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Comment combiner demande de résiliation judiciaire et mise à la retraite d’office pendant la procédure ? Par Grégory Chatynski, Juriste.
Parution : vendredi 17 décembre 2021
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Un licenciement intervenu dans le cours d’une procédure tendant à la résiliation judiciaire du contrat, met immédiatement fin au contrat de travail. Le juge doit, sauf cas très particuliers [1], examiner d’abord la demande de résiliation judiciaire, puis, si celle-ci n’est pas justifiée, la contestation relative au licenciement.

Qu’en est-il lorsqu’une mise à la retraite d’office, du fait de la survenance de l’âge (70 ans), met fin à un contrat de travail dans le cours d’une procédure judiciaire tendant à la résiliation judiciaire du contrat ?

Un arrêt du 25 novembre 2021 de la 6ème chambre de la Cour d’Appel de Versailles (RG n° 19/00102) vient utilement y répondre.

La question est d’importance, car si la demande de résiliation judiciaire du contrat doit être examinée par le juge, l’employeur risque, en cas de dossier inconfortable, de subir les conséquences de la résiliation si celle-ci intervient (licenciement sans cause réelle ni sérieuse, ou nulle selon les cas).

Alors que si la demande est sans objet du fait de la mise à la retraite, le salarié n’a d’autre option que de se concentrer non plus sur le cœur de son contentieux initial, à savoir les manquements supposés de l’employeur, mais sur la contestation de sa mise à la retraite, si cette contestation est possible.

Cela change radicalement la physionomie du dossier.

Dans le cas d’espèce soumis à la Cour d’Appel de Versailles (RG n° 19/00102), un salarié avait obtenu en première instance la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Mais, en raison de l’effet suspensif de l’appel, cette résiliation judiciaire était suspendue jusqu’à la décision de la Cour.

De fait, le salarié, en arrêt-maladie, était toujours salarié, et disposait des mêmes droits que les autres salariés de l’entreprise, tandis que cette dernière pouvait, elle aussi, exercer l’ensemble des droits et prérogatives d’employeur.

C’est dans ce contexte procédural que l’employeur, au constat du dépassement de l’âge minimal à partir duquel une mise en retraite d’office était possible (70 ans), a décidé d’exercer ce droit, et de rompre le contrat de travail avant que la Cour ne statue.

Le débat judiciaire s’est donc naturellement déporté sur cette situation nouvelle : le salarié a contesté la validité de cette mise à la retraite et en a demandé la nullité puisqu’elle constituait, selon lui, pêle-mêle,

« une discrimination liée à l’âge, un harcèlement moral, un abus de droit, serait désinvolte, aurait été prise dans un but exclusivement procédural, malicieusement et dans le but vexatoire et non dans un intérêt légitime ».

Sur la discrimination liée à l’âge, il a essentiellement soutenu son argumentation sur l’application combinée :
- de l’article L1132-1 du Code du travail qui indique « Aucune personne ne peut être…sanctionné, licencié où faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte,... en raison de son âge » ;
- de l’article 6, § 1, de la directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, qui énonce « Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires » ;
- d’un arrêt du 22 janvier 2020 de la Cour de cassation [2] qui a appliqué ces principes à l’occasion d’un contentieux concernant une mise à la retraite d’office à la SNCF (65 ans).

Invoquant certains arrêts de la Cour de cassation [3], le salarié a également imaginé convaincre la Cour d’appel que la mise à la retraite prononcée par l’employeur avait été effectuée dans des conditions brutales et vexatoires, constitutives d’un abus de droit, ou encore caractérisait une légèreté blâmable de l’employeur.

Pour la Cour d’appel de Versailles, le constat est sans appel :

Rappel de la règle :

« Il est constant qu’en cas d’appel du jugement du conseil de prud’hommes prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail, c’est le jour du prononcé du jugement qui sera retenu comme date de rupture. Toutefois, lorsque le contrat de travail s’est poursuivi après le jugement, c’est la date de l’arrêt confirmatif d’appel qui constitue la date de rupture du contrat de travail. Si, au moment où le juge statue sur la demande de résiliation, l’employeur a déjà prononcé une mise à la retraite, cette demande de résiliation devient sans objet car la mise à la retraite a mis fin au contrat de travail. Par conséquent, le salarié ne peut plus obtenir la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il peut seulement demander des dommages-intérêts si les griefs formulés à l’encontre de l’employeur sont justifiés ».

Application de la règle :

« En l’espèce, (l’employeur), qui a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes du 6 décembre 2018 qui a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail liant les parties, indique avoir maintenu la relation contractuelle en application de l’effet suspensif de l’appel.

Le contrat de travail a dès lors été rompu par la notification de la mise à la retraite du salarié en juin 2021, de sorte qu’en application des principes rappelés ci-dessus, la demande de résiliation judiciaire est devenue sans objet devant la cour d’appel.

Pour faire échec à cette situation, (le salarié) invoque la nullité de sa mise à la retraite, qui constituerait, selon lui, une discrimination liée à l’âge, un harcèlement moral, un abus de droit, serait désinvolte, aurait été prise dans un but exclusivement procédural, malicieusement et dans le but vexatoire et non dans un intérêt légitime.

Il convient de rappeler que la mise à la retraite est un mode de rupture du contrat de travail prévu par l’article L1237-5 du Code du travail dès lors que le salarié a atteint l’âge de 70 ans.

Tel est le cas (du salarié), qui était âgé de 57 ans lors de son embauche, et de 72 ans lors de sa mise à la retraite en juin 2021. L’âge du salarié constitue donc une condition objective de sa mise à la retraite et non pas une discrimination.

(Le salarié) n’étayant pas les autres fondements de sa demande de nullité, l’argumentation du salarié apparaît dans ces conditions infondée.

(Le salarié) sera donc débouté de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur ainsi que des demandes subséquentes ».

La mise à la retraite a eu pour conséquence de rendre sans objet la demande de résiliation judiciaire. D’où l’infirmation du jugement du Conseil de prud’hommes.

Et dans la mesure où cette mise à la retraite a été jugée fondée, non fautive et non discriminatoire, les demandes du salarié à ce titre ont été rejetées.

CQFD.

Grégory Chatynski Responsable juridique droit social Ancien Conseiller prud\'homal Employeur, Industrie Conseiller prud\'homal Employeur, Encadrement (2023-2025)

[1Exception : le contrat de travail du salarié protégé, licencié sur le fondement d’une autorisation administrative ensuite annulé et qui ne demande pas sa réintégration, est rompu du fait du licenciement, pourtant postérieur à la demande de résiliation judiciaire, de sorte que le juge du fond, initialement saisi, ne peut statuer sur la résiliation judiciaire qui devient sans objet. (Cass, Soc, 10 novembre 2021, RG 20-12604).

[2Soc - RG n° 17-31.158.

[3Cass. Soc. 3 mars 2010 n° 08-44.996, Cass. Soc. 20 novembre 2001, 99-45.065.

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