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Saturation des IME : quelle solution pour les enfants handicapés déscolarisés ? Par Delphine Combes, Avocate.
Parution : mardi 7 décembre 2021
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La situation des enfants handicapés déscolarisés continue d’inquiéter.
Trop souvent, malgré une orientation de la commission des droits de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) vers un institut médico-éducatif (IME), aucun des établissements proposés n’accepte d’accueillir l’enfant, faisant état d’une longue liste d’attente.
Quelle solution leur apporter ?

Lorsqu’ils sont mis à l’écart du système scolaire classique, les familles des enfants handicapés doivent souvent patienter plusieurs années avant qu’une place ne se libère en IME.

Isolées, elles doivent trouver par elle-même les moyens de prendre en charge et éduquer leur enfant, soit en finançant, par leurs propres moyens lorsqu’elles le peuvent, des éducateurs privés, soit en renonçant à travailler pour demeurer auprès de lui à leur domicile.

Le nombre élevé d’enfants sur les listes d’attente, révèle que les moyens mobilisés par l’État sont aujourd’hui largement insuffisants pour permettre à chaque enfant handicapé d’être correctement pris en charge au sein d’un établissement spécialisé.

Les enfants atteints de troubles autistiques sévères se retrouvent particulièrement exclus des dispositifs publics.

Il ressort de l’article L246-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) que

« toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d’une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques ».

Il précise également qu’« adaptée à l’état et à l’âge de la personne, cette prise en charge peut être d’ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social ».

Il s’agit d’une véritable obligation de résultat, c’est-à-dire que l’Etat est légalement tenu de trouver une place à chaque orienté par une CDAPH [1].

Par ailleurs, L111-2 du Code de l’éducation dispose que « tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l’action de sa famille, concourt à son éducation ».

Dans la réalité, les enfants autistes se retrouvent souvent sans prise en charge adaptée.

Leurs familles et eux doivent se contenter de quelques heures hebdomadaires en hôpital de jour et, lorsque cela est possible, de quelques heures de "répit" accordées par les associations locales.

À ce jour, il n’existe pas de procédure juridique rapide permettant d’obtenir pour ces enfants une place en IME, dont la création dépend de la mise en œuvre de politiques publiques sur laquelle le juge administratif ne semble pas souhaiter s’immiscer.

S’il est possible d’obtenir a posteriori des dommages et intérêts en réparation des préjudices causés par la carence de l’Etat [2], cela ne répond pas au besoin concret de prise en charge des familles.

Le Juge des Référés du Tribunal administratif de Grenoble a toutefois récemment apporté une solution innovante à cette problématique dans le cadre d’un recours en référé « mesures utiles » sur le fondement de l’article L521-3 du Code de justice administrative [3].

Cette procédure permet au juge de prononcer, en cas d’urgence, toutes mesures utiles à la condition qu’elle ne fasse pas obstacle à l’exécution d’une décision administrative.

En l’espèce, le Juge des Référés a d’abord rappelé la jurisprudence constante de la juridiction administrative en la matière selon laquelle, dès lors que le juge des référés ne peut ordonner que des mesures immédiates et provisoires, la création de place dans un IME ne relève pas de son office [4].

En revanche, au regard de l’urgence de la situation d’un enfant souffrant de troubles autistiques sévères, il a ensuite enjoint à l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes de prendre toutes les mesures nécessaires pour que cet enfant puisse bénéficier de l’appui à domicile d’un éducateur spécialisé, dans un délai d’un mois.

L’ARS ne s’est pas pourvue en cassation à l’encontre de cette décision, qu’elle a ensuite mis à exécution, permettant à l’enfant d’être pris en charge de façon régulière à hauteur de 22 heures par semaine.

Cette décision ne répond pas encore entièrement au problème, puisque seule une prise en charge en IME permettrait à l’enfant de recevoir les soins et l’éducation dont il a besoin, spécifique à ses troubles, avec l’appui d’une équipe pluridisciplinaire de professionnels spécialisés.

Elle représente néanmoins une première avancée importante dans le combat des familles d’enfants handicapés pour obtenir de l’État qu’il remplisse ses obligations à leur encontre.

Il faut encore espérer que la jurisprudence administrative sur cette question continuera à évoluer de façon constructive pour s’assurer qu’aucun enfant handicapé ne soit à l’avenir privé d’éducation et de soins.

Delphine Combes Barreau de Grenoble Cabinet Novas Avocats Droit public

[1CE, 16 mai 2011, n° 318501.

[2Voir par exemple TA de Paris, 15 juillet 2015, n° 1416876 ou TA de Rennes, 30 juillet 2020, n° 1801259.

[3TA de Grenoble, réf., 9 septembre 2021, n° 2105559.

[4CE, réf., 28 décembre 2020, n° 447411.