout doit être envisagé pour une éventuelle régularisation de la situation du côté du juge, s’agissant du requérant, compris comme la personne qui conteste la légalité du projet, il lui appartiendra de soulever, le cas échéant, de nouvelles critiques contre le permis litigieux.

Références : CE, 2 février 2004, SCI la fontaine de Villiers, n° 238315 ; CE, avis, 2 octobre 2020, n°438318 ; CE, 17 mars 2021, n°436073 ; CAA Marseille, 9 mars 2021, n°19MA03691 ; CE, avis, 13 février 2019, n°425568.

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1CE, avis, 2 octobre 2020, n°438318.

[2CE, 17 mars 2021, n°436073.

[3CAA Marseille, 9 mars 2021, n°19MA03691.

[4Voir CE, avis, 13 février 2019, n°425568.