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Sanction des périodes d’activité non déclarées en l’absence d’indemnisation : une règle incompréhensible. Par Charles Edouard Poncet, Avocat.
Parution : jeudi 9 décembre 2021
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Dans son rapport de mai 2021, p.69, le Médiateur de Pôle emploi qualifie d’« incompréhensible » la sanction des périodes d’activité non déclarées en l’absence d’indemnisation, ajoutant que « les périodes non déclarées sanctionnées (PNDS) sont l’un des dispositifs qui suscitent le plus d’incompréhension ».

Ce dispositif doit évoluer.

En effet, le simple oubli de déclarer une activité, alors même qu’aucune indemnisation n’est perçue, peut avoir comme conséquence de priver le salarié de toute indemnisation sur les périodes omises, mais aussi d’encourir la radiation, la privation du revenu de remplacement pour les six à douze mois futurs, sans exclure la possibilité d’une condamnation pénale maximale de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende…

Le nombre de personnes concernées, souvent les plus fragiles, est important. Sur les années 2018 à 2020, il y a eu respectivement 4 785, 4 797, et 5 259 demandeurs d’emplois qui ont saisi les Instance Régionales Paritaires à ce propos, comme mentionné dans le rapport Unedic Bilan des activités IPR 2020 [1]. Et ces chiffres n’indiquent que les inscrits à Pôle emploi qui ont engagé la démarche de recours.

Comme l’Unedic le suggère dans son rapport de l’année précédente, « l’importance de ces chiffres pose inévitablement la question pourquoi y-a-t-il tant de personnes non indemnisées qui ne déclarent pas leur activité ? Que leur a-t-on dit ou pas dit ? »

Dans le rapport précité de mai 2021, le Médiateur écrit :

« Être inscrit comme demandeur d’emploi et travailler ne font pas toujours bon ménage. C’est pourtant le cas de milliers de personnes (…) : les travailleurs précaires, les travailleurs saisonniers, les assistantes maternelles, les salariés auprès des particuliers, les intérimaires et les intermittents du spectacle. À force d’alterner périodes de travail et périodes de chômage, il est pour eux plus simple et peut-être aussi plus rassurant de rester inscrit à Pôle emploi plutôt que de se désinscrire pour se réinscrire en permanence. (…) S’il est aisé à comprendre, ce choix n’est pas neutre au regard de la réglementation d’assurance chômage. Il dresse un cadre contraignant, qui se referme impitoyablement sur ceux qui n’en ont pas une parfaite connaissance et maîtrise ».

I. Les périodes d’activité non déclarées en assurance chômage.

L’inscription d’un salarié comme demandeur d’emploi entraîne un certain nombre d’obligations, dont celle d’informer Pôle emploi des changements intervenus dans sa situation.

Ainsi, l’article L5411-2 du Code du travail [2] dispose que les demandeurs d’emploi sont tenus de renouveler chaque mois leur inscription sur la liste des demandeurs d’emploi ; à cette occasion, ils portent à la connaissance de Pôle emploi les changements affectant leur situation, susceptibles d’avoir une incidence sur leur inscription, sur leur disponibilité à occuper un emploi et, par conséquent, sur leur indemnisation éventuelle.
Cette obligation pèse sur tout demandeur d’emploi, qu’il soit allocataire ou non de l’assurance chômage.

Le salarié inscrit à Pôle emploi, dont l’indemnisation prend fin, peut rester inscrit à Pôle emploi pour simplement bénéficier d’offres d’emploi ; s’il retrouve du travail mais ne le déclare pas à Pôle emploi, alors même qu’il ne perçoit plus d’indemnisation, cette omission ne crée pas de versements d’allocations indues. Il n’y a donc de la part du salarié aucune intention frauduleuse : cette omission est sans effet financier et provient de la simple ignorance de l’obligation précitée.

Cette omission a de lourdes conséquences.
L’article L5426-1-1 du Code du travail dispose que Les périodes d’activité professionnelle d’une durée supérieure à trois jours, consécutifs ou non, au cours du même mois civil, non déclarées par le demandeur d’emploi à Pôle emploi au terme de ce mois ne sont pas prises en compte pour l’ouverture ou le rechargement des droits à l’allocation d’assurance. Les rémunérations correspondant aux périodes non déclarées ne sont pas incluses dans le salaire de référence.

Cette règle a évidemment du sens dans le cas où le demandeur d’emploi est indemnisé. Le cumul de la perception d’une Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) et d’une rémunération professionnelle étant possible mais strictement encadré et limité.
Mais en l’absence d’indemnisation, cette obligation devient « incompréhensible », selon l’expression même du Médiateur de Pôle emploi.

La règle implique en effet que l’intégralité des périodes de travail non déclarées est perdue pour le demandeur d’emploi. Celui-ci peut ainsi, travailler plusieurs mois ou trimestres, puis perdre cet emploi et découvrir qu’il n’a droit à aucune indemnisation.

II. Le recours illusoire à l’Instance paritaire.

Le seul recours envisagé est de saisir l’instance paritaire de Pôle emploi : article L5426-1-1 II du Code du travail -Sans préjudice de l’exercice d’un recours gracieux ou contentieux par le demandeur d’emploi, lorsque l’application du présent article fait obstacle à l’ouverture ou au rechargement des droits à l’allocation d’assurance, le demandeur d’emploi peut saisir l’instance paritaire de Pôle emploi mentionnée à l’article L5312-10.

L’article 46 § 6 du règlement prévoit cet examen en cas d’absence de déclaration de période d’activité professionnelle. Lorsque l’application de l’article L5426-1-1 du Code du travail fait obstacle à l’ouverture de droits ou à un rechargement, l’instance paritaire peut décider que l’intégralité des périodes d’activité professionnelle non déclarées est prise en compte pour la recherche de la durée d’affiliation requise à l’article 28 pour l’ouverture de droits ou un rechargement.

L’UNEDIC dans sa circulaire 2020-12 du 6 octobre 2020 indique :

« A l’appui des justifications qu’il aura produites, l’instance paritaire appréciera notamment si la non-déclaration revêt un caractère exceptionnel et peut se justifier par des éléments extérieurs, insurmontables ou imprévisibles ou, au contraire, si le motif de la non-déclaration ne peut être considéré comme sérieux et exceptionnel compte tenu de la durée des périodes de travail en cause, de leur nature et de la répétition du manquement (…) En tout état de cause, l’examen par l’instance paritaire porte sur l’ensemble des périodes non déclarées n’ayant pu être prises en compte et conduisant au rejet de la demande d’ouverture de droits ou de rechargement. En conséquence, l’instance paritaire doit examiner les éléments produits par le demandeur d’emploi pour justifier l’ensemble de ses manquements. La justification partielle de la non-déclaration de certaines périodes de travail, en nombre de jours ou d’heures, ne peut ainsi suffire à motiver tous les manquements constatés. Ainsi, la décision de l’instance paritaire ne peut que rejeter ou retenir l’ensemble des périodes non déclarées soumises à son appréciation. »

Le rapport 2020 du Médiateur de Pôle emploi confirme les conditions restrictives d’appréciation que le guide des bonnes pratiques à l’usage des Instances Paritaires préconise :

« Les situations examinées en instance paritaire sont uniquement celles pour lesquelles le demandeur d’emploi n’a pas suffisamment de jours travaillés pour une ouverture de droit ou un rechargement, à minima de 130 jours ou 910 heures. Les situations pour lesquelles le demandeur d’emploi possède assez de jours travaillés pour s’ouvrir un droit ou pour un rechargement, sans prendre en compte les PNDs, ne sont pas examinées en instance paritaire même s’il existe des PNDs dans la période. »

Autrement exprimé, l’Instance Paritaire n’examinera que les cas où le salarié ne peut prétendre à aucun droit en raison de sa non-déclaration. Si le salarié a déclaré au moins 130 jours, mais oublié de déclarer un an d’activité, les circonstances de cet oubli ne seront même pas examinées.

Le Médiateur de Pôle emploi est sévère dans son rapport 2019 :

« Certaines IPR/IPT refusent de prendre en compte ces périodes, généralement au motif qu’un demandeur d’emploi ne peut pas ignorer que, tant qu’il est inscrit à Pôle emploi, il doit déclarer son activité : "s’ils savent s’actualiser, ils savent aussi qu’ils doivent déclarer leurs activités." Mais refuser l’ouverture de droit sur ce raisonnement est une posture qui donne plus une leçon qu’une dé­ monstration juridique.
En effet : comment peut-il y a avoir sanction sans qu’il y ait eu de tort ? En réalité, ces décisions ne sont que des mesures de rétorsion, à l’impact aussi disproportionné qu’injustifiable
 ».

III. La perte d’indemnisation n’est pas exclusive d’autres sanctions.

Le salarié, déjà privé d’indemnisation, compte tenu des périodes non déclarées, peut, en outre, faire l’objet d’une sanction par Pôle emploi qui consiste à le radier et à supprimer pour l’avenir le revenu de remplacement pour une durée de 6 à 12 mois.
En effet, l’article L5412-2 du Code du travail indique « Est radiée de la liste des demandeurs d’emploi, dans des conditions déterminées par un décret en Conseil d’Etat, la personne qui a fait de fausses déclarations pour être ou demeurer inscrite sur cette liste » et l’article R5412-5 indique que « La radiation de la liste des demandeurs d’emploi entraîne l’impossibilité d’obtenir une nouvelle inscription : (…) 3° Pendant une période dont la durée est comprise entre six et douze mois consécutifs lorsque sont constatées les fausses déclarations mentionnées à l’article L5412-2 ».

Et la sanction peut même, textuellement, être pénale puisque l’article L5413-1 dispose que « Le fait d’établir de fausses déclarations ou de fournir de fausses informations pour être ou demeurer inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi mentionnée à l’article L5411-1 est puni des peines prévues à l’article 441-6 du code pénal ».

Et de fait le premier alinéa de l’article 441-6 du Code pénal prévoit que « Le fait de se faire délivrer indûment par une administration publique ou par un organisme chargé d’une mission de service public, par quelque moyen frauduleux que ce soit, un document destiné à constater un droit, une identité ou une qualité ou à accorder une autorisation est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

Ainsi, le simple oubli de déclarer une activité, alors qu’aucune indemnisation est perçue, peut avoir comme conséquence de priver le salarié de toute indemnisation sur les périodes omises, mais également d’être radié des listes de Pôle emploi et privé du revenu de remplacement pour les six à douze mois futurs, sans exclure la possibilité d’une condamnation pénale maximale de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende…

Ce dispositif, adapté au cas de fraude, est injustifié et incompréhensible s’agissant du demandeur d’emploi ne percevant aucune indemnisation.

IV. Faire évoluer le dispositif de sanction des activités non déclarées des demandeurs d’emplois non indemnisés.

Pourquoi maintenir un tel dispositif si pénalisant alors qu’il n’y a pas d’enjeu financier pour Pôle emploi ?

Il est loisible de penser que les sanctions attachées à la non-déclaration d’activité du demandeur d’emploi non indemnisé soient inscrites dans les textes pour contraindre les demandeurs non indemnisés dont les activités ne relèvent pas du cadre d’activités autorisées, à sortir des statistiques du chômage, toujours sensibles politiquement.

Une réponse pourrait se trouver dans le classement des catégories de demandeurs d’emplois établies par arrêté.

Les effectifs de demandeurs d’emploi sont classés en 5 catégories (ABCDE) : - catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi ;
- catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (78 heures ou moins au cours du mois) ;
- catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois) ;
- catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en stage, formation, maladie … ;
- catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de faire de actes positifs de recherche d’emploi, en emploi (contrats aidés).

Aucune de ces catégories ne fait référence à l’indemnisation, soit la trace de la césure ancienne entre l’Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE) en charge de l’aide au placement des demandeurs d’emploi, et l’Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), alors en charge de l’indemnisation, avant la fusion dans Pôle emploi.

Or par exemple fin mars 2021, 71,8% des demandeurs d’emploi inscrits en catégories ABC ont un droit à indemnisation et parmi ceux-ci, 72,9% sont indemnisés [3] .

Le Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’insertion aurait donc les moyens de faire évoluer ces catégories en modifiant son arrêté de classement en créant des sous-catégories indemnisé et non indemnisé.
Cela pourrait être de nature à faciliter une approche bienveillante des activités non déclarées des demandeurs d’emploi non indemnisés, cette sous-catégorie étant par les textes modifiés comme proposé ci-après, dispensée de déclaration d’activité.

Proposition d’évolution de sanction des activités non déclarées par le demandeur d’emploi non indemnisé.

Ce dispositif de sanction des activités non déclarées, alors qu’aucune indemnisation n’est perçue, dont l’inanité est pointée par le Médiateur de Pôle emploi, génère un contentieux qui pourrait être évité :
- en intégrant le droit à l’erreur plus profondément dans la culture de Pôle emploi et des IPR. Ce droit, introduit par la « loi pour un État au service d’une société de confiance » du 10 août 2018, dite loi ESSOC.
- ou plus radicalement, en modifiant légèrement l’article L5426-1-1 I du Code du travail, en précisant que la règle s’applique aux demandeurs d’emploi indemnisés.

Proposition de correction de l’article L5426-1-1 I du Code du travail (en gras).

I. Les périodes d’activité professionnelle d’une durée supérieure à trois jours, consécutifs ou non, au cours du même mois civil, non déclarées par le demandeur d’emploi percevant une allocation de retour à l’emploi, à Pôle emploi au terme de ce mois ne sont pas prises en compte pour l’ouverture ou le rechargement des droits à l’allocation d’assurance. Les rémunérations correspondant aux périodes non déclarées ne sont pas incluses dans le salaire de référence.

Charles Edouard Poncet, Avocat Barreau des Hauts de Seine

[2Article L5411-2 Version en vigueur depuis le 01 janvier 2019 Modifié par LOI n°2018-771 du 5 septembre 2018 - art. 64
Les demandeurs d’emploi renouvellent périodiquement leur inscription selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l’emploi et la catégorie dans laquelle ils ont été inscrits.
Ils portent également à la connaissance de Pôle emploi les changements affectant leur situation susceptibles d’avoir une incidence sur leur inscription comme demandeurs d’emploi.