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Pourquoi une formation à l’interprofessionnalité ?
Parution : lundi 20 décembre 2021
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Pour tenter de répondre à la question « Pourquoi une formation à l’interprofessionnalité ? », il semble pertinent de s’interroger sur la nécessité de la mise en place de groupes de recherche au service de l’articulation et de l’harmonisation des règles déontologiques des différentes professions juridiques, en allant ainsi de la coordination à la coopération.

Les origines des SPE.

Sous l’impulsion de la « Loi Macron » du 6 août 2015, l’ordonnance du 31 mars 2016 a créé la nouvelle société pluri-professionnelle d’exercice (SPE) consacrant ainsi l’interprofessionnalité d’exercice.

La SPE permet l’exercice en commun des fonctions de notaire, avocat, avocat aux conseils, mandataires et administrateur judiciaire, huissier, commissaire-priseur judiciaire et conseil en propriété industrielle, expert-comptable et désormais, commissaire aux comptes.

Alexandre Suter

En facilitant la création de telles sociétés, le législateur entend ainsi permettre à ces professionnels d’organiser leur exercice sous des formes sociales incluant davantage de pluridisciplinarité au bénéfice de leurs clients, entreprises comme particuliers.

L’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur consiste à créer des sociétés pluri-professionnelles d’exercice destinées à couvrir l’ensemble des besoins des clientèles des entreprises comme des particuliers, à mutualiser les moyens et à faire face à la concurrence internationale.

La question de la déontologie.

Pour le moment le Conseil d’État, qui a validé l’ordonnance n°2016-394 du 31 mars 2016 relative aux sociétés constituées pour l’exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé dans une décision en date du 17 juin 2019, a répondu à la question de savoir comment s’appliqueront les règles déontologiques aux professionnels exerçant en commun au sein d’une société pluri-professionnelle d’exercice.

Le Conseil d’État a précisé que chacun des professionnels en cause conservera sa spécificité de sorte que :
- l’avocat assistera et représentera les parties, il conseillera les justiciables, il appliquera les règles déontologiques de l’avocat sous le contrôle de son barreau ;
- le notaire exercera sa fonction d’officier public et ministériel, il suivra les règles déontologiques propres à cet office et sera soumis au contrôle de sa chambre sous la surveillance du Parquet.
Ainsi le Conseil d’État considère que chaque profession doit fonctionner en silos.

Cependant, des difficultés surgiront nécessairement lorsque les professionnels seront amenés à traiter des dossiers en commun suivant parfois des règles éventuellement contradictoires ou difficilement conciliables dans la mesure où ils ne recherchent pas le même objectif.
Se posera donc nécessairement la question de l’harmonisation des règles déontologiques et professionnelles et des défis organisationnels qui en découlent.

Dans la mesure où chaque profession juridique doit appliquer ses propres règles déontologiques se posera la question de l’organisation et de l’harmonisation de l’ensemble de ces règles particulières dans le cadre d’un exercice en commun.

Dans un premier temps, le législateur n’a pas prévu de mises à jour des règles déontologiques et pour contourner cette difficulté a incité les professionnels à travailler en silos et en faisant le choix de laisser les professions libres de s’organiser entre elles.

De nombreuses zones d’ombre sur les aspects pratiques de la vie des sociétés pluri-professionnelles ont attiré l’attention des directions de l’exercice professionnel des différents ordres concernés.

La loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, modifié par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, précise dans son titre IV bis certaines dispositions relatives aux sociétés constituées pour l’exercice en commun de certaines professions libérales (Articles 31-3 à 31-12).

Ainsi, selon le nouvel article 31-8, al. 1er de la loi du 31 décembre 1990, les statuts de la société doivent garantir, d’une part, l’indépendance de l’exercice professionnel des associés et des salariés et, d’autre part, le respect des dispositions réglementaires encadrant l’exercice de chaque profession, notamment celles relatives à la déontologie.

L’article 31-8, alinéa 2, impose également aux associés, et plus généralement à tous les professionnels exerçant au sein de la société, de s’informer mutuellement des liens d’intérêts susceptibles d’affecter leur exercice.
Forts de ces informations, les professionnels pourront agir conformément à leur déontologie propre, et notamment décliner les missions susceptibles de faire émerger un conflit d’intérêt.

Enfin, le texte rappelle les obligations déontologiques de loyauté et de confidentialité ou de secret professionnel propres à chaque profession (art. 31-10). Une exception est toutefois prévue de façon à organiser le partage d’informations au sein de la société, en particulier pour y accomplir des missions communes ou tout simplement faciliter l’exercice des autres professionnels, dans l’intérêt du client et avec son accord écrit ou dans la limite du mandat de justice confié à la société.

Concernant les relations contractuelles, la SPE doit informer le client qui envisage de contracter avec elle de la nature de l’ensemble des prestations qui peuvent lui être fournies par les différentes professions qu’elle exerce et de la possibilité dont il dispose de s’adresser à l’une ou plusieurs de ces professions pour les prestations qu’elle offre (art. 31-9).
Le client désigne les professionnels exerçant au sein de la société auxquels il entend confier ses intérêts.

Vers des règles déontologiques communes ?

Dans ces circonstances nouvelles, les professionnels sont susceptibles de rencontrer différentes problématiques nécessitant un accompagnement.
C’est dans cette optique, que la mise en place de groupes de recherche semble indispensable pour appréhender et définir les règles applicables aux sociétés pluriprofessionnelles d’exercice (SPE) en tentant de construire un discours commun et en mettant en œuvre un guide pratique propre aux SPE (Voir à ce sujet l’article "Quelle formation pour l’interprofessionnalité ?").

Les principales questions qui se posent sont les suivantes :
• Les sociétés pluriprofessionnelles pourront elles souscrire une assurance unique couvrant l’ensemble des activités professionnelles de la structure ?
• Quelles serait la convention collective applicable aux salariés de la société ?
• Quelles règles comptables la société devra t-elle appliquer ?
• Comment organiser les locaux de la société pluri-professionnelle d’exercice ?
• Comment éviter la circulation de l’information privilégiée - ?
• Comment partager un unique système informatique de gestion de dossiers ? Quid de la muraille de chine numérique ?
• Comment combiner les différentes règles déontologiques concernant la publicité et le démarchage ?
• Comment mettre en place des organes inter ordres ?
• Comment concevoir des règles déontologiques communes ?
• Comment aviser ses coassociés des conflits d’intérêts potentiels ?
• Comment organiser sa lettre de mission ?
• Comment transmettre les informations des clients entre professionnels ?
• Quid de la question de la répartition des droits de votes du mandat social ?
• Comment garantir l’indépendance ?
• Quid de la gestion des conflits d’intérêts – comment l’organiser ?
• Quid de l’obligation d’instrumenter ?
• Quid de la gestion des conflits de normes ? Comment organiser la publicité de la SPE ?

La question de la conception de règles déontologiques communes abordant la problématique des sujets frontières est donc capitale. Autant de questions qui peuvent constituer des groupes de recherche et faire l’objet de formations.

Alexandre Suter Avocat au Barreau de Paris Mandataire en transactions immobilières Cabinet Lacourte et associés (SPE de Notaires et avocats)