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Règlement MiCA : les prémices d’un nouveau paradigme financier européen. Par Sarah Compani, Avocate.
Parution : jeudi 9 décembre 2021
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Les négociations relatives au règlement européen sur les marchés de crypto-actifs, connu sous le nom « MiCA » (l’acronyme anglais), sont l’occasion de dresser le portrait de ces nouveaux actifs et de leur impact au sein de l’Union européenne. Enjeux de souveraineté, d’attractivité et de compétitivité : est-ce le début d’une nouvelle ère pour la zone euro ?

Par sa proposition de règlement sur les marchés de crypto-actifs en date du 24 septembre 2020 (le « Règlement ») la Commission européenne a commencé à façonner la pierre angulaire de l’édifice réglementaire européen en matière de crypto-actifs. Cette proposition s’inscrit dans le cadre d’un train de mesures sur la finance numérique qui constitue le socle réglementaire aux activités et services associés aux crypto-actifs.

Le Règlement se présente comme « propice à l’innovation » et ne vise pas à « entraver l’utilisation de nouvelles technologies ». Il est évident que le territoire géographique qui saura tirer son épingle du jeu en attirant les acteurs stratégiques de cette industrie disposera d’un levier de compétitivité économique incontestable. La preuve en est le foisonnement législatif au niveau mondial (les Etats-Unis en chef de file), ainsi que les réflexions nationales et régionales autour des monnaies numériques de banque centrale (MNBC). Au sortir du Brexit, l’Angleterre prête une attention particulière à ce chantier européen, pour s’en inspirer et en identifier les écueils.

En parallèle, la perspective d’une adoption massive des crypto-actifs par la population européenne soulève des craintes - justifiées - quant à la viabilité du privilège régalien de battre monnaie et du traditionnel monopole bancaire. En outre, l’éventualité de l’usage à titre de moyen de paiement, de jetons de monnaie électronique stabilisés par référence à la valeur d’une monnaie ayant cours légal autre que l’euro, tel que les stablecoins adossés au dollar, viennent, d’une part, directement concurrencer la souveraineté monétaire de la Banque centrale européenne sur son territoire et, d’autre part, fragiliser la stabilité monétaire de l’UE, faute d’emprise sur les risques systémiques auxquels elle donnerait le jour.

Par ailleurs, d’autres parties prenantes atténuent la marge de manœuvre du législateur européen, comme certaines organisations inter-gouvernementales, à l’instar du Groupe d’action financière (GAFI) qui préconise l’extension de la « travel rule » aux transferts de crypto-actifs entre les fournisseurs de services de crypto-actifs, ou bien l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui met en garde contre l’usage des crypto-actifs à des fins d’évasion fiscale.

La schizophrénie qui ressort de textes ayant pour objectif de concilier des enjeux divergents est pleinement mise en exergue sous la lumière de l’ensemble du dispositif législatif en cours d’élaboration.

Ces mesures visent principalement à rassurer les institutions publiques ainsi que les acteurs établis du monde bancaire et financier, comme les mesures de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, des exigences de transparence dans le cadre de transferts de crypto-actifs, l’encadrement des modalités d’acceptation des crypto-actifs comme moyens ou instruments de paiement électronique, les exigences en matière de résilience opérationnelle numérique qui, ensemble, ont pour effet d’introduire des coûts d’entrée extrêmement lourds dans ce secteur.

Il n’est pas certain que le régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie blockchain et les quelques exemptions prévues dans les textes suffisent à compenser les coûts d’entrée administratifs et financiers auxquelles les nouveaux entrants devront faire face, ni à surmonter les difficultés techniques et pratiques à s’y conformer, en raison des spécificités de la technologie sous jacente.

En tout état de cause, le Règlement a néanmoins le bénéfice de remédier en partie à la fragmentation du cadre juridique applicable aux émetteurs de crypto-actifs et aux prestataires de services sur crypto-actifs dans l’Union.

Pour l’heure, si le Conseil et la Commission européenne sont prêts à entrer en négociation sous la forme du traditionnel trilogue, il semblerait que le Parlement européen ait plus de difficulté à faire éclore sa position finalisée. La réunion tripartite n’est ainsi pas attendue avant le début de l’année prochaine, sous présidence française.

Dans ce contexte, le présent article a pour ambition de formuler des observations liminaires, à la fois positives et critiques, sur l’environnement réglementaire qui régira les activités et services sur crypto-actifs. Les négociations institutionnelles étant en cours, ces observations doivent être envisagées comme un outil de contextualisation et permettent une lecture informée du texte final, susceptible d’évolution. Ces observations ne reflètent que l’opinion de l’auteur et ne révèlent en aucun cas le contenu des négociations confidentielles en cours. Enfin, ces observations n’offrent ni une vision ni une compréhension exhaustive de la réglementation étudiée. Elles s’attardent exclusivement sur les points d’enjeux majeurs.

Extraterritorialité du Règlement.

La protection du marché européen par le Règlement passe en premier lieu par un champ d’application territorial extensif, au-delà des frontières de l’Union. En l’état actuel, le Règlement ne s’applique effectivement pas uniquement aux acteurs établis dans l’Union, mais s’étend à toute émission et fourniture de services sur crypto-actifs - dans l’Union -, expression qui revêt de multiples facettes.

C’est le cas, (i) d’abord, lorsque le crypto-actif d’un émetteur étranger est admis aux négociations sur une plate-forme européenne, ou (ii) ensuite, lorsque l’émetteur étranger offre ces crypto-actifs au public européen ou (iii) enfin, si l’émetteur adosse son jeton de monnaie électronique à l’euro ou bien à une autre devise en vue de permettre à des résidents européens d’effectuer des paiements pour l’achat de biens et/ou services.

Enfin, à l’instar des règles traditionnelles en matière financière, la réglementation s’applique aux prestataires de services sur crypto-actifs qui commercialisent ou conduisent certaines activités promotionnelles sur le territoire de l’Union (y compris par Internet).

En somme, et de manière légitime, toute activité étrangère susceptible d’impacter directement le marché européen serait soumise à l’approbation préalable et à la surveillance des autorités européennes.

Champ d’application substantiel inclusif.

Comme le rappelle le Règlement, la technologie et les cas d’usage liés aux crypto-actifs évoluent rapidement. La capacité du Règlement à suivre le rythme de l’innovation passe par un vocabulaire inclusif.

Dans cette perspective, le « crypto-actif » est défini très largement comme une représentation numérique d’une valeur ou de droits pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire (dans cet article, nous utiliserons le terme de « blockchain » dans son acception large, plus connue du public). Contrairement à l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier français, le Règlement ne s’intéresse pas au fait que le crypto-actif ne soit pas émis ou garanti par une banque centrale ou une autorité publique, qu’il n’est pas nécessairement attaché à une monnaie légale ou qu’il ne possède pas le statut juridique d’une monnaie. Ce choix est judicieux dans un contexte où certains États envisagent sérieusement de reconnaître certains crypto-actifs comme ayant cours légal, comme en Amérique Latine.

Par la suite, le Règlement opère une distinction entre crypto-actifs, dans le but de prévoir un régime spécifique pour leurs émetteurs respectifs.

(i) Le « jeton se référant à un ou des actifs » renvoie à un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable (« stablecoin ») en se référant à la valeur de plusieurs monnaies qui ont cours légal (« fiat »), à une ou plusieurs matières premières ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs. Ce serait le cas par exemple d’un crypto-actif adossé sur l’or ;

(ii) Le « jeton de monnaie électronique » représente un type de crypto-actif dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal, comme un stablecoin adossé à l’euro ; et

(iii) Le « jeton utilitaire » constitue un type de crypto-actif destiné à fournir un accès numérique à un bien ou à un service, disponible sur la blockchain, et uniquement accepté par l’émetteur de ce jeton

Période de transition.

La mise en œuvre du Règlement se fera très certainement de manière progressive afin d’éviter toute interruption brutale des activités de la part des acteurs européens. Un délai maximal de 18 mois devrait permettre la transition vers ce nouveau régime.

Dynamique des pouvoirs entre les autorités nationales, l’AEMF, la BCE et l’ABE.

A la lumière des enjeux évoqués en introduction, il est évident que l’Autorité bancaire européenne (ABE), la Banque centrale européenne (BCE) et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) auront un rôle à jouer aux côtés des autorités nationales, tant au stade de l’autorisation que de surveillance de ces nouveaux acteurs.

Si les autorités nationales demeurent les autorités compétentes au premier plan pour apprécier les demandes d’agrément et surveiller les acteurs de l’écosystème, les institutions européennes vont endosser un rôle a minima consultatif et, potentiellement, un pouvoir de veto servant de garde-fou en cas de risque réel pour la stabilité monétaire européenne. Le sujet est extrêmement sensible notamment en ce qui concerne les stablecoins adossés à l’euro et, encore plus, lorsque ces stablecoins sont qualifiés de « significatifs » (principalement en raison des volumes et/ou montants en jeu). Qu’il s’agisse simplement de préciser les standards techniques applicables ou de vérifier la conformité des activités des acteurs autorisés avec le Règlement, une réflexion intense est menée quant à l’articulation des pouvoirs entre les différentes autorités.

A l’heure où certains Etats Membres évoquent leur sortie de la zone euro et avec la disparition de la monnaie en espèce, le contrôle sur ces nouveaux actifs et acteurs devient un outil politique et stratégique non négligeable. Le fait que ces trois institutions soient basées à Paris et que le trilogue se fera sous présidence française va-t-il faire pencher la balance de leur côté ?

Emetteurs de jetons de monnaie électronique et de jeton se référant à un ou des actifs.

Pour l’heure, malgré leur ressemblances, les stablecoins adossés à de la monnaie ne sont pas stricto sensu de la monnaie électronique. À ce titre, leurs détenteurs ne bénéficient que des droits contractuellement convenus avec leur émetteur. Or, ce dernier peut, par exemple, ne pas accorder de droit de remboursement direct ou une créance directe sur lui-même ou sur les actifs de réserve.

Le Règlement pallie la vulnérabilité du consommateur européen à cet égard en octroyant des droits minimaux aux détenteurs de ces jetons (pourvu que le Règlement soit applicable). En particulier, les émetteurs ou revendeurs de stablecoin soumis à la réglementation doivent indiquer de façon bien visible les conditions de leur remboursement, y compris les éventuels frais y afférents (en principe, dans un livre blanc publié avant leur émission ou leur offre dans l’Union). Le Règlement précise que les détenteurs doivent disposer d’une créance leur permettant de demander le remboursement des jetons détenus, à tout moment et à la valeur nominale, dans la monnaie à laquelle se réfèrent ces jetons.

Ce remboursement devra se faire sous de très courts délais.

En outre, afin de minimiser les opportunités d’arbitrage réglementaire, l’émission et l’offre de tels jetons sont réservées aux établissements de crédit, tels que défini dans le règlement (UE) nº 575/2013 du Parlement européen et du Conseil et aux établissements de monnaie électronique agréés en vertu de la directive 2009/110/CE.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater la lourdeur des exigences pour l’émission de tels crypto-actifs voire tout simplement une réticence à les accueillir. Par exemple, les partis plus conservateurs souhaitent interdire les frais de remboursement des jetons de monnaie électronique, ce qui signifierait pour certains acteurs de devoir exercer leur activité à perte. En somme, seules les institutions de crédit et de monnaie électronique déjà établies pourraient réellement proposer ces nouveaux actifs.

Cette vision est justifiée par la volonté de ne pas créer un déséquilibre concurrentiel entre la monnaie électronique traditionnelle et les jetons de monnaie électronique. L’argument est convaincant et légitime mais l’on peine à admettre que l’utilisateur final en bénéficiera, dans la mesure où les acteurs bancaires traditionnels ne seront probablement pas concurrencés par une masse de nouveaux entrants, ce qui est l’objectif originel des cryptos. Cette vision sera-t-elle entérinée dans la version finale du texte ?

De surcroît, certains États aspirent à anticiper la capacité de nuisance à la souveraineté européenne de certains crypto-actifs. Plus précisément, ils proposent de limiter le volume des échanges en stablecoins adossés à une monnaie lorsqu’ils servent au paiement de biens et/ou de services dans l’UE. L’objectif est d’éviter par exemple que des stablecoins en dollar ou en or deviennent les devises de paiement dominantes dans l’UE. Toutefois, la blockchain permet, d’un point de vue technique, à n’importe qui de transférer des jetons, y compris en dehors de la plateforme qui les émet. La traçabilité des transferts en vue de paiement impliquerait une lourdeur administrative colossale car elle suppose une coopération journalière de l’ensemble des commerçants et prestataires de services dans l’UE. En outre, lorsque des portefeuilles privés sont utilisés, il est difficile d’identifier s’il s’agit de résidents européens ou non. Affaire à suivre…

D’un point de vue abstrait, d’autres exigences paraissent plus raisonnables, comme, de manière non exhaustive, les exigences en matière de conservation et notamment, l’obligation de séparer les actifs détenus en propres de ceux du client et l’impossibilité de les grever ou de les donner en garantie, l’obligation d’auditer régulièrement les réserves, de souscrire une politique d’assurance, de respecter un plan d’investissement des réserves très strict afin de maintenir une réserve de liquidité importante, ce qui suppose d’investir dans des actifs non risqués et hautement liquides. En revanche, d’un point de vue pratique, où sont les incitations pour les banques, les assureurs, les experts-comptables à accompagner tous ces nouveaux projets ?

Toutes ces obligations s’accompagnent naturellement d’un régime de responsabilité de l’émetteur et du vendeur ou revendeur de jetons, qui ne peuvent y échapper qu’en démontrant l’intervention d’un événement relevant de la force majeure. Or, la réglementation ne définit pas la force majeure dans ce domaine et ne précise pas si les parties peuvent contractuellement convenir de ses contours dans l’univers de la crypto. Des contentieux en perspective…

Enfin, il est regrettable de constater que certaines « coquilles » du régime français soient toujours présentes, comme le fait que le test de d’honorabilité, d’expertise et de compétence aux fins de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme s’étende aux actionnaires et non aux seuls organes de direction des émetteurs. Il est toutefois probable que le texte final y remédiera.

Autres émetteurs de crypto-actifs.

Tout comme en droit français, les crypto-actifs sont définis au niveau européen, en « creux », car leur qualification suppose qu’ils ne soient pas déjà régis par des dispositions spécifiques, comme les instruments financiers. Si cette logique fonctionne à l’échelle nationale où un régime exclut totalement l’autre (soit un instrument financier, soit non), elle est discutable à l’échelle européenne puisque les États membres disposent de définitions locales non harmonisées. Ainsi, l’émetteur d’un crypto-actifs non financier en France pourrait bien se retrouver à offrir ce qui serait un instrument financier en Italie ou en Autriche. Cependant, un nouveau régime d’harmonisation des marchés d’instruments financiers serait en préparation…

En raison de l’engouement envers les nouveaux actifs numériques dits non fongibles, connus sous l’appellation « NFT » pour « Non Fungible Token » en anglais, il est intéressant de s’interroger sur leur place dans cette nouvelle réglementation. En réalité, il est très probable que les NFTs qui sont uniques et qui ne peuvent être fractionnés ou acceptés comme moyen de paiement, comme de simples points de fidélité, des droits de propriété intellectuelle, des certificats d’authenticité d’un bien physique, soient exclus du champ du Règlement. En revanche, dès lors que ces NFTs revêtent des propriétés d’instruments financiers (comme le droit au versement de dividendes) ou pourraient de facto servir de moyen de paiement ou agir comme des jetons d’utilité donnant accès à des produits ou services, ils tomberaient sous le régime des instruments financiers ou de crypto-actifs réglementés. L’attribution d’un identifiant unique ou leur désignation, description ou appellation en NFT ne suffira pas à les en exclure.

Prestataire de services sur crypto-actifs.

Le régime des prestataires de services sur crypto-actifs est, ici encore, largement inspiré du régime français des prestataires sur actifs numériques (« PSAN »). En effet, le Règlement définit le « prestataire de services sur crypto-actifs » comme toute personne dont l’occupation ou l’activité consiste à fournir un ou plusieurs services sur crypto-actifs à des tiers à titre professionnel. La liste de ces services énumérée par le Règlement s’inspire très largement de la classification française établie par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE[2]. Ces services comprennent notamment (a) la conservation et l’administration de crypto-actifs pour le compte de tiers ; (b) l’exploitation d’une plate-forme de négociation de crypto-actifs ; (c) l’échange de crypto-actifs contre de la monnaie fiat ayant cours légal ; (d) l’échange de crypto-actifs contre d’autres crypto-actifs ; (e) l’exécution d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de tiers ; (f) le placement de crypto-actifs ; (g) la réception et la transmission d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de tiers ; et (h) la fourniture de conseils en crypto-actifs.

Chacune de ces activités se comprend relativement aisément, notamment à la lumière du droit français et de la doctrine, en particulier les notes très instructives de l’Autorité des Marchés Financiers qui a fait un travail remarquable de pédagogie en la matière.

Tout d’abord, la reconnaissance des comptes « omnibus » doit être saluée. Ces comptes permettent de détenir les actifs des clients sur des adresses publiques partagées entre les clients sur la blockchain, pourvu que les actifs soient séparés des actifs du prestataire et que ce dernier tienne un compte interne d’allocation à jour de ces actifs entre les clients.

Ce « détail » technique soutient une réalité pratique d’importance puisque les frais de transactions d’une plate-forme d’échange auraient été astronomiques en l’absence d’un tel dispositif.

En revanche, cette facilité ne se fera pas au détriment des règles de lutte contre le blanchiment puisque tout fournisseur de service sur crypto-actif sera tenu d’identifier l’émetteur et le destinataire effectif de chaque transaction, y compris lorsque les virements ou transferts se font par lots ou depuis des comptes « omnibus ». De nombreuses questions d’interopérabilité des mécanismes d’échange d’information se posent et il n’est pas impossible qu’un standard d’échange d’information international spécifique aux transferts sur blockchain voit le jour dans les années qui viennent, notamment dans le cadre des réflexions en rapport à la mise en œuvre de la travel rule.

Toujours sur le sujet de la lutte contre le blanchiment, force est de constater que les « privacy coins » sont quasi persona non grata puisque les règles de fonctionnement de la plate-forme de négociation de crypto-actifs doit obligatoirement empêcher l’admission à la négociation de crypto-actifs comportant des fonctions d’anonymisation intégrées, à moins que les détenteurs de ces crypto-actifs et leur historique de transactions ne puissent être identifiés par ledit prestataire ou par les autorités compétentes. Il convient néanmoins de distinguer ces actifs de comptes anonymes hors fournisseurs agréés qui, eux, sont bien évidemment autorisés (de toute manière, il serait impossible techniquement d’envisager une autre solution).

Cette possibilité n’empêchera pas la Commission européenne d’établir des listes de sanctions pour exclure certaines adresses privées, à l’instar des listes de sanctions de personnes existantes en matière LCB-FT.

En dernier lieu, il est surprenant de constater que les prestataires de services sur crypto-actifs agréés pour l’exploitation d’une plate-forme de négociation de crypto-actifs doivent procéder au règlement définitif des transactions sur crypto-actifs sur la blockchain à la date même à laquelle ces transactions ont été exécutées sur la plate-forme. Il est très probable que cette disposition soit modifiée pour n’exiger un tel règlement que lors du dépôt et du retrait de ces crypto-actifs sur la plate-forme - l’inverse étant un non sens.

Problématiques pratiques.

La première grande inconnue a trait aux efforts qui seront déployés pour permettre l’exercice de ces activités et assurer l’attractivité de la place européenne en matière de crypto-actifs. De nombreux acteurs sollicitent par exemple un régime fiscal plus adapté, un préalable indispensable à l’établissement d’une activité sur le territoire concerné.

Par ailleurs, les violations des dispositions du Règlement font l’objet de sanctions financières élevées, certaines étant proportionnelles au chiffre d’affaires global généré par l’entreprise ou le groupe. Quid lorsque cet acteur se situe à l’étranger ou ne révèle même pas son identité ?

Enfin, il est regrettable que la reconnaissance des crypto-actifs comme moyens de paiement ne soit pas accompagnée de garanties en matière de vie privée des utilisateurs, en particulier au regard de la grande traçabilité que permet leur technologie sous-jacente.

La finance décentralisée.

L’univers de la finance décentralisée ou « DeFi » a été en grande partie épargné par le Règlement. Le Règlement n’entend pas mettre un frein aux activités des « decentralized autonomous organisations » ou « DAO » dès lors qu’elles ne représentent pas un risque ou un obstacle à la stabilité financière européenne, à l’intégrité des marchés ou à la protection des investisseurs. Toutefois, la réalité est que certaines activités ne pourront tout simplement plus s’effectuer de manière décentralisée (c’est-à-dire sans qu’une société identifiée se présente comme le cocontractant à ces opérations).

Sarah Compani Avocate au barreau de Paris Solicitor of England and Wales