Village de la Justice www.village-justice.com

Dons d’argent ou cadeaux : quelles règles pour les présents d’usage ? Par Jean-Philippe Borel, Avocat.
Parution : mardi 21 décembre 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/donation-des-tiers-quelles-sont-les-obligations-fiscales-reserve,41091.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

A l’approche de Noël et des fêtes de fin d’année, il n’est pas rare que les parents gratifient leurs enfants d’une somme d’argent ou de cadeaux.
Ces cadeaux sont généralement qualifiés de présents d’usage.
Obéissant à un régime spécifique, les présents d’usage ne sont pas rapportables à la succession de celui qui les a consenties.
Ils sont également neutres fiscalement.

La qualification de présent d’usage.

Pour échapper à la qualification de donation rapportables, la Cour de cassation retient qu’il s’agit de « cadeaux faits à l’occasion de certains événements, conformément à un usage, et n’excédant pas une certaine valeur » [1]. Il est donc nécessaire de réunir deux conditions cumulatives. La première réside dans le contexte dans lequel le présent a été effectué. Il doit remis à l’occasion d’un événement familial ou être conforme à un usage procédant de l’exécution d’un devoir familial tel qu’une naissance, mariage baptême, anniversaire, fête de fin d’année, etc..

Il peut donc être consentie à un membre de la famille ou un proche sans aucun lien de parenté.

La seconde réside dans le caractère modique du cadeau qui s’apprécie en fonction de la situation de fortune du donateur. La jurisprudence retient que le présent d’usage peut être requalifié en donation rapportable des lors que celui-ci entraine un appauvrissement significatif du donateur eu égard à sa situation financière et patrimoniale. C’est à celui qui allègue l’existence d’une donation rapportable de rapporter la preuve de l’intention libérale du donateur [2]. La Cour de cassation opère un contrôle strict sur les décisions des juges du fond qui doivent vérifier la réunion de ces deux conditions cumulatives pour retenir ou rejeter la qualification de présents d’usage [3].

L’affaire Sacha Guitry permet d’illustrer l’appréciation de ces deux conditions. Après avoir offert un bijou d’une grande valeur à sa femme, Sacha Guitry avait soutenu, lors de son divorce qu’il s’agissait d’une donation entre époux alors révocable comme le permettait la loi avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004. La Cour de cassation a rejeté cette argumentation et a retenu la qualification de présent d’usage dès lors que celui-ci avait été effectué à l’occasion du premier anniversaire de mariage du couple et qu’il n’entrainait pas un appauvrissement important en raison de la situation de fortune de Sacha Guitry [4].

A noter que les donations de bijoux de famille échappent à la qualification de présents d’usage [5].

Le traitement civil et fiscal des présents d’usage.

Sur la plan civil, les présents d’usage connaissent un régime juridique dérogatoire définit à l’article 852 du Code civil qui dispose que « les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant ».

Ils échappent, par conséquent, aux règles de rapport des donations prévues articles 843 et suivants du Code civil. Ainsi, les présents d’usage ne doivent pas être réunis fictivement à la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible prévue à l’article 922 du Code civil, en vue d’une éventuelle réduction [6]. Ils échappent également à la révocation pour cause d’ingratitude ou pour survenance d’enfants. Si l’auteur des cadeaux soupçonne d’éventuelles difficultés ou de contestation de la part de ses héritiers, la doctrine recommande de prévoir dans le cadre d’une disposition testamentaire de dispenser de rapport les présents dans l’hypothèse d’une requalification judiciaire en donation rapportable [7].

Sur le plan fiscal, les présents d’usage sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit prévues à l’article 784 du Code Général des Impôts. Si cette exonération n’est pas contenue dans le Code général des impôts, le bulletin officiel des impôts reconnaît cette tolérance fiscale dans les termes suivants :

« Il est admis de ne pas opposer les dispositions de l’article 784 du Code général des impôts aux dons manuels ayant le caractère de présents d’usage au sens de l’article 852 du Code civil. Ce caractère peut généralement être reconnu aux cadeaux faits aux enfants, mineurs par des membres et des amis de la famille » [8].

Comme les juridictions civiles, l’administration fiscale examinera les circonstances dans lesquelles le présent a été effectué et son caractère modique au regard de la situation du donateur.

Ainsi un chèque d’un montant de 14.091,50 euros pour un donateur ayant un patrimoine de 106.148,29 net au décès ne saurait s’analyser en un cadeau d’usage échappant au périmètre de l’article 784 du Code général des impôts [9].

A l’inverse, un chèque d’un montant quasi similaire a été qualifié de don d’usage non imposable dès lors que le patrimoine du donateur était évalué à hauteur de 1 250 000 euros [10].

Si l’analyse de la la jurisprudence permet de retenir une valeur comprise entre 2% et 2,5% du patrimoine du donateur comme seuil entre présent d’usage et donation, l’administration fiscale ne fixe aucune règle de proportionnalité entre le présent et la situation de fortune de donateur [11].

Le doyen Aulagnier considère, quant à lui, qu’il est possible de retenir une valeur entre 3 et 4% [12].

Compte de tenu des ces divergences, l’administration fiscale apprécie in concreto l’ensemble des circonstances de fait ayant entouré la libéralité qui, en cas de litige, relève de la compétence du juge judiciaire.

Me Jean-Philippe Borel Avocat au Barreau d’Avignon Docteur en droit Ancien collaborateur de notaire http://jeanphilippeborel.fr

[1Cass. 1re civ., 6 décembre 1988, n° 87-15.083

[2Cour d’appel d’Agen, Chambre civile, 5 décembre 2018, n° 15/00875.

[3Cour de cassation, Chambre civile 1, 25 septembre 2013, 12-17.556, Publié au bulletin.

[4Cass.1e civ. 30 décembre 1952.

[5Cass. 1re civ., 20 juin 1961 : D. 1961, 641, note R. Savatier.

[6Cour de cassation, Chambre civile 1, 19 septembre 2018, 17-24.205.

[7G. Teillais, JCP n° 42, 17 Octobre 1997, 4151 p. 1265.

[8BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, 28 janv. 2014, § 260.

[9Cour d’appel de Poitiers, 2ème chambre, 2 juillet 2019, n° 18/01301.

[10Cour d’appel de Paris, 1 ère chambre section B, 11 avril 2002, n°01-3791.

[11Rép. min. Le Meur, Joan 31 déc. 2019, p. 11532, n° 22066.

[12Noël, une date bien choisie, Aulagnier J., Newsletter AUREP n° 164, 17 déc. 2013.