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Bail commercial et fiscalité. Par Nicolas Rozenbaum, Avocat.
Parution : lundi 6 décembre 2021
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Le contrat de bail commercial est susceptible de générer de nombreuses et complexes interrogations en matière fiscale.

Il n’est évidemment pas possible d’être exhaustif en la matière. Le présent article a vocation à traiter des principaux points en la matière.

Pas-de-porte (ou "droit d’entrée")

Le pas-de-porte ou « droit d’entrée » est une somme en capital qui reste définitivement acquise au bailleur et qui est versée, en une ou plusieurs fois, par le locataire lors de son entrée dans les lieux. Cette pratique ancienne est considérée comme licite par la Cour de cassation.

Cette somme est susceptible d’être soumise chez le bailleur à deux régimes fiscaux différents selon sa rédaction (d’où l’importance de bien rédiger cette clause) :
​- soit cette somme est traitée comme un supplément de revenu imposable au même titre que le loyer (avec toutefois une possibilité d’étalement de l’imposition). Corrélativement, cette somme est déductible chez le preneur.
​- soit cette somme est traitée comme la contrepartie de la dépréciation du bien (la bail commercial offrant au locataire un statut très protecteur) ou comme la cession d’un actif professionnel par le bailleur au profit du preneur (par exemple dans l’hypothèse où le locataire reprendrait les locaux dans lesquels le bailleur exerçait auparavant son activité ce qui peut être assimilé à une cession indirecte de fonds de commerce au locataire). Dans cette hypothèse, cette somme n’est pas traitée chez le bailleur comme un revenu ordinaire mais comme une plus-value professionnelle, ce qui permet de bénéficier d’un taux réduit en cas de détention depuis au moins deux ans de l’actif cédé.

Quand le bailleur est une société relevant de l’impôt sur les sociétés, cette distinction entre supplément de loyer et plus-value professionnelle n’a pas d’intérêt puisque dans les deux cas, la somme est traitée comme un bénéfice ordinaire.

En cas d’ambiguïté dans la rédaction de la clause, le juge recherchera la commune intention des parties.

Attention : malgré un traitement fiscal moins intéressant, le bailleur a souvent intérêt à ce que le pas-de-porte soit traité comme un supplément de loyer au lieu d’une plus-value professionnelle. En effet, dans le cadre d’un bail commercial, les révisions de loyers sont sauf exception plafonnées. Ce plafond tenant compte du loyer initial, le bailleur a ainsi intérêt à ce que le pas-de-porte soit considéré comme un supplément de loyer.

Imposition du loyer : revenu foncier ou bénéfices industriels et commerciaux.


Le loyer est imposable au titre des revenus fonciers lorsque le local est loué nu par une personne physique.

En revanche, il est imposable au titre des bénéfices industriels et commerciaux lorsque :
- il est loué garni du mobilier nécessaire à l’exploitation du preneur,
- la location est consentie par une personne morale exerçant une activité industrielle et commerciale qui aura inscrit le local à son actif,
- le montant du loyer dépend du montant des recettes du preneur.

Concrètement, cette différence se manifestera par des modalités déclaratives différentes ainsi que par un régime fiscal différent. Ainsi, lorsque les loyers sont imposés au titre des bénéfices industriels et commerciaux, si le bailleur est une personne physique ou une société soumise à l’impôt sur le revenu, il sera soumis au régime du micro-BIC si les loyers de l’année précédente ou celle d’avant sont inférieurs à 72 600 € (seuil applicable en 2021) ce qui implique qu’un abattement de 50 % pourra être appliqué (sauf s’il opte pour le régime réel). Au-delà de ce seuil, le bailleur sera soumis au régime réel et un amortissement pourra dans ce cas être déduit chaque année.

Loyer et TVA.

​Lorsque le local commercial est loué nu, le loyer sera en principe exonéré de TVA. Le bailleur pourra toutefois opter pour la TVA s’il le souhaite. Attention, dans l’hypothèse où le preneur n’est pas assujetti à la TVA, le contrat de bail commercial devra impérativement faire expressément mention de l’option du bailleur pour la TVA.

​L’intérêt de l’option pour le bailleur est principalement de pouvoir déduire la TVA qui aura grevée ses investissements.

​En revanche, lorsque le local est garni du mobilier nécessaire à l’exploitation, le loyer sera impérativement soumis à la TVA.

Indemnité d’éviction.

​L’indemnité d’éviction est la somme que le bailleur verse au locataire en cas de refus de renouvellement du bail.

​Nous verrons d’abord dans quelles conditions cette indemnité est déductible des revenus du bailleur avant de voir le traitement fiscal chez le preneur.

​1. Déductibilité de l’indemnité d’éviction chez le bailleur.

Selon le cas, l’indemnité d’éviction sera soit déductible des revenus du bailleur, soit traitée comme un élément du prix de revient d’un actif ce qui implique que l’indemnité d’éviction ne sera pas déductible des revenus du bailleur mais pourra être éventuellement prise en compte lors de la cession de l’actif pour le calcul de la plus-value imposable.

​A titre d’exemple, les indemnités d’éviction sont analysées comme un élément du prix de revient d’un actif lorsque le propriétaire souhaite reprendre les locaux afin de les vendre, de les démolir, d’y exercer la même activité professionnelle que celle du locataire sortant ou de les affecter à un usage d’habitation. Elle sera alors prise en compte fiscalement au moment de la cession de l’actif.

A l’inverse, les indemnités d’éviction versées par le propriétaire sont considérées comme des charges immédiatement déductibles lorsque l’objectif du propriétaire est :
- de louer l’immeuble à des conditions plus avantageuses ;
- ou de s’y installer afin d’y exercer une activité génératrice de revenus différente de celle du locataire sortant (car s’il s’agit de la même activité, l’indemnité d’éviction est vue comme le "coût d’acquisition" du fonds de commerce du locataire sortant et donc comme l’acquisition d’un actif).

​Il s’agit d’un domaine très casuistique et la jurisprudence est très nombreuse dans ce domaine.

Un recours à un avocat maîtrisant ce domaine est donc très recommandé.

2. Traitement fiscal chez le preneur.

L’indemnité d’éviction vise principalement à réparer deux types de préjudices : l’un relatif à la perte du droit au bail, l’autre relatif aux frais de réinstallation. La fraction de l’indemnité visant à compenser la perte du droit au bail est imposée comme une plus-value professionnelle (comme si le droit au bail avait été cédé). En pratique, cette plus-value, qui sera généralement égale au montant de l’indemnité d’éviction moins le pas-de-porte, sera taxée à 30 % (en 2021).

​S’agissant de la fraction de l’indemnité visant à compenser les frais de réinstallation, cette dernière est considérée comme un bénéfice ordinaire et taxée comme telle.

Lorsque le preneur est une société soumise à l’impôt sur les sociétés, cette distinction entre les deux types de préjudices n’existe pas. En effet, l’indemnité d’éviction sera toujours considérée comme un bénéfice ordinaire, à savoir taxée à l’impôt sur les sociétés (puisque les plus-values réalisées par les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés sont, sauf exception, taxées comme des bénéfices ordinaires).

Nicolas Rozenbaum, avocat au Barreau de Paris Chargé d'enseignement en fiscalité internationale et gestion de patrimoine www.nr-avocats.com